Magazine Le Mensuel

Nº 3049 du vendredi 15 avril 2016

general

Parisienne de Danielle Arbid. Un film qui s’impose

C’est le grand retour de Danielle Arbid sur le grand écran libanais. Un retour éclatant avec la sortie de Parisienne et les mots de la cinéaste que Magazine a rencontrée.

Le film Parisienne de Danielle Arbid porte bien son nom. Qui transporte un effluve de Paris. Paris vu par le prisme de Danielle Arbid, par rapport à son vécu, à ses expériences, à ses rencontres… Paris filtré par le cinéma, et c’est toute une autre histoire. «Tous mes films sont autobiographiques», dit Danielle Arbid. On le sait, on le sent. Et on s’imagine la réalisatrice dans la peau de son personnage principal. Sauf que, on a beau vouloir tendre des parallèles, se dire qu’elle raconte sa vie là-bas, quand elle a débarqué à Paris pour poursuivre ses études, pour fuir d’une certaine manière son pays, le Liban. Oui mais… «Ce n’est pas l’histoire de ma vie, ce n’est pas mon histoire telle que je l’ai vécue en France. Il y a des éléments qui restent tels que, mais il y a des rencontres, des personnages qui sont le fruit d’un mix entre deux personnes», ajoute-t-elle. «Je construis un film à partir de la vérité telle que je la vois. Toute la vérité, je la trouve en moi, dans les gens autour de moi, les gens que je rencontre, dans les photos, les musées… Ça part d’un sentiment très vrai, très fort, écrire un scénario, après ça devient du travail, de la construction, une architecture, qu’on ne peut pas déstabiliser, où on ne peut pas se répéter… Et c’est comme ça que le film avance».
Et Parisienne progresse par doses de lumière, même quand rien ne va plus. Parce que la caméra de Arbid sait où se placer pour créer cette lumière qu’elle fait ressortir, de ses personnages, des lieux qu’elle filme, des dialogues qui s’échangent, qui se construisent, des corps qui se meuvent au plus près de l’expérience charnelle, sans aucun voyeurisme, mais dans un appel à l’intime personnel, dans les relations qui se tissent. En premier lieu, la relation entre Lina Karam, la protagoniste, et Paris, la ville où elle vient de débarquer. Une relation qui évolue à travers les rencontres qu’effectue Lina, à commencer par le clash avec son oncle, ou plus justement le mari de sa tante qui l’accueille à Paris, pour se développer au fil de ses «relations amoureuses», ses rencontres avec les trois hommes, Jean-Marc (Paul Hamy), Julien (Damien Chapelle) et Rafaël (Vincent Lacoste) qui chacun d’eux, tour à tour, lui donne un cadeau; le premier la décomplexe physiquement, le second lui octroie la liberté émotionnelle et le troisième une conscience politique. Il y a aussi les autres personnes que Lina croise, sa prof de fac, magnifique présence de Mme Gagnebin, interprétée par Dominique Blanc, des camarades de fac… autant de facettes différentes de Paris. «Plus elle rencontre de gens, plus elle change», affirme la réalisatrice. Ou elle vit plus ou elle meurt un peu, mais elle change».
Danielle Arbid en est convaincue, et dans la vie et dans le cinéma. «Les gens te font, les rencontres te font vivre, on s’influence les uns les autres, on se nourrit les uns des autres». Tout comme elle-même se construit en tant que personne au fil de ses rencontres, ses personnages se construisent au fil de la rencontre avec les acteurs; les acteurs qui changent un rôle. Et de raconter comment son actrice principale, Manal Issa, qu’elle a révélée au grand écran, après l’avoir littéralement trouvée parmi 600 candidatures, alors qu’elle ne pensait pas jouer prise par ses études d’ingénieur, est «plus passive dans la vie que Lina, mais, ajoute Arbid, elle a quelque chose du personnage que j’ai tout de suite vu, cette envie de vivre les choses. Elle a un côté beaucoup plus en retrait que moi. Le rôle d’ailleurs était beaucoup plus sauvage, beaucoup plus bagarreur, alors que Manal a une douceur, elle plane, elle n’a pas besoin de se battre. Du coup, le rôle est contaminé par ce qu’elle est. Je vole de Manal, je prends ce qu’elle est pour l’amener à faire ce que je veux». Une méthode de travail qu’elle applique avec tous ses acteurs, pour tous ses films, guidée par cette interrogation et ce modus operandi qui consistent à vivre pleinement sa relation avec ses acteurs pour voir pourquoi elle les a choisis, pour essayer de trouver en eux ce qui fait partie d’elle.
 

Dans le cadre, une vie hors cadre
Pour cela, elle rencontre beaucoup d’acteurs pour en trouver un, côtoyer ensuite ses acteurs, avant le tournage, pendant le tournage, pour vivre les choses ensemble et mettre toute son équipe en condition pour «qu’on vive ce qu’on raconte… Pour moi, c’est cela faire du cinéma. Etre en condition pour sentir les choses au maximum, en me disant que si j’arrive à rendre la relation avec les gens de qualité et le plus fort possible, ça va se voir dans le film. Car le film est une réalité bis, construite dans un laps de temps très fermé et qu’on doit faire vivre intensément dans ce laps de temps, pendant le tournage. Pour avoir un film éclatant, il faut que cette réalité soit encore plus passionnée».
Avec Parisienne, Danielle Arbid poursuit son cheminement entamé dans son premier film, Dans les champs de bataille, qui renvoie à l’enfance, à la colère, poursuivi dans son second long métrage, Un homme perdu, autour de l’errance, de la violence et lié par ce quatrième film axé sur l’installation; une sorte de trilogie qu’elle n’avait pas pensée comme telle au début où ces trois films se répondent, avec la parenthèse de Beirut Hotel qui évoque la peur et la paranoïa, où elle a expérimenté le film de commande pour Arte, qu’elle pensait personnel mais où elle a souffert en raison des problèmes rencontrés durant le tournage par rapport à sa relation avec les comédiens.
Parisienne, on pourrait se demander s’il s’agit d’un film libanais ou français. Mais au final, peu importe. C’est un film qui n’a pas à être défini par sa nationalité. C’est un film qui s’impose tout simplement. Par son style, celui bien précis de Danielle Arbid, par son sujet, ses acteurs, ses dialogues, son sens, sa portée. Parce que c’est dans le plus personnel que réside l’universel, l’émotion qui affleure à chaque prise de vue est authentique, poignante et nous interpelle tous. On pourrait tous être Lina par l’une ou l’autre de ses multiples facettes, sans avoir pour autant vécu son parcours.

Nayla Rached
 

5e film en cours…
Exit le Liban pour le moment, où elle ne compte pas tourner prochainement, notamment après la forte émotion ressentie lors du tournage de certaines scènes «libanaises» de Parisienne, Danielle Arbid planche déjà sur son 5e long métrage. Une adaptation du livre d’Annie Ernaux, Passion simple, une grande histoire d’amour, une passion, à Paris, entre une femme de 40 ans et un homme étranger. Parce que l’univers des deux artistes se ressemble, parce que l’admiration est mutuelle, Danielle Arbid s’attaque à ce grand monument de la littérature. Tout un travail d’écriture et de réécriture, «le livre est inadaptable, dit Danielle Arbid, il est très difficile, parce qu’il s’agit d’une femme qui attend, il vient quand il veut». Film «ambitieux, charnel, érotique», et le sourire entendu se dessine sur les lèvres de la cinéaste, ce sera «l’histoire d’une femme qui tombe… amoureuse… mais qui tombe…».

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