«Une révolution de palais», «un règlement de comptes entre membres d’un même parti», «un incident, sans plus, qui n’est pas le premier et ne sera pas le dernier». Mars 1969, Beyrouth bourdonnait de rumeurs relatives à la Syrie. Les Damascènes, eux, fêtaient tranquillement l’Adha dans les cafés de la Ghouta et les restaurants du centre-ville.
Un coup d’Etat? Pour eux, il s’agissait déjà d’une vieille histoire, et plus d’un citoyen vous racontait, en fumant tranquillement le narguilé, que le moment n’était pas loin où… C’est que Damas vit de potins politiques comme d’autres vivent de potins tout court. Il s’était bien produit un putsch, quelques jours auparavant. Un de plus, comme se plaisaient à le répéter, en souriant, les professionnels de la vie politique syrienne.
Ce qui venait de se produire sur les bords du Barada n’avait surpris personne. La Syrie n’en était plus à un putsch près. Mais surtout que ce dernier mouvement était prévu par tout le monde. Il n’était en rien différent des autres, si ce n’est le suicide du colonel Jundi, à l’aube du 2 mars.
Le 20 septembre 1968, la plus haute instance du Baas, le congrès national, c’est-à-dire interarabe, tient ses assises au siège de l’état-major dans la capitale syrienne. Autour d’une immense table, faite d’une vingtaine de petites tables rassemblées à la hâte, une centaine de personnes siégeaient, l’air grave, le front soucieux. C’étaient les chefs de partis dans les pays arabes. L’objet de la réunion: passer en revue la politique baasiste depuis la révolution du 8 mars 1963 et étudier les rapports avec les autres Etats arabes, notamment l’Irak.
L’Irak, où quelques semaines auparavant, le parti avait réédité son exploit du 8 février 1963: réussir en deux coups «son putsch». Ahmad Hassan el-Bakr, Saleh Mehdi Ammache, Hardane Takriti revenaient tous au pouvoir, des hommes qu’on croyait disparus à jamais de la scène politique irakienne. Une ombre au tableau, cependant, car si le Baas irakien était demeuré le même, le Baas en Syrie est devenu le néo-Baas.
Deux tendances apparaissent très vite au cours des travaux du congrès: le clan Salah Jédid préconise un durcissement à l’égard des baasistes irakiens et un rapprochement avec les communistes syriens. Le clan opposé, conduit par Hafez el-Assad, prône la mise à l’écart du PC et la formation d’un front irako-syrien uni face aux ennemis de l’intérieur et à Israël.
Un comité de sages délibère alors pendant des longues heures, souvent violentes et tranche en faveur d’Assad. Du moins le croit-on alors. Mais le ministre de la Défense, commandant en chef de l’aviation, obtient l’éloignement des deux «éminences grises» de l’aile syrienne du parti: Youssef Zouayen et Ibrahim Makhos.
Mais ce n’était qu’une impression qu’on cherchait à donner au pays, une satisfaction d’amour-propre pour Hafez el-Assad. En réalité, l’ancien chef du gouvernement et l’ancien ministre des Affaires étrangères demeurent omniprésents à tous les échelons du pouvoir. Zouayen continue à inspirer la politique économique de la Syrie et Makhos est, toujours dans la pratique, chef de la diplomatie.
«Cela ne peut pas durer, disent les vétérans de la politique de Damas, cela finira un jour par craquer». Les craquements se feront entendre dès le début de février. Vers la fin du mois, Assad entreprit de faire du «forcing». Alliés au clan représenté par le général Moustapha Tlass, ses partisans se lancèrent dans l’opération classique du putsch: occupation de l’immeuble de la radio, du siège de la Banque centrale, et, début mars, tous les objectifs étaient atteints et le général Assad s’était débarrassé de tous ses adversaires. Jusqu’à quand? Chef de l'armée de l'air à partir de 1963, Hafez el-Assad devient ministre de la Défense en février 1966. L'armée se scinde alors en factions à base communautaire. Le groupe druze est éliminé au début de 1967. Hafez el-Assad poursuit sa marche vers le pouvoir en éliminant successivement tous ses rivaux, y compris ceux de la communauté alaouite. C’est après qu’il eut refusé la participation de l'armée syrienne au septembre noir jordanien en 1970, qu’il se saisit du pouvoir suprême le 13 novembre de la même année. Mouna Béchara
(réf. Magazine mars 1969)