Magazine Le Mensuel

Nº 3076 du vendredi 7 avril 2017

Cinéma en Salles

Tramontane (Rabih), de Vatche Boulghourjian. Quand tombent les Œillères

On en a déjà tellement entendu parler depuis Cannes, le public libanais pourra enfin voir le premier-long métrage de Vatche Boulghourjian, Tramontane (Rabih). Une quête d’identité sur les routes du Liban.

C’est une longue histoire que celle du premier film du réalisateur libanais Vatche Boulghourjian, Tramontane (Rabih) bien avant sa sortie dans les salles. L'histoire du film remonte jusqu’à la dernière édition du Festival de Cannes. C’est en effet le premier film libanais à être entré en compétition à la 55e Semaine de la Critique, avant de débuter un parcours dans le monde entier. Et de permettre à Julia Kassar de remporter le Muhr de la meilleure actrice lors de la dernière édition du Festival International du film de Dubaï fin 2016.
Le film sort enfin sur nos grands écrans, le 4 mai, après avoir été projeté en ouverture de la 9e édition des Journées cinématographiques de Beyrouth (Ayam Beirut al-Cinema’iya).
Passé sous tension. On est loin de Beyrouth, dans une des régions du pays, une maison typiquement libanaise. Une grande table dressée dans l’arrière-cour, autour de laquelle se rassemblent parents et amis pour entendre le jeune Rabih, musicien aveugle, chanter et jouer de la darbouka, entourée de sa mère attentionnée et de son oncle maternel aimant. Un tableau presque idyllique qui ressemble à nos dimanches. Pourtant, comme en aparté, un visiteur inopportun demande à voir l’oncle. D’emblée, la tension s’incruste à la caméra, à l’image, pour ne plus nous lâcher, ombre du passé qui grouille et s’enrouille, sous la menace d’une révélation, d’un présent dans lequel nous continuons à vivre, les œillères bien en place, aveugles.
Tramontane ou Rabih, un double titre qui renvoie d’un côté au personnage principal, et de l’autre à ce vent de la Méditerranée qu’on risque de perdre, figurativement parlant, comme un signe de désorientation. Une désorientation en crescendo que le protagoniste subit comme un revers de la vérité qu’il ne cessera de poursuivre. Invité avec sa chorale à se produire en Europe, il découvre, lors des formalités pour obtenir son passeport, que sa carte d’identité est falsifiée, illégale, fausse, mensongère. La montagne de mensonges commence à s’amonceler autour de lui, de plus en plus imbriquée, de plus en plus morcelée, basée sur une seule certitude: il n’est pas le fils biologique de ses parents. Empreint d’une colère déterminée envers sa mère et son oncle, qu’il rejette d’un coup, il décide de partir seul, tout autour du Liban, à la recherche de ses parents, de la vérité.
Entre le «road movie» et le film d’introspection, Rabih tente de démêler l’écheveau de son existence, de sa cécité. Les fils s’entrecroisent, chacune des personnes rencontrés, des régions visitées, semble détenir un morceau du puzzle, un pan de l’histoire révélée toujours en partie, jamais dans son entièreté, habitée de trous noirs où s’entortillent la kyrielle de sentiments.

Une métaphore du Liban
Rabih se distingue par sa construction très élaborée, tablant sur l’évidence des métaphores et le format classique, évitant de prendre des risques cinématographiques, mis à part le choix d’un acteur aveugle, Barakat Jabbour, et surfant sur les émotions sans s’y engouffrer. Une impression de froideur plane sur le film, mais peut-être renvoie-t-elle à la nécessité de garder la tête froide afin d’aborder la guerre libanaise civile et fratricide.
Au-delà de la chaleur des paysages filmés, Rabih a recours à un langage cinématographique et scénaristique chargé de codes, de métaphores et de symboles simples dans leur évidence première, à la portée de tous. Un film comme métaphore du Liban, une cécité devant notre refus volontaire de voir. Et un final où la grâce du cinéma, qui faisait défaut auparavant au film, se révèle enfin, dans une dernière scène poignante, reliant dans une même image Rabih, sa mère et son oncle, une larme au coin de l’œil, sur le visage impénétrable de Toufic Barakat, cet ancien combattant de la guerre. L’histoire réside-t-elle dans cette larme suspendue ou dans l’accomplissement artistique de Rabih?
Sortie prévue en salles le 4 mai

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