La
question de l’élection présidentielle a confirmé que les chrétiens du
Liban ne sont plus ces preneurs d’initiatives, ces rassembleurs de la
nation, ces dynamiseurs, capables d’innover, d’imaginer, d’entreprendre
et de rallier les autres partenaires à leurs idées. On le savait depuis
déjà trois décennies, mais on continuait à espérer un changement des
mentalités et des habitudes, des actes et des paroles. Dix-sept mois de
vacance présidentielle étaient amplement suffisants pour qu’ils tentent
de se repositionner sur l’échiquier national, qu’ils se libèrent de leur
condition de suiveurs et redeviennent des décideurs, qu’ils
recommencent à peser dans la balance. Ils auraient pu facilement y
parvenir en s’entendant entre eux sur un candidat unique à la
présidentielle et en portant son nom aux autres partis, qui n’auraient
eu ni le courage ni la possibilité de le refuser. En vain. Certains
leaders sont restés prisonniers de leur ego démesuré, de leur entêtement
légendaire et de leur myopie politique. Au lieu de faire l’événement,
ils l’ont regardé venir, initié par les autres et, aujourd’hui, ils en
subissent les conséquences.Les autres, c’est Walid Joumblatt, qui
s’est réservé une place de choix dans l’équation présidentielle dès la
première heure, en présentant son propre candidat, Henri Hélou. C’est
Saad Hariri, qui a fait mine d’appuyer la candidature de Samir Geagea
tout en négociant la présidence avec Michel Aoun, avant de se rétracter
et de passer au suivant… C’est aussi Nabih Berry, qui avait en réserve
son candidat caché et qui imaginait, pendant tout ce temps, le scénario
de sortie de crise et se donnait les moyens de le concrétiser.
Entre-temps, les leaders chrétiens se neutralisaient mutuellement et
attendaient que leurs alliés respectifs fassent pencher la balance en
leur faveur. Ils se sont barricadés derrière des attitudes négatives, si
bien qu’ils sont tombés des nues lorsqu’ils ont appris le projet de
candidature de Sleiman Frangié. Ils en ont avalé leur langue. Que
peuvent-ils dire du leader du Liban-Nord? Qu’il n’est pas représentatif,
qu’il est manipulé, inféodé à telle partie locale ou tel pays régional?
Ils savent très bien que cela est inexact. Lui reprocher d’avoir été
«choisi» par Saad Hariri est encore moins vrai, car Sleiman Frangié,
est, avant tout, le choix de l’Eglise maronite, qui l’a placé parmi les
«quatre présidentiables forts», avec l’accord des autres «pôles»
chrétiens.Berry, Hariri et Joumblatt ont le mérite d’avoir saisi le
moment opportun pour lancer, défendre et vendre, au Liban et à
l’étranger, l’option Frangié. Les leaders chrétiens, eux, ont semblé
complètement déconnectés des réalités régionales et internationales. Ils
n’ont pas vu qu’une «window of opportunity» s’était entrouverte, et
qu’il fallait s’y engouffrer avant qu’elle ne se referme, pour prendre
l’initiative et se replacer, ainsi, au centre de l’échiquier national.
Comme, il y a un an et demi, ils auraient dû faire bloc derrière la
candidature de Michel Aoun, ils doivent, aujourd’hui, choisir Sleiman
Frangié, quitte à appuyer, demain, Samir Geagea ou Amine Gemayel.Sleiman
Frangié n’est pas encore président et il se peut qu’il ne le devienne
pas, même si les indices plaidant en faveur de sa candidature se
multiplient. Mais une chose est sûre, si les leaders chrétiens
choisissent la voie de l’autodestruction, le vide pourrait s’éterniser.De là à dire que les Libanais sont confrontés à l’équation Frangié ou le chaos, il n’y a qu’un petit pas à franchir.
Paul Khalifeh