Magazine Le Mensuel

Nº 2848 du vendredi 8 juin 2012

Histoire

6 juin 1967. La guerre vue du Liban

Les six jours de cauchemar, qui ébranlèrent le Moyen-Orient, ont tout remis en question, depuis l’arabisme jusqu’à la politique des grandes nations. Le Liban n’est certes pas entré dans cette guerre dite des six jours, il n’en a pas moins subi des conséquences qu’il continue d’ailleurs à subir.

Après les opérations militaires qui ont engagé Arabes et Israéliens du 5 au 10 juin, la bataille se transpose sur le plan diplomatique et c’est là que le Liban peut entrer en jeu et tenir un rôle de premier plan. L’Egypte, meurtrie par sa défaite et par l’invasion du Sinaï, ne vivait plus qu’au rythme des réactions du monde arabe, et attendait celle du Raïs qui, se sentant responsable de l’échec, présentait sa démission au peuple égyptien. Au Liban, cette nouvelle ébranla le Parlement qui s’empressa de signer une motion d’appui au président Jamal Abdel Nasser et de diffuser un message par lequel un hommage était rendu aux pays arabes pour leur lutte contre Israël. Les deux partisans les plus favorables à cette motion furent Pierre Gemayel et Raymond Eddé.
La veille, le président Nasser avait à peine annoncé sa décision de rendre son tablier que le Liban dans son ensemble s’est associé au mouvement populaire arabe pour réclamer son retour. Saëb Salam qui se trouvait au Caire avait demandé à rencontrer le Raïs. Le rendez-vous lui est rapidement fixé. Sans perdre de temps, accompagné de son fidèle ami Ali Mamlouk, il prit le chemin de la résidence du chef d’Etat égyptien. L’ancien président du Conseil raconte que le président Nasser était en excellente forme. A la question de savoir s’il ne s’adresserait pas au peuple, ce dernier répondit qu’il le ferait à la sortie de la mosquée le vendredi. Et c’est là, en effet, qu’il annonça sa responsabilité dans l’échec et son départ de la présidence.
Au Liban, l’émotion populaire et politique, provoquée par cette annonce, était à son paroxysme. L’ensemble du pays s’était associé au mouvement populaire arabe pour réclamer son retour. Pierre Gemayel avait les larmes aux yeux en se rendant ce soir-là au domicile de Saëb Salam à Mousseitbé et les ministres réunis autour du président de la République libanaise de l’époque, Charles Hélou, cachaient mal leur émotion. Les Kataëb, de leur côté, entrèrent très vite en contact avec le Comité populaire (la Hay’at Watania) pour se déclarer favorables à la fermeture complète de la ville, le lendemain samedi. De fait, Achrafié donnait le ton. Tous les magasins avaient baissé leurs rideaux. Sur le balcon de l’ambassade de la République arabe unie, les chefs religieux se tenaient aux côtés du mufti de la République. Les principaux cheiks musulmans et druzes étaient là. Tour à tour, l’évêque syrien-orthodoxe, le cheikh Akl druze et le mufti avaient pris la parole, suivis de Kamal Joumblatt, Saëb Salam et Osman Dana. Un même thème pour tous les orateurs: appeler le président de la R.A.U. «à demeurer à la tête de la Nation arabe en ces heures difficiles qu’elle traverse.» Quelque 60000 personnes, massées devant la résidence de l’ambassadeur égyptien, avaient aussitôt manifesté leur soutien à cet appel.
A l’aéroport, le mouvement des avions se poursuivait au ralenti avec l’arrivée de nombreux Libanais surpris par les événements, et qui avaient été bloqués en Europe toute la semaine. Le ministre libanais des Affaires étrangères, Georges Hakim, était rentré, dans la nuit du jeudi au vendredi, de New York où il avait plaidé la cause arabe dans l’affaire palestinienne. A peine avait-il mis pied à terre qu’il prenait le chemin de la présidence à Sin el Fil pour faire un compte rendu de sa mission au chef de l’Etat qui se trouvait en compagnie du Premier ministre. Il leur dressa un tableau de la situation sur le plan international, insistant en particulier sur certains aspects diplomatiques de la question: l’attitude de certaines grandes puissances, les chances arabes dans la bataille qui s’était déjà engagée devant les grandes instances internationales.
L’impression des diplomates arabes ayant suivi les débats au Conseil de sécurité est claire: Un modus vivendi URSS-USA est conclu prévoyant qu’aucune des deux grandes puissances ne se lancera dans la mêlée. Le téléphone rouge n’a cessé de fonctionner entre Moscou et Washington dès le début des hostilités, le 5 juin.

Mouna Béchara

(Réf. Archives Magazine)

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