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Nº 3055 du vendredi 27 mai 2016

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Qualifiés et moins chers que les Occidentaux. Les Libanais sont irremplaçables pour les pays du Golfe

Cinq cent mille Libanais travaillent dans le Golfe, dont trois cent mille en Arabie saoudite. Que se passerait-il en cas d’expulsions massives? Avec les deux tiers des transferts de fonds provenant de ces pays, quelles seraient les conséquences sur le tissu social et économique libanais?

Selon une étude de Choghig Kasparian, professeure à l’Université Saint-Joseph (USJ) de Beyrouth, 66% des Libanais qui perçoivent des transferts provenant des émigrés considèreraient cette aide «indispensable» à leur vie quotidienne. Les transferts d’émigrés représenteraient, quant à eux, 40% des revenus des ménages percevant ces aides.
Alors que deux tiers des transferts de fonds au Liban proviennent des pays du Golfe, que se passerait-il en cas d’expulsions massives? Ce scénario est-il probable? Les 500 000 Libanais travaillant dans ces pays sont-ils remplaçables?
Pour Georges Corm, ancien ministre des Finances, «ces menaces ne sont qu’intimidation et il est très peu probable que les pays du Golfe puissent se passer facilement d’une main-d’œuvre trilingue et éduquée comme celle des Libanais».
C’est également ce que souligne l’économiste en chef de la banque Audi, Marwan Barakat: «Il est possible qu’il y ait quelques expulsions pour des raisons politiques, mais il s’agirait au plus de dizaines ou de centaines de cas, tandis que la diaspora dans les pays du CCG représente un demi-million de Libanais. Il est peu probable que cela affecte, de manière très significative, les transferts de fonds vers le Liban».
 

L’apport dans la «com»
Georges Corm va même plus loin: «Ce sont les Libanais qui ont contribué à la croissance de ces économies et ces pays ont besoin d’eux. Dans la construction, la communication ou encore la nuit à Dubaï, les Libanais possèdent un savoir-faire et un esprit d’entrepreneuriat qui ont participé à faire des pays du Golfe ce qu’ils sont aujourd’hui».
L’une des meilleures illustrations de la contribution des Libanais à l’économie des pays du Golfe est le secteur de la communication. Moustafa Assad en sait quelque chose: après avoir racheté et développé l’agence Publi-Graphics dans la région (devenue Publicis Graphics après fusion), le communicant est aujourd’hui P.D.G. de Front Page Communication. Pour lui, il n’y a pas de doute: les Libanais ne sont pas remplaçables dans le secteur de la communication en tout cas. L’homme d’affaires se souvient avoir ouvert son premier bureau au Koweït en pleine guerre civile libanaise. «A cette époque, le secteur de la communication était complètement inexistant dans ces pays, ce sont les Libanais qui ont introduit la communication dans les pays du Golfe, en amenant leur expertise, leur  notoriété, culture et surtout leur compréhension de l’importance de la communication dans le monde des affaires».

 

Difficultés économiques
Aujourd’hui, les médias dans le Golfe sont à plus de 60% entre les mains des Libanais, selon les chiffres du professionnel. «Avec tout le respect que nous leur devons, non ils ne peuvent pas se passer de nos atouts et compétences de communicants. Aujourd’hui, le monde évolue rapidement et avec l’arrivée du digital, la communication a encore pris de l’importance. Désormais, elle est l’arme la plus redoutable dont aucun pays ne peut se passer et les pays du Golfe ne maîtrisent pas cet outil. Ce sont les Libanais qui ont amené les universités dans le Golfe et ils sont bien conscients que nous sommes incontournables dans ce domaine».
Pour Ibrahim Lahoud, directeur général de l’agence, «les pays du Golfe ont besoin des Libanais comme nous avons besoin d’eux. Il ne faut pas qu’on commence à exporter nos problèmes politiques, car cela risque d’affecter les expatriés qui sont un fer de lance de l’économie libanaise».
Pour lui aussi, les monarchies du Golfe ne peuvent pas se passer des Libanais. «Les Libanais dans le Golfe ne sont pas remplaçables, s’ils le font cela leur coûtera très cher parce que nous constituons là-bas le meilleur retour sur investissement qu’ils peuvent trouver. Le Libanais est plus efficace qu’un Européen, il parle l’arabe et connaît la culture du Golfe, tout en restant moins cher. Par ailleurs, les Libanais ont un esprit entrepreneurial sans pareil. Alors que les Européens sont uniquement de passage dans le Golfe, les Libanais s’adaptent, s’installent et entreprennent».
Si les tensions diplomatiques n’affolent pas, a priori, les experts interrogés, tous soulignent la dépendance des Libanais de la bonne santé économique de ces pays. «La baisse des prix du pétrole a eu des conséquences bien plus graves pour l’emploi des Libanais dans le Golfe que les tensions diplomatiques, insiste Georges Corm. Il en est de même pour la crise que connaît actuellement l’Arabie saoudite».
A ce sujet, Marwan Barakat se veut rassurant: «Ces pays ne connaissent pas de récession économique conduisant à des licenciements massifs. La croissance économique du CCG s’est établie à 3,4% en 2014, selon le Fonds monétaire international (FMI). Elle est estimée à 3,3% en 2015 et prévue à 2,8% en 2016».


Arabie: angoisse sur le royaume
Cela fait deux ans que Waël, 36 ans, travaille dans le secteur des fusions et acquisitions à Jeddah, en Arabie saoudite. Pour rien au monde, il ne quitterait le royaume. «Il est vrai que la pression est quotidienne sur les Libanais, raconte-t-il. Nous ressentons un climat de crainte et de méfiance. Ici, tout le monde en parle. Si tu es libanais, tu dois faire attention. Même si nous n’avons pas encore été témoins d’expulsions massives comme dans d’autres pays, beaucoup de Libanais ont peur que leurs visas ne soient pas renouvelés, en particulier les chiites».
La tension est montée d’un cran lorsque le royaume wahhabite a publié un décret obligeant chaque résidant à signaler toute personne susceptible d’entretenir des liens politiques, idéologiques ou financiers avec le Hezbollah. Résultat: selon Waël, beaucoup de Libanais vivant dans le royaume seraient aujourd’hui en train de vendre leurs affaires pour sortir du pays en raison d’une certaine «xénophobie sur le secteur financier».
«Il est vrai que nous sommes également hésitants à embaucher des Libanais par peur que le royaume ne leur accorde pas de visas. On recherche beaucoup de profils anglophones et arabophones, mais nous avons peur de perdre du temps avec des candidatures libanaises qui pourraient ne pas être acceptées».
Au-delà des craintes diplomatiques, ce qui inquiète bien plus Waël et l’ensemble des Libanais vivant en Arabie saoudite est les conséquences de la crise économique du royaume sur l’économie libanaise. «Il y a des Libanais qui n’ont pas été payés depuis des mois. Trois mille ingénieurs devraient, quant à eux, retourner au Liban avant la fin de l’année, non pas en raison des tensions diplomatiques, mais à cause de la crise économique qui sévit».

Soraya Hamdan

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