En allant à la rencontre des anciens membres de l’Armée du Liban-Sud (ALS) installés en Galilée, le patriarche maronite, Béchara Raï, a, une nouvelle fois, enjambé l’obstacle posé sur son chemin par le Hezbollah, qui ne décolère pas.
Le repos du pèlerin. Revenu samedi 31 mai au Liban à bord d’un avion privé en provenance d’Amman, Béchara Raï s’est donné 48 heures de silence. Pas de visite, ni de messe en public. Son périple en Terre sainte aura été harassant. Sa dernière étape, Haïfa et dans les villages de Galilée, sans doute encore plus. Comme si, de l’autre côté de la frontière, à quelques kilomètres, le Hezbollah avait posé son regard pressant, intrusif et malveillant. Le député du parti, Ali Moqdad, s’est dit «très vexé» par la tournée du patriarche qui, selon lui, s’est rendu «dans les territoires palestiniens occupés pour convaincre les traîtres qui ont fui le pays avec l’armée israélienne d’y retourner». Conscient de la délicatesse du dossier des ex-miliciens de l’Armée du Liban-Sud (ALS), Mgr Raï s’est montré plus nuancé. Non à l’amnistie pour les coupables de crimes, mais non au déni de leur existence même. L’illustration du désaccord fondamental qui oppose le parti au chef de l’Eglise maronite.
Walid Joumblatt le pose en des termes plus précis. «La politique de boycott, appliquée pendant des décennies, a contribué à la perte de la Palestine, laissant le champ complètement libre à l’occupant, qui a réussi à pousser les Palestiniens à l’exode, à modifier la réalité sociale et démographique et à établir une entité artificielle qui s’est rapidement transformée en fait accompli à cause des défaites arabes successives. Elle a forcé le peuple palestinien à se battre seul pour ses droits légitimes». Une attaque feutrée mais fondamentale contre la stratégie exclusive de résistance adoptée par le Hezbollah. Raï, lui, a préféré une stratégie inclusive. Le leader du PSP, qui entretient des liens étroits avec la communauté druze d’Israël, également. Les deux hommes ont en commun l’attachement à leur communauté éclatée et marginalisée qu’ils prétendent guider.
Un dossier sensible
Depuis 2000, le dossier extrêmement sensible des anciens combattants de l’ALS a beaucoup de mal à avancer. Le Hezbollah a décidé que ces «agents», ces «traîtres», comme il les désigne, se sont exclus, défaits de leur appartenance au Liban. Le discours des Libanais d’Israël, à travers le site Internet de leur communauté, contre le parti, est toujours aussi agressif. Avec l’amnistie de Samir Geagea et la réconciliation de la Montagne, le sort des anciens de l’ALS est le dernier dossier non refermé de la guerre civile. Après avoir fui le Liban, les voilà apatrides, installés en Israël comme des citoyens de seconde zone. Le Hezbollah ne fait pas la différence entre le gouvernement israélien et les miliciens qui partagent la même haine des ennemis du parti. Raï voit, lui, des chrétiens dont il est aussi le protecteur, en situation d’urgence. Le patriarche leur a promis de «s’employer de toutes ses forces à assurer le retour du plus grand nombre d’entre eux au pays».
La visite de Raï a d’abord permis à ces 3 000 personnes de reprendre voix, provoquant l’ire du Hezbollah. Le porte-parole de la communauté libanaise d’Israël explique que celle-ci «espérait rencontrer Raï au Liban, mais elle a été contrainte de le faire sur une terre qui n’est pas la nôtre, et parmi des gens qui ne sont pas nos familles. Parce que quelqu’un a décidé un jour de nous égorger et d’éventrer nos femmes». Au cours d’une rencontre, une jeune fille de 19 ans, Mariam Younès, s’est adressée au patriarche. «A l’âge de 14 ans, j’ai eu une nouvelle patrie, une nouvelle famille, de nouveaux amis israéliens et libanais. Je pense que Dieu nous a ouvert une porte qu’est Israël. Ici, il existe beaucoup plus d’opportunités sur tous les plans, des opportunités qui nous aident à réussir dans notre vie scientifique et pratique. De l’autre côté, les portes de notre patrie ont été fermées». Un discours bouleversant et dérangeant qui a été tu pendant plusieurs années. La visite du patriarche lui a donné une résonance nouvelle.
Julien Abi Ramia
Le silence du CPL
Du côté de Rabié, la visite du patriarche est un sujet délicat. Lorsque le quotidien al-Akhbar a cité des propos attribués au député Nabil Nicolas affirmant que «le patriarche devait assumer les conséquences de ses prises de position politiques à Haïfa, où il s’était départi de son rôle purement pastoral», le député a dû publier une mise au point en mettant en exergue «la volonté suspecte de certains de conférer à la visite pastorale un caractère politique, alors que cette visite en Terre sainte était celle d’un pasteur qui s’inquiète pour ses brebis». Deux positions diamétralement opposées, publiées à 24 heures d’intervalle.