Magazine Le Mensuel

Nº 3073 du vendredi 6 janvier 2017

Société

Pour 3 000 réfugiés syriens. Aller simple pour la France

Comme François Hollande l’avait annoncé en avril 2016, la France a accueilli 1 500 réfugiés syriens supplémentaires sur son sol l’an dernier et en accueillera autant en 2017. Magazine a pu assister à une mission de l’Office français pour les réfugiés et apatrides, à la fin de l’an dernier, à Beyrouth.


Ils sont tout juste une dizaine à s’être rassemblés, ce matin-là, dans un lieu de la capitale, que nous ne nommerons pas par mesure de sécurité. Quelques enfants, sans doute inconscients de ce qui se joue là, s’amusent en toute innocence. Ce sont tous des réfugiés syriens, installés provisoirement au Liban. Pour certains, depuis le début de la guerre en Syrie. Aujourd’hui va peut-être se jouer toute leur vie. Les quelques familles présentes attendent d’être entendues, à tour de rôle, par des officiers de l’Office français pour les réfugiés et apatrides (Ofpra), venus pour une mission de quinze jours, en novembre 2016. Un entretien crucial avec, à la clé, un aller simple pour la France.
Devant les familles rassemblées dans le hall, Ludovic, chef de mission de l’Ofpra, explique, calmement, avec l’aide d’un traducteur, le déroulement des entretiens. Ils rencontreront, chacun leur tour, un agent de l’Ofpra. Dans l’un des bureaux, une jeune femme triture avec anxiété son sac à main. En face d’elle, un agent lui explique, d’une voix douce, qu’il l’interrogera au cours d’un entretien qui restera confidentiel: «Après une vérification de votre état civil, nous discuterons ensemble des motifs de votre départ de Syrie et des raisons pour lesquelles vous ne pouvez pas rentrer dans votre pays». «Vous pouvez parler en toute liberté; n’ayez pas peur!», la rassure-t-il. La porte se referme, l’entretien se poursuivra à l’abri des oreilles indiscrètes.

De l’espoir
A l’extérieur du bâtiment, assise sur un banc, Leila*, entourée de ses trois filles âgées de 5, 9 et 10 ans, attend son tour, un grand sourire affiché sur son visage et les yeux remplis d’espoir. «Je viens de la banlieue de Homs. Nous avons quitté la Syrie, depuis cinq ans maintenant, pour protéger nos enfants», explique-t-elle. Après maintes péripéties pour entrer au Liban, son mari et elle se sont installés, avec leurs trois enfants, dans un petit appartement de Tripoli, qu’ils partagent avec trois autres familles. «Notre vie est très précaire. Nous devons payer 350 dollars par mois de loyer et c’est très difficile de faire scolariser nos filles». Qu’attend-elle de la France? «Je suis très contente à l’idée d’aller en France, se réjouit Leila. C’est un pays de civilisation, de culture, où les gens sont tolérants et où nous pourrons trouver de la sécurité pour nos enfants». Optimiste, elle ne doute pas que ses filles apprendront rapidement le français pour poursuivre leurs études stoppées net par le conflit et trouver un métier. Son mari, Hassan*, maçon de formation, affiche aussi son enthousiasme. «La France est belle, civilisée, humaniste, avance-t-il, mais je suis prêt à aller dans n’importe quel pays». Parfaitement conscient qu’il ne pourra pas retourner de sitôt en Syrie, il regarde l’avenir d’un œil optimiste. «Mon pays est en guerre. Ce que je veux, c’est retrouver un métier, une maison, que ma famille vive en sécurité». L’aînée des filles, âgée de 10 ans, avoue, quant à elle, sa hâte de retourner sur les bancs de l’école.
Plus loin, Khaled*, un père de famille au physique massif, est entouré de ses cinq enfants, dont un bébé d’à peine quelques mois. Il revient tout juste de son entretien avec un agent de l’Ofpra. Lui aussi est originaire de Homs et a trouvé refuge, depuis 2012, à Tripoli, où il partage un appartement avec quatre familles. «Ici, je n’ai pas de travail stable; nous vivons au jour le jour», explique ce Syrien qui exerçait comme soudeur de fer forgé dans son pays. «Je veux partir d’ici, pour pouvoir donner une chance à mes enfants, une chance d’avoir une vie normale, saine, en sécurité». A-t-il quelques appréhensions, à l’idée de s’envoler dans un pays qu’il ne connaît pas? «Pourquoi j’aurais peur? Je viens d’un pays en guerre», répond-il calmement. «Tant qu’il y a de la justice, je n’ai pas peur». Il confie ensuite avoir déjà quelques membres de la famille en Europe. «J’ai déjà un cousin germain, qui a pu entrer en France via le Haut Commissariat des Nations unies aux Réfugiés (UNHCR), et une tante qui vit en Islande».

Priorité aux vulnérables
De cet entretien, mais aussi de leurs dossiers, préparés en collaboration avec le UNHCR, dépendra leur avenir. L’organisme est chargé de sélectionner les personnes les plus vulnérables qui seront accueillies et prises en charge par la France, en bénéficiant du statut de réfugié. La vulnérabilité est établie au cas par cas. Pour les réfugiés syriens installés sur le sol libanais, les personnels du UNHCR ont permis de voir quelles personnes présentaient un profil d’urgence, parfois vitale. L’Ofpra procède évidemment à des vérifications sur l’histoire des personnes auditionnées, grâce à une bonne connaissance du terrain. Le ministère français de l’Intérieur recoupe également les informations, en envoyant des agents au Liban. La vigilance est de mise, surtout depuis les attentats meurtriers qui ont endeuillé la France.
Depuis Paris, Mourad Derbak, chef de la division Europe-Maria Casarès à l’Ofpra, explique à Magazine: «Les personnes qui bénéficieront du statut de réfugié peuvent, par exemple, avoir très vite besoin de soins médicaux, faire l’objet de menaces liées à la guerre, présenter des traumatismes importants qu’on ne décèle pas forcément tout de suite, après des tortures par exemple. Il peut aussi s’agir d’une mère qui se retrouve isolée et sans ressources pour élever ses enfants». Le statut de réfugié, établi conformément à la Convention de Genève, permet à l’Ofpra de redonner un état civil à chacun, via l’octroi d’une carte de résident de dix ans et un titre de voyage de deux ans renouvelable.
Une fois le statut de réfugié accordé par l’Ofpra, la route est encore longue. A leur arrivée sur le sol français, c’est toute une organisation qui se met en place. Un préfet, Jean-Jacques Brot, a la lourde charge de coordonner le travail effectué entre les collectivités territoriales et les associations, afin que les réfugiés puissent trouver leur place. Selon les profils, les Syriens se verront ainsi proposer un logement, dans une petite ville de province ou à la campagne. «L’objectif, explique M. Derbak, est de permettre à ces gens de regagner une autonomie qu’ils n’avaient plus». Les réfugiés bénéficieront sur place «de droits sociaux, comme les allocations familiales, un revenu minimum, une couverture médicale gratuite ou encore l’accès à l’école publique pour les enfants». De même, ajoute Mourad Derbak, «des cours de français sont assurés pour les adultes, afin de leur permettre, plus tard, de trouver un emploi» et de s’insérer dans la société française, tandis que «les enfants l’apprendront, généralement, en l’espace de six mois», sur les bancs de l’école. En parallèle, et pour conserver leur statut, les réfugiés ont interdiction de rentrer en Syrie, mais aussi d’établir des contacts avec les autorités de leur pays d’origine.
D’autres missions de l’Ofpra auront lieu en 2017, conformément à la promesse de François Hollande, d’accueillir 3 000 réfugiés syriens supplémentaires sur son sol entre 2016 et 2017, au cours de son voyage au Liban, en avril 2016.
*Les noms ont été modifiés pour protéger l’anonymat des personnes.

10 000 demandeurs d’asile en france
L’ambassadeur de France au Liban, Emmanuel Bonne, précise que plus de 10 000 Syriens ont été accueillis en France au titre de l’asile et se sont vu délivrer un visa de long séjour. Le diplomate ajoute que c’est là une manière «d’exprimer notre solidarité avec le Liban», à qui la France a aussi attribué 100 millions d’euros d’aide en avril dernier. «Je salue d’ailleurs les efforts du Liban pour gérer cette crise très grave, dans laquelle personne ne peut donner de leçons», déclare encore l’ambassadeur de France.

Jenny Saleh

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