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Nº 2979 du vendredi 12 décembre 2014

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Bogdanov, Girault et les autres… Valse diplomatique à mille temps

Un émissaire russe s’en va, un autre français s’en vient, un ministre luxembourgeois arrive et la représentante de l’Union européenne repart… Le Liban est actuellement le théâtre d’un véritable ballet diplomatique. Mais chaque visiteur joue son propre tango.
 

L’émissaire russe, Mikhaïl Bogdanov, a passé quelques jours au Liban au cours desquels il a pratiquement rencontré toutes les composantes de la vie politique libanaise. A peine a-t-il quitté le Liban pour la Turquie que le directeur du Quai d’Orsay pour les questions du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord, Jean-François Girault, est arrivé et il a, lui aussi, multiplié les rencontres aves les principales figures politiques du Liban. Il est suivi de près par le ministre luxembourgeois des Affaires étrangères et par la nouvelle représentante de l’Union européenne, l’ancienne ministre italienne des Affaires étrangères Federica Mogherini. Pourquoi ce soudain intérêt pour le Liban et tous ces émissaires parlent-ils le même langage et développent-ils les mêmes thèmes? La question mérite d’être posée parce qu’immédiatement, certains milieux politiques ont laissé entendre qu’un déblocage dans le dossier présidentiel serait en vue et la bourse des candidats à la présidence est revenue à la Une des médias. Toutefois, selon une source diplomatique, la situation et les enjeux sont quelque peu différents.
Avec ses interlocuteurs libanais, l’émissaire russe Mikhaïl Bogdanov, qui est d’ailleurs déjà venu en avril 2013 au Liban, a essentiellement évoqué le dossier syrien et le rôle de la Russie sur l’échiquier international. Il aurait ainsi longuement expliqué l’initiative russe pour une solution en Syrie, essentiellement basée sur un dialogue entre le régime et l’opposition considérée acceptable, c’est-à-dire non extrémiste et pacifique. Il aurait aussi exposé le retour de la Russie dans les dossiers internationaux, son poids, ainsi que sa vision des nouveaux équilibres internationaux, à la lumière de sa volonté de se rapprocher de l’Union européenne, en dépit de la crise ukrainienne, des pays du Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) et du groupe de Shanghai. Bref, l’émissaire russe aurait donc à peine évoqué la situation interne libanaise, ainsi que le dossier présidentiel. Il n’a donc visiblement pas soumis à ses interlocuteurs libanais une initiative précise sur ce dossier, se contentant d’écouter sans les commenter les points de vue des différentes parties sur le sujet.

 

Girault et la présidentielle
En revanche, l’émissaire français Jean-François Girault, grand spécialiste de la région au Quai d’Orsay, ayant occupé des fonctions diplomatiques en Iran, en Irak et en Syrie, a clairement donné le ton dès le départ, affirmant que sa mission consiste à tenter d’obtenir un déblocage dans le dossier présidentiel libanais. Il avait d’ailleurs lui-même effectué plusieurs visites en Iran au cours desquelles ce dossier avait été évoqué et le chef du Courant du futur, Saad Hariri, avait lui-même déclaré, il y a quelque temps, que la France a promis de solliciter l’aide de l’Iran pour aboutir à l’élection d’un président au Liban. D’ailleurs, cette question avait même été évoquée par l’émissaire international chargé du dossier syrien, Staffan de Mistura, lors de sa fameuse rencontre avec le numéro 2 du Hezbollah, le cheikh Naïm Kassem. De Mistura avait ainsi demandé quelle était la position du Hezbollah et le cheikh Kassem avait répondu que son parti appuie la candidature du général Michel Aoun. De Mistura avait alors précisé que la France compte en parler avec les responsables iraniens et la réponse du cheikh Kassem avait été claire et précise: «L’Iran partage la même position que nous».
De fait, toujours selon la source diplomatique, l’émissaire français, Jean-François Girault, aurait précisé à ses interlocuteurs libanais que les responsables iraniens auraient déclaré qu’ils n’ont pas de candidat précis au Liban et qu’ils laissent le choix à leurs alliés libanais. Mais ils auraient quand même suggéré aux Français de faire en sorte que les différentes parties chrétiennes s’entendent sur un candidat et, à ce moment-là, le candidat choisi sera élu. D’où la volonté de l’émissaire français de favoriser un dialogue entre les différentes parties chrétiennes et, en particulier, les Forces libanaises de Samir Geagea et le Courant patriotique libre de Michel Aoun, sous la houlette du patriarche maronite Mgr Béchara Raï. La France est convaincue qu’aucun de ces deux candidats n’a de chances d’être élu à la présidence de la République, cette haute fonction exigeant, dans cette période particulièrement difficile, une personnalité consensuelle qui bénéficierait de l’appui de toutes les parties politiques et communautaires libanaises.

 

L’agenda européen
La mission de l’émissaire français se limiterait donc au dossier présidentiel, la France estimant que grâce à son dialogue avec l’Iran et à ses relations étroites avec l’Arabie saoudite, ainsi qu’en raison de son influence au Liban, elle pourrait parvenir à convaincre toutes les parties libanaises à s’entendre sur un candidat acceptable par toutes. Le profil idéal de ce candidat auquel ont abouti les Français, après en avoir parlé avec des parties régionales et locales, serait celui d’un homme politique (et non militaire pour ne pas avoir à amender la Constitution) qui aurait un «C.V.» de centriste et de modéré. Le président de la Commission parlementaire de la Justice et de l’Administration, Robert Ghanem, ainsi que l’ancien député et ministre Jean Obeid, pourraient correspondre à ce profil. Mais il y a aussi d’autres candidats possibles, qui, à quelques nuances près, ont les mêmes  spécificités. On parle ainsi de l’actuel ambassadeur du Liban au Vatican, Georges Khoury (qui est aussi un militaire de carrière), de l’ancien président de l’Association des banques, Joseph Torbey etc. L’ancien président Amine Gemayel se pose lui aussi en modéré… Les coulisses politiques bruissent en tout cas de chuchotements et de rencontres «présidentielles», mais pour l’instant, rien n’indique que les efforts de l’émissaire français vont rapidement porter leurs fruits.
La mission du ministre luxembourgeois des Affaires étrangères, Jean Asselborn, au Liban, ainsi que celle de la nouvelle représentante de l’Union européenne, Federica Mogherini, seraient totalement différentes. Tous deux sont au Liban pour s’enquérir essentiellement du problème des réfugiés syriens, surtout au moment où les aides internationales promises sont revues à la baisse, alors que les besoins au Liban s’amplifient. Nouvellement nommée, après le départ à la retraite de Catherine Ashton, Federica Mogherini est venue au Liban dans une visite d’information pour faire le point de la situation sur le terrain et écouter ce que les Libanais ont à dire sur la question, sachant que le dossier des réfugiés syriens préoccupe l’Union européenne qui souhaiterait trouver des solutions qui ne l’obligent pas à les accueillir chez elle. Même s’il est actuellement question pour les pays d’Europe d’ouvrir leurs portes à près de 100 000 réfugiés syriens, venus de Turquie, de Jordanie… et du Liban.
Comme on peut le constater, les émissaires étrangers au Liban n’ont pas les mêmes missions et chacun a ses propres enjeux. Mais il n’en reste pas moins que le Liban est toujours une plaque diplomatique tournante.

Joëlle Seif

Une présidence alternée?
L’émissaire français Jean-François Girault n’a pas encore achevé sa mission au Liban que déjà des scénarios circulent sur un éventuel dialogue entre le chef des Forces libanaises, Samir Geagea, et celui du Courant patriotique libre, Michel Aoun. D’ailleurs, mardi, ce dernier a affirmé que la porte de Rabié est ouverte à tous ceux qui veulent discuter de la préservation de la République qui passe par un véritable partenariat. Dans certains milieux maronites, on évoque la possibilité d’un accord entre les pôles maronites, avec la bénédiction de Bkerké, sur une présidence alternée (et alternative), quatre ans pour le général Aoun et deux ans pour Samir Geagea, comme une formule de compromis… Mais aucun élément concret n’est venu accréditer cette hypothèse. 

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