Magazine Le Mensuel

Nº 2997 du vendredi 17 avril 2015

ACTUALITIÉS

La mouvance jihadiste. Un phénomène inquiétant en Jordanie

La communauté salafiste jihadiste en Jordanie est en nette expansion, depuis le début de la guerre en Syrie. Mais ces militants d’Allah qui, au début du conflit, se portaient volontaires auprès du Front al-Nosra semblent avoir changé de bord et se trouvent de plus en plus nombreux, aujourd’hui, au sein de l’organisation de l’Etat islamique. Ce danger paraît préoccuper les autorités jordaniennes qui surveillent sans relâche les militants se trouvant sur leur sol.

La guerre en Syrie a attiré des milliers de jihadistes venus du monde entier, dont le nombre aurait atteint près de 20 000, selon les derniers chiffres disponibles. Les Jordaniens, eux, représenteraient un des plus gros contingents étrangers en Syrie, avec près de 2 000 éléments ayant combattu au sein des mouvances radicales dans ce pays. Selon le chercheur Hassan Abou Haniya (lui-même un ancien salafiste), près de 80% d’entre eux combattraient dans les rangs de l’Etat islamique (EI ou Daech).
«L’Etat islamique a concrétisé aux yeux des jihadistes le désir de la khilafa (le califat)», assure Abou Haniya. Une opinion que partage l’expert dans le domaine des mouvances radicales, Marwan Shehadeh. «L’EI a adopté un discours pragmatique et revendique une cause justifiée (la guerre en Syrie et en Irak) selon de nombreux musulmans, ce qui explique sa popularité aujourd’hui. Mais l’organisation s’est également rendu compte que la route vers Jérusalem ne pouvait que passer par la Syrie et la Jordanie», ajoute Shehadeh. Le recours à un discours sectaire dans un contexte de polarisation extrême a également permis à l’EI de mobiliser les jeunes Jordaniens. Cette stratégie avait été adoptée dans le passé par Abou Moussab el-Zarqaoui, un salafiste jordanien réputé pour sa brutalité, considéré aujourd’hui comme le père spirituel de l’EI.
Une fois de plus, le courant salafiste jihadiste jordanien se trouve partagé entre deux tendances. Selon Abou Haniya, la rivalité prévalant durant les années 2000, qui étaient marquées par le tandem Abou Moussab el-Zarqaoui et le cheikh Abou Mohammad Maqdessi, se trouve ravivée aujourd’hui par les divisions entre l’EI et le Front al-Nosra. Mais le professeur Mohammad Abou Roummaneh, chercheur auprès du Centre de recherche stratégique de l’Université de Jordanie, estime que le facteur qui pourrait expliquer la baisse de popularité du Front al-Nosra tient au fait que cette organisation «est en quête d’identité», commente-t-il.
 

De nombreuses pertes
Les salafistes jordaniens ont subi de nombreuses pertes en Syrie, provenant de diverses villes jordaniennes comme Salt, Maan ou Irbid. A ce jour, 350 Jordaniens auraient été tués, selon Abou Haniya. Près de 400 autres auraient été également arrêtés par les services de renseignements.
Le passage des jihadistes jordaniens d’une faction radicale à une autre peut être illustré par le cas d’Ahmad Atallah Chbeib el-Majali, un capitaine de l’armée de l’air, qui avait fait défection pour s’enrôler dans les rangs du Front al-Nosra en juillet 2013. Majali, membre d’une tribu du secteur de Karak, est devenu en quelque sorte une célébrité après la publication de sa photo en militant barbu arborant un AK-47. Il aurait rejoint l’EI quelques mois après sa défection du Front al-Nosra, avant d’être tué lors d’une bataille à l’été 2014.
Le parcours des jihadistes jordaniens remonte toutefois aux années 2000 et à la guerre d’Irak. Une première tentative de déstabilisation de la monarchie avait été tentée en 2004 par Zarqaoui, qui avait prévu de faire exploser des bombes chimiques dans la capitale Amman en ciblant le siège des services de renseignements et l’ambassade américaine. En novembre 2005, au plus fort de la guerre en Irak, al-Qaïda, par le bais d’une cellule formée par Zarqaoui, organise plusieurs attentats à la bombe visant simultanément plusieurs hôtels de la capitale et causant la mort d’une soixantaine de personnes et plus d’une centaine de blessés.

 

Al-Nosra infiltré
Les salafistes jihadistes ont un programme ambitieux qui s’étend bien au-delà de la défense des Syriens sunnites et revendiquent également l’établissement d’un gouvernement islamique et l’application de la charia. Cet objectif est difficilement réalisable en Jordanie où existe une puissante monarchie. La communauté salafiste jihadiste en Jordanie atteindrait actuellement près de 8 000 à 12 000 supporters. Mais malgré la popularité croissante du salafisme dans ce pays, la grande majorité des Jordaniens n’aspirent pas pour autant à mener le jihad en Syrie et ne soutiennent pas nécessairement les mouvances radicales comme al-Qaïda ou l’EI. Abou Haniya indique que seuls 5% de la population jordanienne soutiendraient les nébuleuses extrémistes. «La mort atroce du pilote jordanien, Muaz kassasbé, a profondément affecté les Jordaniens et a desservi les salafistes jihadistes», explique le Dr Abou Roummaneh.
Afin de contrer la vague salafiste, les autorités ont pris certaines mesures draconiennes, en effectuant une surveillance serrée des frontières, arrêtant les jihadistes tentant de joindre les mouvances radicales, le plus souvent via la Turquie ou d’autres pays arabes. Selon Marwan Shehadeh, près de 60% des personnes arrêtées, et qui font l’objet de poursuites judiciaires en Jordanie, sont originaires des villes de Rusayfa et Zarqaa. Bien que l’Etat se montre toutefois plus clément envers les salafistes transjordaniens, les personnes interceptées aux frontières entre la Jordanie et la Syrie sont souvent abattues directement.
Les services de renseignements jordaniens ne s’en tiennent pas uniquement à l’arrestation et à la poursuite des jihadistes, mais seraient également parvenus à infiltrer la mouvance du Front al-Nosra, selon certaines sources salafistes. «L’EI est moins susceptible d’être exposé au travail d’espionnage de la part de pays étrangers, car il dispose d’un service de renseignements interne très puissant, qui effectue un travail de surveillance important», assure Shehadeh.
La guerre civile syrienne, ne laissant prévoir aucun dénouement proche, fait que l’augmentation du nombre de jihadistes salafistes jordaniens et leur passage en Syrie ou en Irak pourraient accroître les risques qu’affronte le royaume hachémite au quotidien.
A plus long terme, ce renouveau salafiste, notamment au sein des générations plus jeunes de Transjordaniens, pourrait éroder les normes tribales et affaiblir les structures traditionnelles dans un segment de la population considéré comme le maillon fort de la monarchie. Cependant, la préoccupation la plus immédiate demeure de contrer l’idéologie totalitaire de l’EI qui parvient à séduire et mobiliser certains jeunes dans une lutte qui s’avère de plus en plus sanglante.

Mona Alami, Amman
 

Surveillance des frontières
Au cours de ces deux dernières années, Amman a demandé à Washington de l’aider à renforcer la sécurité de ses frontières, se concentrant spécifiquement sur ses capacités de surveillance et de reconnaissance. En mars dernier, Derek Chollet, secrétaire adjoint à la Défense pour les affaires de sécurité internationale, a déclaré au Comité sénatorial des relations étrangères qu’en plus de près de 300 millions de dollars en financement militaire étranger, l’Administration Obama assurait «la fourniture d’équipements et la formation qui viendront compléter la sécurité des frontières en Jordanie et l’amélioration de la capacité de l’armée jordanienne pour détecter et intercepter les tentatives illégales de traverser la frontière, et repérer les tentatives de contrebande d’armes de destruction massive». Mais le terrain accidenté le long de la frontière, auquel s’ajoute un grand nombre d’infiltrés, va accroître la pression sur le commandement des gardes-frontières et de la Direction générale du Renseignement, qui est également responsable de la surveillance de près d’un million de réfugiés syriens dans le royaume.

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