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Nº 2848 du vendredi 8 juin 2012

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A Tripoli, des rounds de plus en plus violents. La majorité réanime son gouvernement

Un calme précaire s’est provisoirement installé à Tripoli après le week-end meurtrier qui a secoué la ville, plus que jamais sous tension. Pour parer à la mise sous pression de Najib Mikati, pris dans l’étau de la capitale du Nord, les pôles de la majorité auraient mis sur pied un plan visant à relancer l’action du gouvernement.
Vendredi 1er juin. Le déploiement de l’armée, rue de Syrie, qui sépare Jabal Mohsen et Bab el-Tebbané à Tripoli, est inopérant. Les combattants, qui s’affrontent depuis des semaines, se sont temporairement retirés, mais ils fourbissent leurs armes. Malgré la présence des soldats, il règne un climat de terreur savamment orchestré par les jeunes hommes armés des deux camps qui ne demandent qu’à croiser le fer. Les commerces sont fermés, les rues désespérément vides. De manière sporadique, des rasades de tirs fendent le silence dans le secteur. Les habitants sont apeurés. Ils savent que la trêve est provisoire. Dans la nuit de vendredi à samedi, elle a été férocement rompue. La guérilla urbaine et les échanges de tirs de roquettes ont repris de plus belle. Le lendemain, plus d’une dizaine de personnes ont été tuées. Il s’agit de la journée la plus meurtrière depuis l’arrestation, le 12 mai dernier, de Chadi Maoulawi, qui a ouvert les hostilités qui émaillent la capitale du Nord depuis donc près d’un mois.

Tripoli reste instable
Jonglant entre la carotte et le bâton, les autorités ont réagi de manière plus forte qu’à l’accoutumée. Le ministre de l’Intérieur, Marwan Charbel, a chargé l’armée de se déployer dans les rues de Mohsen et les FSI du côté de Tebbaneh. Les forces de sécurité sont certes désormais à l’intérieur de ces quartiers, mais l’on tient quand même à préserver les sensibilités politiques, voire communautaires, dans leurs rangs. L’étau se resserre, mais une action policière et militaire plus musclée n’est pas encore à l’ordre du jour. Petit rappel de principe. Les forces de l’ordre obéissent à des directives politiques. Le politique décide, le soldat ou le policier exécute. Des experts de la scène tripolitaine estiment que pour être efficaces, les forces de sécurité devraient pouvoir investir les habitations pour, au minimum, repérer les caches d’armes et interpeller les fauteurs de troubles. Mais en l’absence de décision politique, la situation reste instable et risque de déraper à nouveau.
Tout au long de la semaine, plusieurs magasins appartenant à des alaouites ont été vandalisés et incendiés. Réponse du berger à la bergère, des commerces à Mohsen et à Kobbé, majoritairement sunnites, ont été visés. Des combattants embusqués ont continué à tirer. Les soldats sur place ont bien essayé de riposter, mais les échanges de tirs se sont poursuivis. Mardi après-midi, une roquette Energa s’est abattue sur le secteur de Starco à Tebbaneh. Il a fallu attendre le début de soirée pour que le calme revienne. Et pour ne rien améliorer, les partis politiques sur place continuent à s’étriper. Le coordinateur du Courant du futur à Tripoli, l’ancien député Moustapha Allouche, a accusé «les gangs du régime de Bachar el-Assad d’être à l’origine de la tension permanente dans la ville». De son côté, Rifaat Ali Eid, leader du Parti démocrate arabe, leader de la communauté alaouite de la ville, a, lui, tenu pour responsables l’Armée Syrienne Libre (ASL) «et ses alliés du 14 Mars» des attaques contre les commerces tenus par les alaouites.
Au soir du samedi meurtrier, le Premier ministre a réuni chez lui, à Tripoli, ministres, députés et responsables de la ville. Après avoir, dans un premier temps, donné des gages aux salafistes tripolitains qui chapeautent les bandes armées, le Premier ministre a fini par changer de ton. «L'Armée libanaise et les forces de l'ordre doivent prendre toutes les mesures nécessaires pour mettre fin aux affrontements dans la ville de Tripoli, cela sans réserves». A travers ses contacts avec les acteurs de la ville, le chef du gouvernement a lancé plusieurs pistes pour calmer le jeu et rétablir une certaine stabilité. La situation à Tripoli et les craintes de dérapage ont fait l’objet d’un entretien entre le mufti de Tripoli, le cheikh Malek Chaar et le Premier ministre qui l’a reçu au Sérail. Au cours de cette entrevue, Chaar a insisté sur le fait que les deux belligérants doivent engager un dialogue afin de «parvenir au moins à supprimer les barricades érigées entre eux». Il a affirmé vouloir entreprendre incessamment les contacts adéquats pour favoriser le climat nécessaire à ce genre de retrouvailles.

Le gouvernement sort du coma
Parce que les contacts solides qu’ils ont noués avec la mouvance salafiste de Tripoli n’ont pas donné de résultats immédiats, Najib Mikati et Mohammad Safadi ont décidé de changer de pied.
Raillée par ses adversaires politiques, l’idée d’une aide de 100 millions de dollars pour Tripoli peut aller dans ce sens. Najib Mikati estime aujourd’hui que le temps d’une action de plus grande envergure est venu. Mais pour ce faire, il faut réanimer le gouvernement.
Ces derniers jours, le ministre de l’Energie, Gebran Bassil, le ministre de la Santé Ali Hassan Khalil et le conseiller politique de Hassan Nasrallah, Hussein Khalil, ont multiplié les contacts avec le président de la République, Michel Sleiman et le Premier ministre pour un redémarrage du travail gouvernemental. C’est, pour se donner quelques heures de concertation en plus, que le Conseil des ministres a été reporté de 24 heures. Les pôles de la majorité parlementaire qui capitalisent également sur la volonté de Najib Mikati de remettre la machine en route, ont défini les conditions d’une nouvelle entente gouvernementale.
En préambule de cet accord non écrit, donc non paraphé, ils s’engagent à garder ce gouvernement en vie «dans la mesure du possible» et à ne pas se comporter en force de blocage.
Les autres points concernent les dossiers que le gouvernement a enterrés en raison des désaccords passés.
Le premier d’entre eux concerne la question sensible des dépenses publiques. Les pôles de la majorité souhaiteraient que le chef de l’Etat, qui avait refusé de signer le décret sur cette question, propose une loi qui les satisferait. Et l’autre point sensible concerne les nominations. Les parties prenantes s’engageraient à ne pas entraver les institutions dont les postes sont vacants afin de donner le temps à la concertation politique de faire son chemin.
Sur le plan politique, mardi, le président du Parlement, Nabih Berry, s’est rendu à Baabda, pour la première fois depuis plus d’un mois, pour discuter avec Michel Sleiman des dépenses publiques. Le lendemain, le Premier ministre a reçu les trois médiateurs, Bassil et les deux Khalil, en plus des ministres chargés de l’Economie et des Finances, Mohammad Safadi et Nicolas Nahas, et un représentant des ministres joumblattistes.
La situation à Tripoli aura au moins servi à réanimer le gouvernement, dans le coma depuis des semaines. Cette remise en forme intervient alors que la situation volatile en Syrie laisse potentiellement planer le doute sur l’action de l’opposition qui continue d’appeler à la formation d’un gouvernement neutre et sur la tenue même des élections législatives qui approchent. Julien Abi-Ramia 

 

Accrochages à la frontière libano-syrienne
Le village libanais de Ersal, dans la Békaa, à la frontière entre le Liban et la Syrie, est l’objet depuis plusieurs mois de tensions qui opposent les habitants de cette bourgade sunnite à l’armée syrienne.
Mercredi à l’aube, un Libanais aurait été tué au cours de l’incursion de soldats syriens dans le village. Le président de la municipalité de Ersal, Ali Mohammad Hujaïri, explique que «des soldats de l’Armée syrienne se sont attaqués violemment à un groupe de jeunes». Trois autres personnes seraient portées disparues. A la suite de cet incident, des affrontements à la roquette et à la mitrailleuse entre les deux camps ont éclaté dans le secteur de Kherbet Daoud, à quelques encablures de Ersal. 

 

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