Si
certains se réjouissent des intentions guerrières de l’Occident en
Syrie, d’autres, au contraire, en sont consternés. Ce n’est pas qu’ils
soient fans du régime syrien ou inquiets de l’avenir de Bachar el-Assad.
De toute façon, Washington et ses alliés ont fixé les contours de la
frappe avant même qu’elle ne se produise: elle sera «brève et limitée»,
elle n’aura pas pour objectif de renverser le président syrien mais
seulement de le «punir» d’avoir utilisé des armes chimiques. Tout le
monde y trouvera son compte. Cette tristesse, mêlée à une profonde
déception, vient du fait que l’Occident affiche, une fois de plus, une
hypocrisie sans borne, foulant du pied ce qui lui reste comme principes
humains, qu’il a lui-même érigés en valeurs universelles. D’ailleurs,
l’opinion publique dans les pays occidentaux ne semble pas dupe,
puisqu’une majorité affirme être opposée à une nouvelle guerre au
Moyen-Orient. Encore une fois, ce n’est pas que les gens ont de la
sympathie pour le régime syrien, mais c’est que les arguments, un peu
trop hâtivement avancés pour justifier une nouvelle aventure guerrière
aux conséquences inconnues, ne sont pas assez convaincants. Les
centaines de victimes de la présumée attaque chimique de la Ghouta
sont-elles les morts de trop, ceux qui ont donné un coup de fouet à la
conscience des grands de ce monde? Les 100000 morts, tombés depuis le
début du conflit, n’étaient-ils pas suffisants pour réveiller cette
conscience? 100500 semble être le chiffre magique, celui qu’il ne faut
pas atteindre ou dépasser, au risque de se voir puni par la très
respectable communauté internationale. L’autre prétexte, celui de la
«ligne rouge» qu’il ne fallait pas franchir, frôle le ridicule.
L’utilisation des armes chimiques est donc prohibée et celui qui oserait
violer cet interdit en payera le prix. On peut comprendre, par
conséquent, que ce n’est pas l’acte en soi de tuer, d’exterminer,
d’annihiler, d’écraser, de découper en morceaux, qui est répréhensible,
mais l’outil utilisé pour le commettre. Les avions et les tanks du
régime ou les machettes des takfiristes ne semblent pas constituer une
transgression de la fameuse ligne rouge. Du moment que les gaz toxiques
ne sont pas utilisés, les massacres peuvent continuer en toute
tranquillité… et impunité. Poursuivons la réflexion. Cette affaire
nous pousse à nous demander si ce n’est pas l’identité des victimes qui
réveillerait la conscience du «monde civilisé». Cette remarque est
légitime, car il semble que cette conscience reste endormie, comme
anesthésiée, lorsque 200 paysans se font massacrer dans la «montagne
alaouite» de Lattaquié, que 150 civils pro-régime et militaires sont
exécutés froidement à Khan al-Assal et que des dizaines de chrétiens
sont passés par les armes à Marmarita et Hawash, dans la région de Homs;
pour ne citer que les tueries perpétrées en juillet et août. Mais quand
des civils pro-rebelles sont tués, le monde s’émeut et crie vengeance.
Il y a enfin une dernière possibilité. Ce ne serait pas l’identité des
victimes, mais plutôt celle des tueurs présumés qui servirait d’alarme
pour réveiller la conscience internationale. Quand les crimes sont
imputés au régime, le monde se révolte, condamne, dénonce et veut jouer
le rôle de gendarme et de justicier. Cependant, tous deviennent sourds,
aveugles et introuvables, quand les massacres sont l’œuvre des rebelles.
Plus affolant encore est le manque d’imagination des décideurs
américains. Car c’est exactement le même scénario utilisé en 2003 pour
justifier l’invasion de l’Irak qui est reproduit dans le cas syrien.
Mais le remake est de moindre qualité que l’original, car le
réalisateur, Barack Obama, a été formé sur le tas.
Paul Khalifeh