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Nº 2921 du vendredi 1er novembre 2013

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ACTUALITIÉS

La mission impossible de Brahimi. Les Amis de la Syrie mettent le feu aux poudres

En affichant des intentions fortes pour la conférence de Genève II qui devrait en principe se tenir à la mi-novembre, l’opposition syrienne et ses alliés Amis de la Syrie ont plongé mardi 22 octobre les négociations dans l’incertitude.

Mardi 22 octobre, à Londres, les Amis de la Syrie, un groupe de représentants des Affaires étrangères de onze pays (Allemagne, Arabie saoudite, Egypte, Emirats arabes unis, Etats-Unis, France, Italie, Jordanie, Qatar, Royaume-Uni, Turquie), ainsi que le président de la Coalition nationale syrienne (CNS), Ahmad Jarba, se sont rencontrés afin d’établir une stratégie pour négocier une solution politique au conflit syrien. La négociation, prévue par le communiqué de Genève du 30 juin 2012 (Genève I), doit être consacrée lors de la conférence internationale pour la paix en Syrie (Genève 2), prévue pour la mi-novembre.
Le communiqué de Genève I, initié par la Russie et les Etats-Unis et avalisé par les Nations unies, prévoyait une solution négociée au conflit syrien, notamment par la création d’un Organe de gouvernement transitoire, composé de représentants du gouvernement et de l’opposition, avec une assistance internationale mandatée par les Nations unies pour mettre en œuvre si nécessaire cette transition.
Le communiqué final de la réunion de Londres a apporté deux nouveautés qui revêtent une importance capitale pour les futures négociations à la conférence de Genève II. En effet, il est fait mention explicite de Bachar el-Assad, actuel président de la République arabe syrienne, ainsi que de ses proches collaborateurs qui devront, selon le communiqué, être d’emblée exclus de l’Organe de gouvernement transitoire. De plus, le Conseil de sécurité des Nations unies est expressément cité. Il est responsable de la mise en œuvre complète de la transition gouvernementale, et peut intervenir en cas de mauvaise coopération du régime.
 

Un coup de force?
En modifiant les termes de la négociation à venir, les Amis de la Syrie cherchent sans doute à s’assurer de la présence de la Coalition nationale syrienne (CNS) à la table des négociations. Cette présence est incertaine et sera décidée le 9 novembre lors du congrès de la CNS à Istanbul. Son président Ahmad Jarba a déclaré à l’issue de la réunion avec les Amis de la Syrie: «L’opposition syrienne risque de perdre sa crédibilité si elle cède sous les pressions de la communauté internationale et prend part à Genève II, renonçant à sa revendication d’éviction de [Bachar el-]Assad». Mais par ailleurs, le Conseil national syrien, principale composante de la CNS, menace de faire scission pour boycotter les négociations.
Dans le camp adverse, la Russie a qualifié d’inacceptables les nouvelles conditions déclarées unilatéralement à Londres. Il s’agit d’«une menace mal dissimulée de retour au scénario d’un recours à la force militaire, ce qui est inacceptable», a sèchement déclaré Alexandre Loukachevitch, porte-parole du ministère des Affaires étrangères.
Et de rétorquer en critiquant la CNS: «Nous considérons que la coalition doit participer aux négociations, mais les paramètres de sa participation doivent être conformes à son niveau d’influence au sein de la société syrienne et à son rôle en Syrie. Il n’y a aucune raison d’affirmer que la coalition est le ‘‘seul représentant légitime’’ ni du peuple syrien, ni de l’ensemble de l’opposition».

 

Qui représente l’opposition?
Loukachevitch a-t-il raison de mettre en doute la légitimité de la Coalition nationale syrienne? Alors que la CNS a été reconnue dès 2012 comme le «seul représentant du peuple syrien» par une centaine de pays occidentaux et arabes, ainsi que par la Ligue arabe, la situation s’est largement dégradée depuis, et la réalité du terrain est désormais tout autre.
Une récente étude menée par le centre britannique IHS Janes’s montre comment le poids de l’Armée syrienne libre (ASL) dans l’opposition armée s’est dégradé au profit des groupes jihadistes. Selon cette étude, les combattants rebelles dits modérés, sous commandements de la CNS, ne représenteraient plus que le tiers des 100 000 combattants qui composeraient aujourd’hui les troupes antigouvernementales. Par ailleurs, un communiqué, parvenu samedi soir aux médias occidentaux, et signé de plusieurs groupes jihadistes, dont Liwaa el-Tawhid, Ahrar el-Cham, Souqour el-Cham ou encore Ahfad el-Rasul, confirme l’isolement de la CNS par rapport aux réalités du terrain. «Nous annonçons que la conférence Genève II n’est pas et ne sera jamais le choix du peuple ou une revendication de notre révolution».
La fébrilité de la coalition et les luttes au sein de l’opposition armée renforcent par conséquent le régime. Sur le terrain, l’armée régulière reprend des points importants aux rebelles. Jeudi 24 octobre, la télévision officielle syrienne a annoncé la prise de contrôle d’Hatetat al-Turkman, dans la banlieue du sud de Damas. Une bataille décisive puisque située sur un axe central entre l’aéroport et les banlieues au sud et à l’est de la capitale toujours sous contrôle des rebelles, empêchant ainsi communication et ravitaillement.
 

Brahimi en tournée
Pendant ce temps, l’envoyé international Lakhdar Brahimi a effectué une tournée au Moyen-Orient pour tenter de préparer le terrain à la tenue de Genève II. Il a livré ses impressions dans une interview accordée à Jeune Afrique. «Bachar [el-Assad] n’a jamais été désarçonné. (…) Quoi que les gens disent, il n’a jamais douté, ni de son bon droit, ni de sa capacité à l’emporter», a-t-il dit. Le médiateur de l’Onu et de la Ligue arabe est arrivé lundi à Damas pour rencontrer le président syrien, après une tournée diplomatique dans les principaux pays de la région.
Lorsqu’il aborde la question de la place du président syrien au sein d’un futur gouvernement de transition, Brahimi fait dans la nuance. «Bachar el-Assad peut contribuer utilement à la transition vers une nouvelle Syrie, mais pas la diriger», a-t-il dit à Damas. Dans Jeune Afrique, il semble se rapprocher de la position des Amis de la Syrie: «Ce que je dis, tout haut et à tous les Syriens, c’est que l’Histoire nous apprend qu’après une crise comme celle-ci, on ne peut pas revenir en arrière. Le président Assad peut donc contribuer utilement à la transition entre la Syrie d’avant, qui est celle de son père et la sienne, et ce que j’appelle la nouvelle République de Syrie».
Cependant, il tempère la portée des futures négociations: «Genève II, contrairement à la conférence qui s’est tenue en 2012 [Genève I], n’est pas une fin en soi mais le début du processus. Nous espérons que l’opposition parviendra à se mettre d’accord sur une délégation crédible et représentative. Il ne faut pas se leurrer: tout le monde ne sera pas présent. En revanche, la suite de ce processus devra inclure le plus de monde possible».
Les tenants et aboutissants des prochaines négociations semblent donc pour le moins incertains, tandis que le 5 novembre, Lakhdar Brahimi s’entretiendra conjointement avec les chefs de la diplomatie américaine et russe. Ceux-ci auront tout intérêt à convaincre leurs alliés respectifs de se présenter à la table des négociations, pour qu’un dialogue ait lieu entre opposition et régime syrien, même sur des bases incertaines. Relancer le processus diplomatique est essentiel, sans quoi le conflit pourrait s’enliser et se radicaliser, d’une manière «plus durable et encore plus profonde que ce que nous avons pu voir en Somalie», redoute Brahimi. 


Elie-Louis Tourny

Assad: le paria devenu partenaire
Le médiateur des Nations unies et de la Ligue arabe, Lakhdar Brahimi, constate que le 
président syrien a su redorer son image grâce à sa bonne conduite sur le dossier des armes chimiques. Respectant scrupuleusement le délai qui lui était assigné pour délivrer le programme de destruction de son arsenal chimique, la Syrie est même devenue Etat membre de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques. Selon la résolution 2118 des Nations unies, la totalité de cet arsenal devra être détruite d’ici juin 2014.

L’Arabie saoudite contre Genève II
L’Arabie saoudite est le seul pays de la région, avec Israël, que Lakhdar Brahimi n’a pas visité durant sa tournée diplomatique. Pour cause, le royaume a refusé son siège au Conseil de sécurité des Nations unies, alors qu’il 
l’obtenait pour la première fois de son histoire. «Ce signal ne s’adresse pas à l’Onu, mais aux Etats-Unis», a déclaré le prince Bandar Ben Sultan. «L’Arabie saoudite était déçue du fait que les Américains et les Occidentaux ne soient pas intervenus militairement pour détruire la Syrie», a confié John Kerry à l’issue de la réunion des Amis de la Syrie.
La fermeté du communiqué des Amis de la Syrie peut en partie être imputée à ce 
retournement d’alliance.

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