Magazine Le Mensuel

Nº 2935 du vendredi 7 février 2014

Culture

Tout en musique. Home de Sandmoon

Après un premier album autoproduit Raw en 2010, le groupe libanais Sandmoon est de retour avec un nouvel opus, Home. Epuré. Mélancolique. Inclassable.

Bruitage, grattement de cordes, accords de piano, et s’insinue, épurée, la voix de Sandra Arslanian, presque chuchotée, presque lancinante: «There’s no one there in my heart… It’s an empty space where I could feel the same. It’s an empty space where I would feel insane».
L’auditeur pénètre dans l’album comme il entrerait dans une maison et ses multiples chambres, ce «Home» que Sandmoon a élaboré dans ses moindres détails polis et affûtés, au fil des mois et des mois de création. Chaque chanson instaure sa propre ambiance, chaque espace dans cet ensemble laisse percevoir ses multiples coins et recoins. Un album cosmopolite de sonorités et de sensibilités, de langueur mélancolique qui s’étire et ravit. Une aura mélancolique vagabonde qui emprunte çà et là à une kyrielle de sensations, de couleurs, de mouvements. Entre l’envie d’osciller tout en légèreté et celle de se laisser bercer par des volutes de sourires étranges et familiers à la fois, entre les images de cafés-trottoirs et les bars enfumés, entre les dédales des multiples influences musicales qui se laissent percevoir emmêlées, inextricables.
Walk, Home, Whirlwind, Things, Fairy, Feel, Circles, Ordinary, Anyway: écrites et composées par Sandra Arslanian, les neuf pistes de Home sont également le fruit de la collaboration et de l’échange avec les autres membres du groupe, Maen Rajab aux guitares acoustique et électrique, Shushan Artinian au violoncelle, César Aractingi à la basse et Gérard Rechdan à la batterie.
La voix de Sandra Arslanian se laisse découvrir progressivement, chacune des couches qui l’enveloppent donnant naissance à l’autre, à d’autres. Une voix tout aussi versatile que l’atmosphère que chaque chanson installe. Toujours chaleureuse. Une guitare acoustique qui laisse entendre ses plus intimes respirations. Un violoncelle qui insuffle un brin de vie inattendu. Une trompette qui, d’un coup, instaure un air jazzy, entraînant et entêtant, à mesure que Sandra Arslanian entonne ses «vocalises» rythmiques. Sons et sonorités supplémentaires donnent parfois l’impression à l’auditeur de côtoyer le groupe lors de la genèse de l’album, d’être tout près de leur sensibilité. De partir avec eux dans ce voyage explorateur. Et quand la musique se tait, le silence s’installe pour permettre à la voix de Sandra Arslanian de se jouer de ses intonations.
Tout n’est pas parfait dans cet album, toutes les chansons ne sont pas égales, comme c’est le cas dans tous les disques, même des plus grands artistes. Un certain essoufflement, un certain flottement à la fin, les dernières chansons s’égrènent facilement, pour se diluer dans une ambiance générale mélancoliquement monochrome. Est-ce juste une impression? Une concentration qui décroît? Mais c’est tant mieux d’ailleurs, parce que naît aussitôt l’envie pressante de reprendre l’album du début, de le réécouter encore pour se laisser emporter par les premières chansons, surtout les magnifiques Walk, Home, Things, Fairy. Folk, indé, pop, jazzy… Une musique «made in Lebanon» qui échappe à toute classification, à toute catégorisation. Issue tout droit de sensibilités différentes, éclectiques, rassemblées en un bouquet homogène. Inclassable ce Home de Sandmoon!

Liban Jazz présente Kellylee Evans
Pour le premier concert de sa 11e édition, Liban Jazz présente Kellylee Evans, l’une des voix les plus séduisantes de la scène du jazz internationale. Le mardi 18 février, elle sera sur la scène du Music Hall entourée de grands musiciens de jazz français. Le quintet présentera un répertoire varié incluant tout autant des compositions originales que des reprises de chansons pop, comme le tube de Stromae, Alors on danse, des titres de Kanye West et Eminem ou des morceaux de Nina Simone. Autant de reprises ou de réinterprétations qui figurent sur le dernier album de la chanteuse, I remember when, ou sur ses précédents opus, dont un en hommage à Nina Simone, intitulé tout simplement Nina, et qui a été encensé par la critique en 2010.
Repérée aux Victoires du jazz 2012 lors de sa performance aux côtés du pianiste Eric Legnini, Kellylee Evans emmènera le public libanais dans son monde particulier, son monde jazz, soul, hip-hop, le mardi 18 février, à 21h, au Music Hall.
Billets en vente au Virgin Megastore: 01999666 et en ligne.

Sur les planches
Quand Fatmeh s’habille de mélancolie
Troisième performance signée Ali Chahrour, Fatmeh a été présentée les 30 et 31 janvier, et les 1 et 2 février, à Masrah al-Madina. Un corps au «soleil noir de la mélancolie».
Incantations. Lamentations. Transe. Deuil. Oum Koulthoum. Battement rythmique du daff… Pénombre. Prières… Le corps d’Umama Hamido et Rania Rafei se prête aux multiples facettes de la mélancolie telle que perçue dans le monde arabe. Cette «melancholia» qui nous étreint, qui habite notre corps, malgré nous, à notre insu, parce qu’elle est tellement ancrée dans notre histoire, notre histoire millénaire, notre histoire quotidienne. Tellement présente, omniprésente qu’elle n’est plus inhabituelle. Qu’elle devient vertige suprême, extase innommable, plaisir antinomique, justement parce qu’elle naît d’abord de manière consciente pour se laisser fondre ensuite dans l’inconscience, dans la dépossession de soi, dans l’inhérence à l’entité, à l’identité. Ou inversement.
Dans Fatmeh, il ne s’agit pas que de mise en scène, mais plutôt de mise en situation. Et c’est d’ailleurs l’un des aspects sur lesquels travaille Ali Chahrour: créer une danse contemporaine locale et régionale, qui nous appartienne, qui relève de nos caractéristiques, qui reflète nos préoccupations, notre quotidien, qui s’inscrive dans notre contexte. Fruit d’un long travail de collaboration, de recherches, de mouvements, de pensées mis en commun, décortiqués, vécus jusque dans la chair même de ces deux danseuses non professionnelles, dans l’intensité de l’expérience corporelle qu’elles ont vécue sur scène, durant quatre soirées consécutives. Les tableaux se suivent, tous plongés dans une noirceur exacerbée, dans un décor minimaliste qui va droit au but et laisse la scène nue pour l’expression corporelle des deux danseuses, dans leur souplesse, dans leur authenticité, dans chacun de leurs mouvements amplifiés par leur costume drapé d’étoffes noires vaporeuses. A travers elles, ce sont toutes les Fatmeh de l’histoire qui racontent leurs histoires, leur histoire commune. Une tragédie grecque ou arabe.
Peut-être que pour certains spectateurs, Fatmeh n’instaure pas d’identification, parce qu’il y a rationalisation, parce qu’il y a occidentalisation. Mais le cœur reste arabe, le corps reste arabe, et le contexte surtout. Au-delà de la performance et de son impact immédiat sur le spectateur, Fatmeh a la faculté, que peu de spectacles locaux ont, de pousser le questionnement bien loin, encore plus loin, jusqu’à soulever une approche personnelle, une discussion, des échanges autour de ce qui se donne à voir sur scène, de ce qui se fait sentir au quotidien. Entre mélancolie, tristesse, plaisir, et cette envie de dépassement.

Janna Janna Janna
La nouvelle création de Zoukak
Comme à chaque fois avec Zoukak et ses six têtes pensantes, la scène et les spectateurs frissonneront à nouveau, à mesure que la compagnie continue à établir et ancrer les bases du renouveau du théâtre local. Sa dernière création, Janna Janna Janna (Paradis), remet en question la signification de l’histoire et de l’identité et referme ainsi le chapitre de la recherche historique que la compagnie de théâtre avait entrepris en 2013 avec Mashrah Watani (Perform-Autopsy). «Entre là-bas et ici, entre hier et aujourd’hui, nous nous rappelons nos souvenirs et nos pertes. Sur scène, nous nous levons afin de voir, nous parlons afin d’entendre, nous racontons nos histoires afin de nous actualiser». Alors rendez-vous ce week-end encore, jusqu’au 9 février, au studio Zoukak, à Adlié, à 20h. Entrée libre. Places limitées. Réservations: 76863415.

 

 


Passeport no 10452 de Betty Taoutel
«Ou l’histoire d’un passeport condamné à l’exil»

Du Festival du monde arabe de Montréal au théâtre Monnot, Betty Taoutel présente au public libanais sa nouvelle pièce, cette fois en version arabe, Passeport no 10452.
Dans un petit pays de 10452 Km2 meurtri par trente ans de guerre, une famille est déchirée par les enjeux identitaires liés à l’appartenance, la patrie, la langue, l’émigration… Entre le rêve idéalisé de ceux qui veulent partir et la réalité, souvent dure, vécue par les immigrants, Betty Taoutel dépeint le vécu poignant des déracinés, à Beyrouth comme à Montréal.
Tous les jeudis, vendredis, samedis et dimanches, jusqu’au 2 mars, à 20h30.
Billets en vente à la Librairie Antoine.

 

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