Tout
au long de son histoire contemporaine, le Liban a souvent eu le rôle,
peu glorieux pour les uns, flatteur pour les autres, de laboratoire du
monde arabe. Un rôle de circuit d’entraînement où les décideurs testent
des projets, des idées. Terre d’intrigues, de complots et de
conspirations, il a vu les puissances régionales et internationales
régler leurs comptes sur son sol, avec, comme carburant, la chair et le
sang de ses fils. Certaines séquences du long processus du dépeçage de
l’Empire ottoman ont été jouées au Liban, au XIXe siècle. Un des
épisodes de la fondation de l’Etat d’Israël, l’exode des Palestiniens en
1948, s’est acté sur son sol. C’est aussi le Liban qui a payé le plus
lourd tribut du désengagement de l’Egypte du conflit israélo-arabe, avec
la guerre civile de 1975, dont les liens avec la négociation et la
signature des accords de Camp David n’ont pas été assez explorés par les
historiens.Le présent est comme le passé. Il devient, aujourd’hui,
de plus en plus clair que l’élection présidentielle est organiquement
liée à l’évolution de la situation en Syrie. Décrypter ce lien est
indispensable pour deviner ce que peut nous réserver l’année 2016.
L’attitude du Hezbollah à l’égard de la candidature de Sleiman Frangié à
la présidence de la République est particulièrement éclairante. Le
moins que l’on puisse dire c’est que le parti de Hassan Nasrallah ne
semble pas pressé de mettre fin à la vacance présidentielle, sinon il
aurait saisi au vol l’initiative de Saad Hariri de faire élire un de ses
plus fidèles alliés. En revanche, le Courant du futur s’impatiente et a
montré qu’il est disposé à faire de sérieuses concessions, en proposant
le nom de M. Frangié.Le Hezbollah n’est pas mécontent de
l’éventuelle élection de Sleiman Frangié. Au contraire, cette option lui
paraissait inespérée, il y a seulement quelques mois. Mais il estime
que le moment n’est pas encore venu de débloquer la présidentielle
libanaise. Et ce moment ne viendra pas tant que l’évolution de la
situation en Syrie ne se précisera pas. Les grandes lignes du règlement
de la crise syrienne ont été agréées entre les Etats-Unis, la Russie et
l’Iran, et ont été consignées dans la résolution 2254 du Conseil de
sécurité des Nations unies, votée à l’unanimité le 18 décembre dernier.
Ce texte contient un calendrier précis et l’esquisse d’un mécanisme
d’application, bien que beaucoup de détails restent à régler. La
résolution «appuie un processus politique dirigé par les Syriens et
facilité par l’Onu, qui met en place, dans les six mois, une gouvernance
crédible, inclusive et non sectaire, et arrête un calendrier et des
modalités pour l’élaboration d’une nouvelle Constitution, et se dit
favorable à la tenue, dans les 18 mois, d’élections libres et
régulières, conformément à la nouvelle Constitution, qui seraient
conduites sous la supervision de l’Onu». Par ailleurs, le texte ne fait
aucune allusion au sort réservé au président Bachar el-Assad.Avant
de débloquer la présidentielle libanaise, le Hezbollah, et avec lui
l’Iran, veulent s’assurer que le processus politique en Syrie est bien
mis sur les rails et qu’il est irréversible. Il faudra donc attendre les
premiers mois de 2016 pour que l’image s’éclaircisse en Syrie, afin
qu’elle se décante au Liban.Entre-temps, le pourrissement des
institutions continue, la crise économique s’aggrave, la sécurité est
fragilisée, la crise des déchets reste sans solution et le nombre de
non-Libanais ne cesse d’augmenter. Il y aurait aujourd’hui au Liban 2,5
millions d’étrangers pour 4 millions de Libanais. Quels arguments
peut-on encore avancer pour convaincre les jeunes qu’il y a toujours un
espoir et qu’ils peuvent imaginer leur avenir dans leur pays? Aucun,
sinon que le Liban fait preuve d’une capacité de résilience
exceptionnelle, et que pour beaucoup moins que cela, d’autres Etats ont
disparu de la carte du monde.
Paul Khalifeh