Les
hordes de l’Etat islamique se sont emparées de la magnifique cité
antique de Palmyre, l’un des sites archéologiques les plus riches et les
mieux conservés du Levant. Au-delà de la beauté des pierres, de la
majesté des temples, de la splendeur des colonnades torsadées et des
impressionnants monuments funéraires vieux de 2000 ans, Palmyre est un
symbole. Celui d’un Machrek, berceau et creuset d’illustres
civilisations, dont l’apport à l’Humanité fut crucial; symbole d’un
passé glorieux, trait d’union entre l’Orient de Zénobie et l’Occident
d’Aurélien, d’une continuité dans la marche de l’Histoire, d’un
pluralisme ethno-religieux, qui fait la richesse de cette partie du
monde. Les armées du conquérant de la Syrie, Khaled Ibn el-Walid, tout
droit sorties du désert d’Arabie, n’ont pas tenté de détruire Palmyre ou
d’autres sites du Levant. Les califes omeyades et abbassides, les
Fatimides, les croisés, Saladin, les Mongols, les Mamelouks, les
Ottomans, les colonisateurs franco-britanniques, aucun de ceux qui ont
occupé, ou dominé, notre région au fil des siècles n’a songé à démolir
ces vestiges du passé. Certains ne s’y intéressaient pas, d’autres, en
revanche, les ont mis en valeur, estimant que pour grandir, il fallait
savoir apprécier les grandes choses.Les crimes perpétrés par Daech
contre les peuples du Levant et leur patrimoine archéologique n’ont pas
d’équivalent dans le passé des Arabes et de l’islam. Pour cette
excroissance monstrueuse d’al-Qaïda, l’Histoire commence il y a quatorze
siècles, et tout ce qui vient avant doit disparaître, ce qui vient
après doit faire l’objet d’une impitoyable révision afin d’en éliminer
les impuretés. C’est cela l’islam du désert, dont la vocation est bien
loin des préceptes du prophète Mohammad et de ceux qui, après lui, ont
dirigé sa Oumma. En effaçant les traces du passé, Daech veut détruire
les symboles qu’elles représentent, pour que domine sa vision d’un monde
uniforme, plat, formaté, monotone, totalitaire, injuste, arbitraire,
lassant et désespérant. Et c’est en construisant cet enfer, à coups de
têtes tranchées, de femmes et d’enfants réduits à l’esclavage, de
minorités déracinées, et de populations martyrisées, qu’Abou Bakr
el-Baghadadi promet à ses hommes le paradis.Le monde n’a pas encore
pris la mesure du danger que représente ce groupe pour l’Humanité.
Certains pays dits «civilisés» ne déploient pas les moyens nécessaires
pour endiguer sérieusement l’avancée de Daech. Sinon comment expliquer
le fait que cette organisation, soumise depuis neuf mois à des
bombardements aériens quotidiens menés par des dizaines d’avions,
parvient toujours à agrandir son territoire? Des Etats de la région
continuent de trouver des convergences d’intérêts avec Abou Bakr
el-Baghdadi, partant du principe que «l’ennemi de mon ennemi est mon
ami». Le plus dangereux est cette tentative pernicieuse de
réhabilitation du Front al-Nosra, la branche syrienne d’al-Qaïda, que
certains espèrent voir rayé de la liste des organisations terroristes
des Nations unies. Même au Liban, il existe des naïfs qui se croient à
l’abri de la menace de Daech dans toutes ses versions, et pensent jouir
d’une marge de manœuvre assez large pour jouer aux malins, dans l’espoir
de régler des comptes politiques avec leurs adversaires locaux. Ils
n’ont pas compris que la menace est globale, que personne n’y échappera,
et que l’heure de l’union sacrée a sonné depuis longtemps.
Paul Khalifeh