Magazine Le Mensuel

Nº 3079 du vendredi 7 juillet 2017

Temps fort

Pour les producteurs: le financement, un calvaire

La croissance de la production de films libanais a atteint 675% sur ces dix dernières années! Comment expliquer cette hausse exponentielle, en l’absence quasi totale de subventions publiques? Comment sont produits les films libanais?

Au Liban, le ministère de la Culture n’accorde qu’une somme symbolique à l’industrie du cinéma (100 000 dollars par an répartis sur 10 à 15 films), sachant que le budget moyen pour produire un film libanais se chiffre entre 400 000 et 500 000 dollars. Une situation qui plonge les producteurs de films dans de véritables parcours du combattant pour parvenir à financer leurs œuvres.
«Chaque film est une aventure en soi, où nous devons rivaliser d’ingéniosité pour tourner», explique Pierre Sarraf, de Né à Beyrouth. En termes de production, les professionnels disposent de deux sources principales de financement que l’on appelle dans le jargon le «soft money» et le «hard money».
La première consiste à essayer d’obtenir des financements auprès de fonds régionaux, comme l’Institut du film de Doha, l’AFAC (Arab fund for culture and art) ou encore des subventions de pays européens qui, pendant longtemps, ont constitué la seule option de financement pour le cinéma libanais.«Si les réalisateurs disposent de la double nationalité, ils peuvent solliciter ces subventions, sinon il leur faudra trouver des partenaires français, suisses ou même belges pour coproduire leurs films», poursuit Pierre Sarraf. Ce fut le cas pour le film Go Home, de Jihane Chouaib, finalement coproduit avec la Belgique et la Suisse par exemple…
La seconde option de financement? C’est le «hard money», c’est-à-dire le recours aux investisseurs privés. «Dans ce cas-là, on parle de crédits et de risques associés au succès ou non du film», prévient le producteur.

Le modèle de Bosta
C’est le choix adopté par Philippe Aractingi lorsqu’il produit Bosta, en 2004. «Je me suis rendu compte que les Libanais ne cherchaient pas à voir leurs propres films. Ces films étaient associés, la plupart du temps, à des œuvres tristes évoquant la guerre sur le même ton etc. J’ai alors voulu réaliser un film drôle et décalé pour les Libanais. Seulement voilà, à cette époque, notre cinéma était encore largement dépendant des subventions européennes, se souvient le réalisateur, et ces dernières réclament un cahier des charges bien précis pour accorder des fonds aux pays du Sud. Mon film ne répondait pas à ces critères».
Les demandes de Philippe Aractingi auprès des instances européennes sont retoquées. «Je suis rentré à Beyrouth fâché en me disant: puisque l’Occident ne veut pas de notre cinéma, de celui que l’on a envie de montrer, on va se débrouiller tout seul».
Le cinéaste décide alors de vendre lui-même des participations privées pour produire son long-métrage. «Vingt-six investisseurs ont acheté ces parts de minimum 10 000 dollars pour produire le film à hauteur de 1,1 million de dollars.» A sa sortie, Bosta parvient à réaliser 143 000 entrées au box-office, à une époque où le Liban faisait 2,2 millions d’entrées par an.

Des prêts de la BDL
Aujourd’hui, le cinéma libanais n’est toujours pas rentable. «Les 25 films produits en 2016 ont coûté bien plus qu’ils n’ont rapporté, souligne Pierre Sarraf. Pour être rentable, un film doit faire un maximum d’entrées, dans un maximum de pays et rester assez longtemps en salles». Le cinéma national a toujours du mal à s’exporter, notamment dans les pays du Golfe. Les films frappés du sceau du Cèdre ne représentent que 9% des entrées en salles au Moyen-Orient.
Dans ce contexte, la Banque du Liban (BDL) a émis, en avril 2016, une circulaire pour accorder des prêts subventionnés aux producteurs et soutenir l’industrie de la création au Liban. Le producteur s’adresse à une banque commerciale, qui envoie la demande de prêt à la BDL, laquelle accepte ou non la requête. Ces prêts subventionnés le sont à des taux qui varient aux alentours de 1%, en fonction des intérêts sur les bons du Trésor. Le montant maximum du prêt est fixé à 3 millions de dollars par film, avec une condition, que la production s’effectue à 90% au Liban.
Selon Pierre Sarraf, cette mesure profitera surtout aux films commerciaux. «C’est très bien pour l’industrie, mais cela reste un prêt à rembourser, ce n’est pas une subvention mais bien un investissement. Les films indépendants ne sont donc pas concernés car leurs producteurs préfèrent éviter de s’endetter, les entrées en salles n’étant jamais garanties pour les œuvres d’art et d’essai».
C’est ce que confirme Wissam Charaf, dont le long-métrage  est sorti en mai dernier. «Le genre de films que je réalise ne va presque rien rapporter, alors je ne vois pas comment je pourrai rembourser 3 millions de dollars. Une subvention doit rester un don, pour bénéficier aux réalisateurs indépendants».
Dans un pays où les subventions se font rares, il est difficile pour les producteurs de rentabiliser leurs investissements. D’autant que le Liban ne dispose pas des structures de diffusion adéquates. «Il faudrait mettre en place des aides publiques pour les distributeurs lorsque ces derniers diffusent des œuvres locales. Il en est de même pour les télévisions libanaises qui se ne sont pas  tenues d’acheter des productions nationales», remarque encore Pierre Sarraf.
La question se pose alors de savoir pourquoi et comment les producteurs libanais continuent à travailler? «On va finir par se décourager mais pour l’instant, on finance nos films à la libanaise. Nous produisons tous des publicités commerciales et des séries télévisées pour continuer à gagner de l’argent, répond le producteur. Nous restons motivés car nous avons un métier passionnant mais, ce qu’il nous faut aujourd’hui, ce sont de nouvelles «success-stories» à la Nadine Labaki pour encourager les investisseurs à financer nos films».

Exonérations fiscales… conditionnées
Pour inciter les investisseurs à miser sur le cinéma libanais, IDAL (l’Autorité pour la promotion des investissements au Liban) offre des exonérations fiscales pouvant aller jusqu’à 100% de l’impôt sur les bénéfices pendant dix ans, et ce, pour tout investissement d’au moins 400 000 dollars dans le secteur, accompagné de la création de 25 emplois. Selon une source d’Idal, une décision du Conseil des ministres devrait, sous peu, abaisser ce critère à dix emplois créés.

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