Alors
que les magouilles gangrènent les institutions du pays, que le chômage
bat son plein et que les citoyens, livrés à la loi de la jungle,
souffrent d’une absence totale de protection, le Liban perd au fil des
ans l’énergie de sa jeunesse. Jamais mieux qu’aujourd’hui, ne s’est
appliquée au Liban, la célèbre formule de Georges Clemenceau: «Le
pouvoir est tombé si bas qu’il faut se baisser pour le ramasser». Il
fut une époque, très courte aux yeux de l’Histoire, où la jeunesse du
pays, formée dans les grandes universités, que tous nos voisins nous
envient, ne rêvait que de servir et de promouvoir le Liban, modèle de
modernité, de démocratie et de liberté, pas seulement dans la région.
Qu’en reste-t-il? Un pays qui s’apprête, quelque trente ans après la fin
de la guerre civile pour les uns, et la guerre des autres pour
certains, à rééditer la dramatique expérience. S’impliquer dans la crise
syrienne, et encore plus dans son conflit probable avec Israël, est-ce
dans nos cordes? En a-t-on les moyens? Au milieu de ce sombre tableau,
nos universitaires, quelle que soit leur formation, privent, à leur
corps défendant, le pays de leur savoir-faire et s’exilent vers des
horizons plus cléments. Pendant que le Liban se vide de son sang jeune
et de ses forces vives, ses dirigeants se disputent un siège place de
l’Etoile ou un fauteuil confortable au Sérail. La question que les
citoyens, ignorés par leurs représentants tant que les élections ne se
dessinent pas à l’horizon, est celle de savoir à quoi sert un
gouvernement dont l’inexistence passe pratiquement inaperçue ou ce
Parlement, dont les réunions se font extrêmement rares, alors que ses
tiroirs craquent sous les liasses de documents, jaunis à force
d’attendre et très probablement devenus caducs. Dans cet abîme
constitutionnel, où seuls les échos sifflent, les affaires aventureuses
se multiplient. La dernière en date est celle du bateau promis à grands
coups de déclarations outrageusement optimistes, après quelques
décennies de rationnement électrique et même d’obscurité totale dans
certaines régions oubliées. Lancée officiellement, par une publicité
tapageuse et des panneaux prometteurs, la «barque turque», Fatmagül
Sultan, nous promettait, «immense performance», deux heures de courant
de plus dans tout le pays. Mais elle vécut ce que vivent les roses
laissant derrière elle des relents sulfureux de négligence ou de
scandale… l’avenir le dira peut-être. Plus de vingt ans se sont écoulés
depuis que les armes se sont tues dans le pays, mais la lumière des
bougies, qui n’ont rien des romantiques chandelles, n’a toujours pas
disparu dans de très nombreux foyers. En parallèle, les tours luxueuses
jalonnent les rues et montent toujours plus haut, les boutiques offrant
les collections les plus huppées remplissent les quartiers et les
restaurants aux menus gastronomiques par excellence, pullulent pour le
plaisir d’une minorité nantie. Mais tout cela paraît factice et, pour
une affaire qui connaît le succès, combien ne sont-elles pas forcées de
baisser leur rideau aussitôt levé. Le chaos que connaît le Liban, depuis
si longtemps, fait la richesse d’autres pays de la région. La Syrie,
elle, avait connu ses beaux jours et son développement dès les premières
années de notre guerre. Elle n’a pas su, elle non plus, sauvegarder ses
acquis. Il n’en reste pas moins que le Libanais, optimiste invétéré,
retrouve son rêve au moindre signe de détente. Ainsi, nous avons assisté
aux retrouvailles des «cousins ennemis»: Sleiman Frangié à Bikfaya à
l’invitation de Sami Gemayel, le Courant patriotique libre, représenté
par le ministre démissionnaire Gebran Bassil, prendre la route de Maarab
et les émissaires de Walid Joumblatt chez Nabih Berry, comme l’ancien
vice-président de la Chambre à Aïn el Tiné. Le tout ponctué de quelques
informations, diffusées sans, peut-être, beaucoup de conviction,
annonçant un gouvernement dans les prochains jours… Et voilà que
l’espoir renaît, que la vie s’annonce plus belle, à la lueur de la
détermination affirmée du Premier ministre désigné et du président de la
République. Il n’en reste pas moins que les jeunes exilés, partis vers
d’autres horizons donner la preuve de leurs capacités et de leurs
compétences, ne sont pas encore près de rentrer au bercail.
Mouna Béchara