Cette semaine, la presse étrangère délaisse légèrement les sentiers battus de l’actualité libanaise pour s’intéresser aux sans-voix et à des personnages qui fixent une autre photographie du Liban
Carnets de l’IFPO
Dans les carnets de l’IFPO, l’institut français du Proche-Orient, Romain Caillet publie une biographie extrêmement détaillée du cheikh Ahmad el-Assir. Né en 1968, Ahmad el-Assir el-Ḥussayni grandit dans un environnement peu religieux et ne reçoit pas de véritable éducation islamique durant sa jeunesse, ni son père, chanteur de profession, ni sa mère, de confession chiite, n’étant en effet très pratiquants. Cette situation familiale ne peut toutefois être un handicap car, si l’on remonte plus haut dans sa généalogie, Ahmad el-Assir al-Ḥussayni appartient à une lignée prestigieuse qui suffit à lui conférer une réelle légitimité au sein des milieux traditionalistes. Descendant du Prophète, à travers la branche hussaynite, son patronyme (el-Assir signifie en arabe « le prisonnier ») fait référence à l’un de ses lointains ancêtres, détenu par les «infidèles» pendant de longues années à l’époque des Croisades.
Son éveil politique intervient à la suite des combats qui succèdent à l’évacuation de la ville de Saïda par l’armée israélienne. Il se rapproche ainsi de la Jamaael-Islamiya, la branche libanaise des Frères musulmans, et demeure leur compagnon de route jusqu’à la fin de la guerre civile en 1990. Une fois la paix revenue au pays du Cèdre, il rejoint Jamaaat-Tabligh, un mouvement de prédication indo-pakistanais qui proscrit tous les discours pouvant entraîner d’éventuels conflits, et devient l’un de ses principaux responsables au Liban, fondant une section au sud du pays. Frustré de ne pouvoir dénoncer «les dangers» qui menacent la communauté, Ahmad el-Assir prend peu à peu ses distances avec le Tabligh et adopte progressivement les principales thèses du salafisme. Concernant l’avenir de la Syrie, Ahmad el-Assir estime que l’anéantissement du «régime alaouite» ne peut que provoquer une dynamique favorable au salafisme: en effet, il est tout à fait probable qu’une victoire de la révolution syrienne engendrera probablement une plus grande visibilité dans l’espace public du sunnisme, notamment dans sa tradition hanbalite. La pertinence de cette hypothèse pourrait notamment se vérifier dans le cas du retour en Syrie des oulémas salafis exilés dans le Golfe.
Paris Match
L’hebdomadaire Paris Match publie une longue interview du patriarche Bechara Raï. Extraits «Pour comprendre la situation locale, il faut mesurer que le nom du président Assad est difficilement séparable du Baas, son parti unique et très dur. C’est pourquoi, quelles que soient les idées personnelles de ce médecin de formation, il incarne un système où la liberté et les droits de l’homme sont limités, où la violence engendre la violence, où les concepts occidentaux font défaut. Dans le monde arabe, les présidents sont réélus avec 99,99 % des suffrages. Avec cette mentalité, quelle peut être l’alternative entre souverain et président à vie? La source de la législation en tous domaines est le Coran. Avec un parti unique et le pouvoir politique, judiciaire et militaire entre les mains des musulmans qui s’appuient en tous points sur la charia. Démocratie et théocratie sont aussi contradictoires que la neige et le feu. A l’heure où Israël demande à être un Etat pour les juifs, quels sont, objectivement, la place et l’espace des droits d’un musulman et d’un chrétien israélien?»
Le chef de l’Eglise explique que la seule solution pour le Proche-Orient, «c’est la laïcité». «Mais pour les musulmans, cette laïcité est une «hérésie». D’ailleurs, aucun pays voisin ne s’est inspiré de la Constitution libanaise qui, conformément à l’article 9 rendant hommage à Dieu, respecte toutes les religions et prévoit qu’elles coexistent selon un pacte national de convivialité. Si les divers pays arabes introduisent enfin plus de respect quant aux droits de l’homme et à ceux des citoyens, s’ils parviennent à instaurer des démocraties au sens noble du terme et à séparer la religion de l’Etat, le Printemps arabe aura aidé les chrétiens. Sinon, ce sera pire, car le régime passera de dur à plus dur encore. Qu’ils soient chiites, sunnites ou alaouites, les musulmans sont majoritairement modérés sauf lorsqu’ils sont infiltrés par des groupes fondamentalistes armés, financés et politiquement soutenus par certains Etats, mais ce n’est pas à moi de les dénoncer.
Atlantico
Le site français d’information, Atlantico, plutôt tourné à droite, publie les bonnes feuilles de La route des abeilles, livre écrit par Rami Ollaik «qui accédera, pendant treize années, aux échelons supérieurs du Hezbollah. Une première dans l'histoire de ce mouvement, peu habitué aux voix discordantes».
Un citoyen libre, vivant dans un système démocratique, par conséquent laïc, pourrait se demander pourquoi nous, Libanais, nous nous centrons sur l’appartenance religieuse comme si celle-ci était plus puissante et déterminante que l’identité nationale. En fait, pour une grande partie des Libanais, la religion est une identité. Et c’est à mon avis le fond du problème. Quand on parle d’opposition politique, c’est souvent une religion qui s’oppose à une autre. Ici, on est chrétien ou musulman avant d’être libanais. Cela peut sembler difficile à comprendre, mais c’est ainsi. Mon pays est une juxtaposition de religions et non pas une nation: c’est le drame du Liban.
Je ressentis tout cela lorsque je sortis de mon secteur pour aller dans les quartiers chrétiens. Pour ma part, je découvris, dans les quartiers chrétiens, un tout autre monde, au premier abord plus uni, voire uniforme. Ici, on pensait pareil, on s’habillait pareil, on parlait pareil. Il n’y avait pas de différence chez les étudiants.
En résumé, quand on est chrétien, on est soit avec «le Hakim» soit avec «le Général », et il existe une haine viscérale entre les deux camps. Les indépendants ne comptent pas, ne sont pas organisés et personne ne les écoute. Le plus comique est qu’on ne reconnaît pas les adeptes des deux camps à leurs idéaux politiques, puisque les deux croient en un Liban libre, indépendant, maître de son destin. La différence, ce sont les klaxons des supporters.
Slate
Slate est un autre site français d’information qui propose cette semaine une «plongée dans les coulisses de la vie nocturne beyrouthine». Jad est assis sur un canapé dans le hall d’un hôtel de Maameltein. L’air est saturé d’une vieille odeur de tabac froid, et les murs tachés et craquelés sont recouverts de miroirs. Un crucifix en or brille sur sa poitrine. Un grand cahier est posé sur la chaise devant lui. De temps à autre, une séduisante jeune femme à l’air slave s’approche, et il ouvre son cahier afin qu’elle puisse inscrire son nom. «Je dois m’assurer qu’elles signent le registre avant de quitter l’hôtel, explique Jad (le nom a été changé). Sinon, les services de l’Immigration me feront payer une amende». Jad tient l’un des 130 «super night-clubs» que compte environ le Liban.
Ni tout à fait bars à strip-tease ni tout à fait bordels, les «super night-clubs» représentent l’envers malfamé de la fameuse vie nocturne libanaise. Les propriétaires importent des femmes, la plupart du temps de l’Europe de l’Est ou du Maroc, pour travailler dans leurs établissements avec un visa d’«artiste». De toute façon, chacun sait que le terme «artiste» n’est qu’un euphémisme pour «prostituée».
La loi libanaise stipule que ces femmes ne peuvent émigrer qu’après avoir signé un contrat de travail, lequel doit être visé par la Direction de la Sûreté générale. Bien que ces femmes viennent de leur plein gré, il est difficile de savoir combien d’entre elles comprennent quelle sera la nature exacte de leur travail. Selon Jad, la plupart savent dans quoi elles mettent les pieds. Une fois au Liban, toutefois, leurs passeports leur sont généralement confisqués jusqu’à la fin de leur contrat.
Le Monde
Le blog du journaliste indépendant Francis Pisani, hébergé par Le Monde, s’intéresse aux médias sociaux dans le monde. Son voyage l’a emmené au Liban. A Beyrouth, les connexions à l'internet sont si mauvaises qu'on ne peut qu'en rire… avant de protester. Il y a un an environ, un Libanais plein d'humour acide a écrit un post en anglais qui disait: «Oh My God, Liban tu es numéro un» sur la liste mondiale du débit de téléchargement… à condition de commencer par la fin. J'ai effectivement trouvé le NetIndexde la société Ookla pour laquelle, il y a un an, le Liban était le 172eet dernier pays derrière la Zambie, le Swaziland et la Bolivie. La connexion avec un câble sous-marin de très haut débit qui relie l'Inde à l'Europe a permis une brève amélioration. Le Liban est passé au 160erang, entre le Lesotho et l'Ouganda.
Mais, selon Liliane Assaf, activiste du groupe Ontornet.org qui lutte pour obtenir de meilleures connexions : «La situation s'est brièvement améliorée, puis nous sommes revenus aux mauvaises connexions». Ce qu'un autre de mes interlocuteurs appelle «du progrès avec le hoquet».
Ontornet est un jeu de mot dans lequel Ontor veut dire attendre… le net. Le logo «@Y» représente un escargot. Assaf qui travaille dans le marketing pour moteurs de recherche a des motivations simples : «Nous avons besoin de bonnes connexions. Celles que nous avons sont insupportables. Travailler dans de telles conditions est épuisant et nous perdons des clients».
Le secret d'Ontornet a consisté «à ne pas mentir», explique Abir Ghattas, une autre des 6 membres actifs (dont 4 femmes) du groupe. «Nous avons publié des articles, des études, des enquêtes sérieuses, des comparaisons de prix qui nous ont donné de la crédibilité. En fait nous avions des sources à l'intérieur du ministère et chez un des opérateurs de télécom qui nous aidaient à vérifier la qualité de nos informations». J. A-R.