Nous,
citoyens libanais sans exception, sommes tous coupables et méritons la
classe, dite dirigeante, que nous avons élue et réélue. Nous sommes
coupables d’avoir attendu si longtemps, que cela soit devenu trop tard,
pour leur réclamer des comptes que nous n’avons d’ailleurs pas obtenus.
Il est vrai qu’une partie de la population a hurlé sa colère, au nom
d’une majorité silencieuse, et lancé contre la caste politicienne des
accusations de pollution aussi bien morale que politique. A quoi cela
a-t-il servi? A des déchets qui s’amoncellent de plus en plus à tous les
coins de rues, accompagnés de promesses mensongères, de solutions
reportées de mois en mois et même d’année en année, dans un tourbillon
de coûts faramineux qui valsent sans cesse laissant, encore une fois,
planer des soupçons de magouilles.A des candidats à la présidence,
affichés ou potentiels, l’un chassant l’autre, avec autant de succès
annoncés pour les uns ou les autres. Et autant d’échecs garantis
laissant la place vide. De «l’initiative» de Saad Hariri, laquelle,
dit-on, mettait le général Michel Aoun sur le chemin du palais
présidentiel, au même Saad Hariri qui, soudain, prenait sous ses ailes
le leader des Marada, petit-fils de l’ancien président Sleiman Frangié,
la réaction immédiate, et certainement calculée, de Samir Geagea a fait
prendre le chemin de Maarab au général Aoun, accompagné cette fois de
toute sa smala politique, pour sabler le champagne de la rencontre
interchrétienne et à la gloire du supposé futur chef de l’Etat… Dans cet
imbroglio, chacun puise ce qu’il veut. Même si les doutes ont la dent
dure, tous les souhaits vont vers une réelle réconciliation des deux
pôles maronites politiques que rien ne semblait, il n’y a pas si
longtemps, devoir rapprocher. Quelles seront les relations futures de
Michel Aoun et des principales composantes du 8 mars? A-t-il le feu,
sinon vert, du moins orange, de la coalition à laquelle il est allié
pour se lancer dans cette aventure? Comme on ne peut pas croire que
Samir Geagea se soit passé d’un assentiment, aussi discret qu’il puisse
être, de ses alliés du 14 mars. A ce sujet, les démentis vont bon train,
chacun assurant sauvegarder ses affinités politiques, ce qu’on peut
difficilement croire et, peut-être surtout, se faire accepter par les
alliés de l’un ou l’autre. Tout cela en attendant qu’émerge de la manche
d’on ne sait quel courant, un troisième prétendant à un fauteuil qui
n’est pas près d’être occupé. Rares sont les optimistes, les plus
crédules, qui y croient encore, du moins à court terme.Certains ont
jubilé devant le spectacle des larges sourires de la réconciliation de
deux leaders que les tendances politiques séparaient depuis une
trentaine d’années. Il aura fallu la crise aiguë que vit le pays pour
croiser les chemins parallèles de deux adversaires de très longue date.
Rien ne nous fera croire, malgré notre ingénuité politique, que l’Esprit
saint a éclairé soudain les anciens rivaux et les a fait se retrouver
en nouveaux complices sinon en amis.Mais la faiblesse du pouvoir,
pour ne pas dire son absence quasi totale, ne peut qu’avoir des
répercussions nocives sur tous les secteurs. Le Conseil des ministres
censé, selon la Constitution, gouverner en l’absence du chef de l’Etat,
est lui-même paralysé par ses contradictions internes.Ne
resterait-il à nos «ténors» qu’à se tourner vers l’étranger le plus
influent? La Syrie étant hors circuit, il fallait trouver un autre
parrain. Est-ce la France de Hollande? N’a-t-elle pas d’autres chats à
fouetter? Est-ce l’Iran avec son clair parti pris? Le général Aoun
sera-t-il encore un privilégié du camp du 8 mars? Est-il déclassé par
Sleiman Frangié? N’y a-t-il pas dans la course à la présidence d’autres
candidats au moins aussi valables que les deux chevaux actuellement en
piste?Le fait est que, chaque fois qu’un nom est mis en avant, tous
les pronostics misent sur un autre gagnant. Et tout est remis en
question. Les médias, presse et télévisions, toutes tendances
confondues, prévoient et annoncent un report prolongé d’une élection
tant disputée. Reste, qui sait, le miracle qui viendrait de la rencontre
au Vatican du patriarche maronite et du chef de l’Eglise catholique.Y aurait-il, enfin, de nouvelles coalitions imprévisibles? Les pronostics sont difficiles, mais vont bon train.
Mouna Béchara