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Un an après le début de la révolte. Des fleuves de sang en Syrie

 

Conforté par le double veto russo-chinois au Conseil de sécurité de l’Onu, le pouvoir a tranché en faveur d’une solution militaire par étapes, qu’il met en œuvre en reprenant progressivement les zones contrôlées par les dissidents. Mais un an après le début du soulèvement, la contestation ne faiblit pas.

 

Talal el-Atrache, Damas

Secouée depuis un an par une révolte populaire violemment réprimée, Harasta, située aux portes de la capitale syrienne, est une ville assiégée par l’armée. Les insurgés avaient investi le 22 janvier les zones périphériques de Damas, notamment Douma, Harasta et Saqba, portant un coup psychologique et symbolique au régime. Une semaine plus tard, l’armée intervenait en force, déployant des dizaines de chars et de blindés. Des postes de contrôle et de nombreux camps militaires improvisés encerclent désormais cette région stratégique. Un simple parcours dans les rues étriquées de la ville voisine de Douma laisse apparaître les traces d’une révolte qui semble loin de s’éteindre. Ville conservatrice par excellence, Douma vit au rythme des prières qui s’emmêlent cinq fois par jour. Dans le souk de la vieille ville, quelques rares femmes dissimulent leur visage sous le voile islamique intégral. Les manifestants ont couvert les murs, les façades des bâtiments publics ainsi que les mosquées de graffitis et slogans hostiles au régime et à la gloire de Dieu. Tout comme les zones rebelles en Syrie, la vie à Douma est ponctuée par les manifestations hebdomadaires, qui restent centrées autour des mosquées les vendredis ou après les funérailles du lendemain.
Jusqu’en février, les provinces de Homs, Hama, Idlib, Deraa ainsi que plusieurs localités au nord de Damas échappaient partiellement au contrôle des autorités syriennes. Soucieux de ménager les pressions occidentales et arabes, le pouvoir damascène caressait encore l’espoir de venir à bout de l’insurrection armée sans reproduire le sanglant scénario de Hama de 1982. Mais le soutien logistique, financier et militaire fourni aux dissidents par plusieurs pays dont l’Arabie saoudite et le Qatar, ainsi que la détermination des combattants à affronter les troupes régulières, dépassaient de loin les estimations de l’état-major, qui avait sous-évalué l’ampleur du mouvement. La tâche s’avérait d’autant plus compliquée que les observateurs arabes déployés sur le terrain, limitaient considérablement la marge de manœuvre de l’armée face aux rebelles.
Le retrait précipité des observateurs, suivi le 4 février du double veto russo-chinois contre un projet de résolution condamnant le régime syrien au Conseil de sécurité de l’Onu, accorda au pouvoir un répit sur le plan international, pour lancer une offensive par étapes contre les zones qui échappent à son contrôle, à commencer par la banlieue nord-est de la capitale.

Trois étapes
L’armée syrienne établit un plan en trois étapes baptisé «nettoyage des villes et villages des groupes armés», qui prévoit en premier lieu un assaut militaire dans la campagne de Damas, puis une offensive dans les villes et les campagnes de Hama et Homs. «La troisième étape et la plus compliquée sera la campagne d’Idlib», déclarait, le 14 février, un haut responsable de l’armée syrienne.
«L’importance de l’offensive contre les trois campagnes et l’élimination des hommes armés appartenant à la confrérie des Frères musulmans et aux courants salafistes – qui sont les mieux organisés, les plus efficaces et les plus dangereux pour le régime – réside dans leur proximité des frontières libanaise et turque», par où transitent l’argent et les armes destinés aux rebelles. «Lors de ses réunions avec les directions militaires, le président syrien a ordonné à l’armée de n’autoriser aucune zone d’influence et de venir à bout des poches contrôlées» par les insurgés, a précisé le militaire syrien.
Tout au long des deux premières semaines de février, l’armée déloge sans difficulté, les rebelles de la banlieue de Damas et des villes de Zabadani et Rankous. A Homs, elle encercle les quartiers rebelles et lance des opérations ciblées contre les insurgés qui revendiquent leur appartenance à l’Armée syrienne libre. Le lieutenant dissident Abdel-Razzak Tlass, chef de la brigade Farouk, la mieux organisée à Homs, est tué. Pendant la deuxième moitié de février, l’armée procède au ratissage de la province de Hama. Elle appelle les civils à quitter les zones contrôlées par les rebelles à Homs, devenue le bastion de la révolte armée, et renforce le siège des quartiers de Jobar, Karm el Zeitoun, Inchaat et Baba Amr. Les bombardements font des centaines de morts parmi les civils restés sur place et les rebelles, dont une partie réussit à s’évader. Le quartier symbolique de Baba Amr, le mieux tenu par les dissidents, tombe aux mains de l’armée. Cet épisode est perçu par plusieurs analystes politiques et militaires comme un «tournant» dans la  bataille qui oppose les insurgés au régime, similaire à la bataille de Hama qui a abouti à la déroute des Frères musulmans en 1982.
S’ensuit la chute – ou l’encerclement total – des villes de Rastan et Qousseir (province de Homs), aux mains de l’armée gouvernementale, qui ratissent les poches rebelles restantes et procèdent à l’arrestation de centaines de combattants insurgés. Les militants des droits de l’homme dénoncent l’esprit revanchard du régime, l’accusant de procéder à l’élimination systématique de rebelles et souvent même de leurs proches. Depuis le 5 mars, l’armée a entamé la troisième étape de son offensive visant à reprendre la province volatile d’Idlib, au nord-est de la Syrie. Plusieurs villes et villages longeant la frontière turque, sont aux mains des factions rebelles, dont une majorité d’islamistes. Des journalistes occidentaux infiltrés à Idlib ont évoqué la solide présence de combattants salafistes parmi les rebelles. La topographie montagneuse de la province, partiellement couverte de forêts, ainsi que sa proximité de la frontière turque posent des difficultés pour l’armée qui procède graduellement à l’encerclement des rebelles dans des poches isolées. La reprise en main de la province par l’armée n’est qu’une question de temps. La date du 7 mai, fixée par le gouvernement pour la tenue d’élections parlementaires, semble être une échéance pour la reprise de toutes les poches de résistance au régime.
Toutefois, la décision des pétromonarchies du Golfe d’accentuer le soutien militaire aux dissidents, risque de compliquer la tâche de l’armée, qui fera face pendant plusieurs mois à une guérilla opérant sous forme de bandes évanescentes.
Plusieurs analystes évoquent encore l’éventuel dérapage vers une guerre civile. Les risques sont réels si le régime venait à être renversé ou en cas d’intervention étrangère, deux scénarios peu probables, vu l’équilibre des forces favorables aux alliés du pouvoir. Cependant, les tensions confessionnelles, résultant de la répression mise en œuvre par le régime et la militarisation de l’opposition qui s’en est suivie, fragilisent les équilibres sociaux. La ville de Homs, où coexistaient en parfaite harmonie jusqu’à présent sunnites (majoritaires), alaouites et chrétiens, est actuellement divisée en zones distinctes selon des critères communautaires.
L’armée et les services de renseignements, qui forment la colonne vertébrale du pouvoir, sont soudés derrière le régime.
Les défections restent limitées à des officiers marginaux. L’armée ne donne aucun signe d’essoufflement et n’a pas utilisé sa force de frappe. Mais même si elle contrôle le terrain, elle devra dans certaines provinces, composer avec une population qui lui est hostile. T.A.

 

L’Otan opérerait secrètement
Selon un mail «confidentiel» d’un expert de la société de renseignements américaine Startfor, révélé par Wikileaks le 27 févier dernier, des membres des forces de l’Otan opéreraient d’ores et déjà en Syrie et seraient chargés de missions de reconnaissance et d’entraînement des combattants de l’opposition. Les autorités syriennes affirment pour leur part que des combattants des pays arabes et des membres de renseignements occidentaux auraient aidé les insurgés dans le quartier de Baba Amr à Homs, afin de créer une zone tampon à partir de laquelle les rebelles lanceraient une guerre contre le régime syrien. Le Canard enchaîné avait affirmé en novembre que des officiers français auraient entraîné des militaires dissidents syriens au Liban-Nord, une information démentie par Paris.

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