Magazine Le Mensuel

Nº 3054 du vendredi 20 mai 2016

Spectacle

Une guitare?… non, un n’goni. Plongée dans l’univers de Bassekou Kouyaté

Le théâtre Tournesol était plein à craquer, le samedi 14 mai, de tous âges et de tous horizons: sur la scène, le joueur de n’goni, Bassekou Kouyaté, et son groupe.
 

Nombreux, ils sont venus du Mali, du Sénégal, d’Ethiopie, du Soudan… et du Liban, dans un rubik’s cube chargé de couleurs et de cultures. Salle comble ce samedi 14 mai, au théâtre Tournesol pour un concert qui sent bon les airs du Mali, une énergie entêtante et terrestre présentée par Bassekou Kouyaté et son groupe Garana Roots.
Bassekou Kouyaté est un maître du n’goni, un des plus anciens instruments d’Afrique de l’Ouest. Un instrument typiquement malien entre la harpe et la guitare. Composé initialement de quatre cordes, son histoire remonte au XIIe siècle et s’entremêle à la culture des griots.
Une introduction historique et culturelle, parce que l’une des particularités de Spring Festival justement est de permettre au public libanais d’avoir accès à des expressions artistiques qu’il n’est pas habitué à voir présenter au Liban. Après la découverte de l’univers indien du Kathakali et son langage codé, constitué d’une multitude d’expressions faciales et de mouvements du corps, à travers une soirée particulière présentée le 8 mai, par le Kerala Kathakali Center, voici maintenant une plongée dans l’univers malien du n’goni.
«Mon groupe, c’est ma famille», dit Kouyaté. Il est accompagné, en effet, de son fils aîné au g’noni basse, de sa fille au chant, de son frère cadet aux percussions, et de son frère aîné au chant notamment. Et il regrette que sa femme n’ait pas pu l’accompagner dans sa visite puisqu’elle est, elle aussi, en tournée avec son groupe. C’est dire un peu la musique qui habite cette terre malienne, qui est avant tout une histoire de transmission, qui résiste encore et toujours face à une mondialisation de plus en plus occidentalisée.

 

Chaleur de l’ambiance et des sourires
C’est d’ailleurs ce que souligne, à plus d’une reprise, Bassekou Kouyaté, quand il explique à l’audience avoir modernisé son instrument, en lui ajoutant des pédales, comme à une guitare, alors qu’il ne s’agit nullement d’une guitare, montrant ainsi que la culture malienne et ses instruments ne sont pas suffisamment exploités dans la musique mondiale. Un instrument en voie d’extinction et qui gagnerait tellement à se propager encore plus.
Instrument caméléon, le n’goni, sous les doigts de Bassekou Kouyaté, se transforme en mille et un sons, aussi bien acoustiques qu’électriques. Un écrin parfait où se pose la voix. S’il est une particularité du chant africain, c’est le contact instantané, voire inné, qui s’établit aussitôt avec la terre. Une voix, un ton, un timbre qui épousent les modulations de la terre, son anatomie à la fois rocailleuse et étendue. A voir, à entendre le frère de Bassekou Kouyaté entonner ces vocables, incompréhensibles pour nous, mais la musique n’a pas de frontières, on dirait qu’ils ne nécessitent aucun effort, comme coupés à la gorge. Sensation différente quand Oumou Deli Kouyaté chante; voix chaleureuse et sensuelle, c’est une autre facette de la terre d’Afrique qu’elle véhicule de par sa voix. C’est aussi l’image d’une nouvelle génération, inscrite à la fois dans un moule universel et identitaire, porteuse d’une tradition millénaire et toujours au
goût du jour.
Destiné essentiellement à l’écoute des rois, Bassekou Kouyaté a fait vibrer son n’goni pour nous qui, ce soir, comme il l’a dit tout sourire, étions «des rois et des reines». Alternant entre des chansons calmes et des chansons gorgées de chaleur, le public n’a pas hésité une seconde à répondre à l’invitation à danser. De part et d’autre de la salle, hommes, femmes et enfants, les corps se mouvaient au rythme. Et en «encore», c’est le public hétéroclite du Spring Festival qui envahit la scène, nos sourires francs porteurs d’une soirée inoubliable de rythmes chaleureux et de partage.

Leila Rihani

Photos Marwan Tahtah

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