Sommes-nous
condamnés à vivre au rythme des humeurs belliqueuses de nos voisins:
celui que certains considèrent ami et celui qualifié d’ennemi par tous?
Le Liban, terre d’accueil certes, mais dorénavant pour des touristes
d’un genre particulier. Nous avons connu, il y a quelques décennies, un
flux de Palestiniens, chassés de leurs terres par un envahisseur
arrogant et fort de ses alliances occidentales. Ils n’ont pas tardé à
prendre conscience de la faiblesse du pouvoir dans le pays hôte. Ils ont
vite fait de quitter les tentes, dites provisoires, pour se regrouper
dans des logements en béton dans toutes les régions. Conscients de
l’absence d’institutions et de véritables autorités, armés par ceux qui
espéraient régler leur problème en leur assurant un pays de rechange au
Liban, ils se sont posés en pouvoir absolu, allant jusqu’à prendre en
charge non seulement leur propre sécurité, mais celle de tous les
citoyens et à leur imposer des barrages de contrôle au vu et au su des
forces de l’ordre et des dirigeants. Plus récemment, le Liban,
toujours sans frontières, après avoir été longtemps dominé par Damas
avant que ses troupes ne soient expulsées en 2005, reçoit des réfugiés
dont le nombre semble difficile à déterminer. Les chiffres valsent et la
misère se creuse un peu plus au fil des mois. Cela dure depuis plus de
deux ans. Des familles entières, celles qui ne peuvent pas échapper aux
massacres, sont décimées sans pitié. Le nombre de morts ne se décompte
plus au milieu d’un assourdissant silence international. Il a fallu
parler de l’utilisation d’armes chimiques pour que l’hypocrisie du monde
éclate au grand jour. L’horrible spectacle des cadavres gazés a
réveillé ceux qui, depuis plus de deux ans avaient assisté,
indifférents, à l’exode massif des centaines de milliers de Syriens
démunis, à la peur qu’on lit sur les visages d’enfants, aux blessés en
mal de soins dont les photos remplissent les écrans de télévision et les
«Une» des journaux. Mieux vaut tard que jamais, pourrait-on dire. Mais
le résultat n’a fait que prouver la faillite des grandes puissances.
Celles-ci victimes, dit-on, de leur démocratie ont affiché leur
fragilité. N’auraient-elles pas dû prendre le temps de la concertation
et de la réflexion avant de promettre une intervention improvisée et
provoquer une panique incontrôlable qui a gagné, non seulement les
citoyens syriens, mais tous ceux des pays frontaliers et, à leur tête,
le Liban? Qu’entend-on par frappe punitive? Comment peut-on éviter les
dégâts collatéraux? Pourquoi a-t-on suscité cette tension qui accompagne
l’attente des décisions de ceux qui possèdent le droit de vie et de
mort sur des hommes, des femmes et des enfants? Au Liban, pays aux
frontières ouvertes à tout vent, l’annonce d’une possible frappe
occidentale sur la Syrie, a fait fuir, non seulement les étrangers, mais
surtout ceux qui hésitaient encore à quitter leur terre. Le rush sur
les avions en direction des Emirats ou d’autres pays lointains, en est
la preuve évidente. Les écoles perdent leurs élèves qui occuperont les
bancs d’autres écoles sous des climats plus cléments. Les universités ne
sont pas mieux loties. La saison touristique a été étouffée dans l’œuf
et l’économie s’effondre un peu plus, même si les responsables des
institutions financières, dont la Banque du Liban, se veulent
convaincants dans leurs prévisions. De tout cela n’en sommes-nous pas
responsables? Une frange importante de la population ne s’est-elle pas
volontairement impliquée dans une crise qui ne nous concerne en aucune
manière? Une démocratie «consensuelle» qui a toujours empêché l’entente
sur des sujets plus ou moins cruciaux, une société qui n’a pas la
compétence d’élire ses représentants, un gouvernement compliqué, pour ne
pas dire impossible, à former, un mandat présidentiel dont certaines
voix commencent à mettre en doute une relève. Si le chef de l’Etat
multiplie les déclarations toujours plus fermes, il n’en reste pas moins
que le pays va à la dérive, qu’il se vide de son sang tandis que, par
miracle, la vie continue et avec elle les festivals qui défient la
sinistrose ambiante. Les appels au dialogue ont-ils encore un sens?
Mouna Béchara