Magazine Le Mensuel

Nº 3096 du vendredi 7 decembre 2018

general Média

Rima Karaki. À la poursuite de ses rêves

«La vie, c’est juste une demi-heure» est sa devise. Cette vie, si courte, Rima Karaki, journaliste et présentatrice, la croque à pleines dents. De la Future TV à al-Jadeed, son poste de responsable au sein de la Commission de contrôle des banques est bien loin derrière elle.
 

Elle court Rima Karaki… Et elle n’arrête pas de courir. Comme un volcan en perpétuelle éruption, elle a des idées plein la tête et une envie folle de toutes les réaliser. Elle passe son temps à réfléchir. «Même en dormant, je réfléchis. La vie c’est une demi-heure. Le temps passe très vite, il y a tellement de choses à faire et à accomplir. C’est la raison pour laquelle je m’ennuie très vite. Même lorsqu’un de mes programmes rencontre du succès, je m’en lasse rapidement et je pense à autre chose». Elle reconnaît que son problème principal, c’est le désordre. «Je n’aime pas les règles bien définies, l’ordre. Je suis créative, désordonnée. Je pense qu’une maison bien ordonnée n’a pas d’âme. C’est comme si personne n’y vivait».

UNE CARRIERE INATTENDUE
Alors lycéenne, Rima Karaki ne sait pas vraiment ce qu’elle veut faire. Elle hésite entre l’envie de devenir juge, dentiste ou computer engineer et finit par entamer des études en Business computer à la Lebanese American University (L.A.U). Elle est boursière de la Fondation Hariri, «une chose dont je suis particulièrement fière». A 18 ans, Rima Karaki refusant de dépendre financièrement de ses parents, fait quatre petits boulots à la fois pour gagner sa vie. 
Attirée par le théâtre, elle prend des cours avec Ziad Abou Absi qui lui conseille de quitter le Business computer pour se consacrer à l’art dramatique. «Nous étions en période de guerre et je pensais que tout ce qui relevait de l’art ne pouvait pas nourrir son homme».
Elle n’a alors que 20 ans mais Rima Karaki parvient à se faire embaucher par la Banque centrale et intégre la Commission de contrôle des banques. Sa carrière à la télévision a commencé par hasard. Alors qu’elle accompagne deux amies venues passer une audition à la télévision al-Jadeed, les metteurs en scène Antoine Rémy et Makram Hannouche lui demandent de faire un test. Résultat? Rima Karaki est recrutée à la place de ses deux amies. Pendant un an, elle se partage entre son emploi à la Banque du Liban et la télévision. «Cette situation m’a embarrassée avec la Banque du Liban et il m’a fallu choisir. J’ai alors décidé de garder mon poste dans la Commission de contrôle des banques».
Il semble bien que la jeune femme était prédestinée à une carrière télévisuelle. Cinq ans plus tard, avec l’ouverture de la Future TV, elle rencontre Ali Jaber qui s’occupe du recrutement et fait ses débuts dans Alam al-Sabah. «A ce moment, j’ai pris un congé sans solde de la banque. C’était pour moi une sorte de test». Le résultat s’avère concluant, Rima Karaki démissionne de la Banque centrale. «J’ai toujours en tête l’idée que la mort existe. L’essentiel pour moi est de faire quelque chose que j’aime et qui me rend heureuse. Ce n’est pas grave de quitter un travail qui apporte sécurité et stabilité pour réaliser ses rêves». Ses proches et sa famille sont choqués par sa décision, mais qu’à cela ne tienne, Rima Karaki poursuit son chemin. «Je suis une personne incontrôlable. Pour moi, la vie est faite d’instants de bonheur qu’il faut savoir saisir au vol. Le succès procure le bonheur. Je n’aime pas que les journées s’achèvent. J’aurais souhaité qu’elles fassent 36 heures et non seulement 24». Des regrets? elle n’en a aucun aujourd’hui. «Je suis satisfaite de ce que j’ai réalisé. Je n’ai pas répondu aux critiques et j’ai pris seule toutes les décisions importantes».

SORTIR DE SA ZONE DE CONFORT
Des décisions qui s’avèrent justifiées. Pendant six ans, Rima Karaki présente Alam el-Sabah et enchaîne succès après succès avec l’émission Oumour chakhsiyye pendant 4 ans, Ana wayyak, Bidoun zaal et Like hal haki Like, une émission qu’elle a conçue et présentée. Simultanément à son programme Alam el-Sabah, elle suit des cours de Leadership et de Management à l’AUB.
Alors qu’elle se prépare à faire un passage à al-Jadeed dans une émission humoristique avec Salam Zaatari, on lui propose de reprendre Lel Nasher le programme présenté par Tony Khalifé. «Pour moi c’était un nouveau terrain de jeu, ce genre de programme étant généralement réservé aux hommes. Quelqu’un avait dit aussi devant moi qu’une femme était incapable de présenter ce genre d’émission».
Ces quelques mots suffisent à la pousser à relever le défi. Elle conserve le nom de l’émission. La veille du premier épisode, elle ne dort pas de la nuit. «Je préfère l’angoisse et la peur à l’ennui. Je n’aime pas rester cantonnée dans ma zone de confort».
Quatre ans durant, elle présente Lel Nasher. «J’estime aujourd’hui que c’est le plus beau programme que j’ai animé. Il m’a appris la patience et m’a fait prendre conscience que rien ne vaut la peine et surtout à quel point j’avais de la chance. Face à la souffrance des gens, à leur misère et leurs malheurs, j’ai appris à apprécier tout ce que j’avais et à travailler sur moi-même pour m’améliorer». Rima Karaki affirme qu’elle n’est pas objective. «Comment peut-on être objectif face à l’injustice? Je prends parti et je m’implique dans chaque cas qui devient même une part de ma vie privée. Je ne sais pas dissocier les deux. Après chaque émission de Lel Nasher, je recevais jusqu’à 1 200 messages sur mon téléphone de la part de femmes battues, de victimes de viols, de transsexuels. A 4h du matin des personnes qui voulaient mettre fin à leurs jours m’appelaient. Il y avait en moi une colère noire, une envie furieuse de refaire le monde. Il n’y a aucune différence dans la douleur. Face à la souffrance, il n’y a plus ni couleur, ni race ni religion. On est tous pareils».

SANS LANGUE DE BOIS
Son altercation avec le cheikh Hani al-Sibaï, durant laquelle elle met un terme à l’interview et le remet en place en direct, lui vaut un immense succès et une notoriété planétaire. La séquence est visionnée par plus de 10 millions de spectateurs, Rima Karaki est interviewée par les télévisions et les journaux du monde entier. 
Tony Khalifé lui propose alors de présenter une émission conjointement sur al-Jadeed. «L’idée m’a plu mais la direction a refusé». Au cours de la présentation de Lel Nasher naît l’idée d’une autre émission, Eh fi Amal. Un premier test est réalisé avec succès. Rima Karaki opte pour cette dernière émission qu’elle va animer bientôt sur al-Jadeed. Entre temps, c’est sur Dubaï TV qu’elle officie en présentant la deuxième saison de Hikayati maa el zaman qui en est à son quatrième épisode.
Pour la présentatrice, la liberté d’expression est une invention pour cacher l’hypocrisie humaine. «Insulter les gens n’est pas la liberté d’expression. La vraie liberté d’expression est de nommer les choses par leur nom». L’une des  questions qui la révoltent, c’est quand on lui demande de quelle région elle est originaire. «Le Liban est si petit! On appartient tous à cette même terre».
Rima Karaki aimerait tenter sa chance dans le monde du spectacle. Sa devise? «Suis ton cœur, parce que ta tête t’emmènera ailleurs». Avec beaucoup de fierté, elle affirme: «Je n’ai ni l’argent ni les relations dont les autres disposent. Je ne dois rien à personne. J’ai réussi toute seule, à la force du poignet. Je suis toujours à la recherche d’un travail».

Joëlle Seif

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