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Nº 2855 du vendredi 27 juillet 2012

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L’opposition syrienne gagne du terrain. Après la bataille de Damas, celle d’Alep fait rage

Pendant de longs mois, le soulèvement populaire en Syrie pouvait se résumer en manifestations organisées, chaque vendredi, et en marches sévèrement matées à coups de balles réelles par le régime du président Bachar el-Assad. Ce scénario ne pouvait durer indéfiniment. C’est ce qui explique le fait que les manifestations ont opposé deux forces armées prêtes à tout pour avoir le dernier mot.

Le régime syrien a fini par avoir gain de cause puisque, dès les premières semaines qui ont suivi l’éclatement de la révolte populaire en mars 2011, suite à l’annonce de son opposition à des groupes armés et non à des manifestants pacifistes, il a fini par faire face à ses propres démons. En effet, depuis quelques semaines, la bataille militaire qui fait rage en Syrie oppose un régime affaibli, sous pression et isolé, à des forces d’opposition divisées, mal entraînées et peu organisées. Mais ce qui inquiète plus que tout le régime c’est le fait que les combattants de l’Armée Syrienne Libre ne sont plus déployés dans les seules régions frontalières isolées à Edlib ou à Deraa, mais sont arrivées au cœur même de la capitale.
Tout avait commencé le 10 juillet après une manifestation organisée par les réfugiés palestiniens dans le camp d’al-Yarmouk pour soutenir le soulèvement populaire. Les forces de l’ordre postées aux entrées du camp n’ont pas hésité à tirer, tuant seize manifestants. Le lendemain, pendant leurs funérailles, une nouvelle fusillade laissa cinq personnes mortes et des dizaines de blessés. C’est sans doute ce qui a précipité la décision des dirigeants palestiniens du camp à rejoindre la révolution contre le régime de Bachar el-Assad. Or, al-Yarmouk est aux portes de la capitale et avoisine le bastion islamiste d’al-Midane, surveillé de près par les services de sécurité. Mais ces derniers n’auraient jamais pensé que les anti-Assad pourraient recevoir le soutien de centaines d’hommes armés prenant part aux combats de rues. Le 15 juillet, les opposants parviennent enfin à s’engager sur le terrain dans les quartiers de Kfarssousa, al-Lawan, Barza, Rikn el-Din, al-Kaboun, al-Kazaz et Set Zeinab. Ce retournement de situation est très dangereux étant donné que les factions palestiniennes en Syrie sont restées fidèles au Baas malgré les nombreuses pressions visant à leur faire suivre l’exemple du Hamas. Mais comme la rue palestinienne ne suit plus depuis longtemps Mahmoud Jibril et Ramadan Shallah, les opposants ont pu se servir librement des dépôts d’armes des ces factions. Le 18 juillet, s’est tenue au quartier d’al-Rawda une réunion de la cellule de crise pour mettre en place un plan militaire destiné à éradiquer la rébellion parvenue à la capitale. Mais les participants n’auront pas le temps d’accomplir leur tâche, une explosion ayant frappé la salle de réunion entraînant la mort sur-le-champ de quatre généraux. La bataille de Damas que le régime craignait depuis longtemps venait de commencer et Bachar el-Assad devra y faire face sans ses ministres de la Défense et de l’Intérieur, sans l’aide du conseiller de son père, Hassan Turkmani, ou même celle de son gendre tombé en disgrâce longtemps avant de retrouver un rôle principal avec le déclenchement de la crise.

Guérilla urbaine à Damas
Il aura fallu vingt-quatre heures à la Quatrième Brigade de la garde présidentielle, dirigée par le général Maher el-Assad, pour écraser les centaines d’opposants armés à Damas. Le bilan de cette opération sera très lourd avec des centaines de morts et très peu de prisonniers. Le but de l’opération étant de venger la mort des hauts dignitaires du régime, tous les moyens étaient permis. C’est ce qui explique l’utilisation des hélicoptères d’assaut russes et français lors du raid sur le quartier d’el-Midane. Entre-temps, des dizaines de milliers de Damascènes aisés avaient pris la route vers le Liban pour y être à l’abri et loin des bruits d’obus. Un réfugié de Homs, qui se croyait en sécurité à Damas, déclare: «on vit aujourd’hui le même scénario qu’à Homs. Cette bataille n’est pas terminée bien que les combattants de l’ASL se soient retirés. Prenez Homs comme exemple: les combattants quittent un quartier pour y revenir le lendemain ou la semaine d’après. Je pense que Damas plongera pendant de longs mois dans une guérilla urbaine où les armées régulières sont généralement désavantagées, surtout si les populations locales sympathisent avec les opposants».
Une fois la mission accomplie à al-Midane, le régime pouvait enterrer ses martyrs en présence du frère du président qui n’a pas eu le temps de changer son uniforme militaire, et celle du vice président Farouk el-Chareh qui n’était plus apparu en public depuis plusieurs mois et que les rumeurs laissaient pour mort. Mais, au moment où le régime croyait avoir redressé la barre, les forces rebelles menaient, avec des résultats mitigés, une opération tous azimuts sur les postes frontaliers que la Syrie partage avec ses voisins. En effet, A la frontière libanaise, ces forces n’ont réussi à occuper aucun poste et n’ont pu contrôler que très brièvement le point de passage vers la Jordanie. Sur la frontière irakienne cependant, l’ASL contrôla les trois postes frontaliers avant de perdre deux d’entre eux, gardant ainsi la mainmise sur le plus important: le passage d’Abou Kamal. Mais c’est à la frontière avec la Turquie que l’ASL, avec l’aide de combattants arabes et des membres d’Al-Qaïda, comme l’ont constaté de nombreux journalistes étrangers, a réussi le grand chelem en contrôlant les passages de Bab al-Salam, Jrabless et surtout Bab el-Hawa qui relie Alep au Hatay. Ces zones pourraient servir de base sécurisée pour la livraison d’armes aux rebelles. Les opposants fortifièrent ainsi leur suprématie sur une grande partie de la province d’Edlib et accomplirent une grande percée à Alep en contrôlant les quartiers de Salah el-Din, al-Sakhour et al-Zabadia. Entre-temps, des centaines d’hommes armés menaient la première grande bataille, celle de Qameshli au nord ouest du pays. Une province qui semble aussi perdue pour le régime syrien puisque les partisans du Parti des Travailleurs du Kurdistan auraient hissé leur drapeau sur les immeubles de la ville frontalière d’el-Malekiah. Pendant que le président syrien nommait le général Fahed Jassem al-Frej, ministre de la Défense et le général Ali Ayoub, à la tête de l’état-major et les recevaient devant les caméras pour prouver que, contrairement aux rumeurs, il n’avait pas fui la capitale, une grande partie du territoire national était hors de son contrôle.

Analyse d’un expert syrien
Un analyste syrien, qui connaît très bien le régime et que Magazinea rencontré à Beyrouth explique, sous condition d’anonymat, que le régime avait perdu la bataille le jour où les opposants ont réussi à infiltrer la capitale. «Le président Bachar al-Assad et son entourage ne vivent pas dans un autre monde comme le prétendent certains observateurs étrangers. Ils savent qu’ils font face à une crise sans précédent, croyant que tant que les troubles étaient limités à des régions lointaines, le régime pourrait se maintenir en place. Or, l’explosion au cœur même de la capitale, qui a éliminé d’un coup la cellule de crise, a sérieusement ébranlé leur confiance, et les combats qui ont suivi dans les quartiers d’al-Mazzeet surtout près du palais des Mouhajerines ont créé une panique au plus haut échelon de l’Etat. Ainsi l’oncle du président, père de Rami Makhlouf, Mohammad, a préféré quitter pour la Russie pendant que les familles d’un grand nombre d’officiels proches du président ont rejoint Téhéran, Minsk ou Moscou. La bataille est perdue car si le régime n’arrive pas à imposer le calme dans la capitale et qu’il perd le contrôle de la majorité des passages terrestres avec la Turquie et l’Irak, les opposants qui se fournissent clandestinement en armes pourront dorénavant en recevoir des plus sophistiqués. La bataille durera encore quelques mois, mais l’issue est claire pour tout le monde.» D’ailleurs les menaces à peine voilées de Jihad Makdessi sur le possible recours au stock d’armes chimiques et biologiques au cas où son pays est attaqué, démontre que Damas, dos au mur, joue le tout pour le tout. La folie n’a malheureusement pas de limites au sein d’un régime qui, plutôt que de punir le général Rustom Ghazalé pour ses exactions au Liban et dans sa province de Deraa, l‘a promu au poste de chef des services du renseignement.
La bataille fait rage sur le territoire syrien et Washington, qui hésitait à envoyer des armes aux membres de l’ASL, semble avoir changé de stratégie après les vetos russe et chinois, pour la troisième fois, au Conseil de Sécurité contre de sérieuses sanctions à appliquer à Damas. Les opposants, sur la défensive depuis le début de la crise, sont désormais dans l’offensive et ont réussi à marquer des points contre un régime qui n’a plus rien à perdre. Il est désormais clair que les dirigeants Baassistes ne veulent rien entendre, ce qui expliquerait l’échec de la dernière proposition arabe permettant au Président Assad de quitter le pouvoir à la manière du président yéménite Ali Abdullah Saleh. En effet, le régime pense qu’en fin de compte il remportera la partie haut la main. Mais avec plus de vingt mille victimes, peut-on vraiment parler d’une victoire?

Walid Raad

Camps palestiniens en Syrie
La Syrie accueille dix camps de réfugiés palestiniens qui abritent près d’un million deux cent mille personnes. Celui de Yarmouk est probablement le plus petit. Situé à l’entrée Ouest de la ville de Damas, il s’étend sur un peu plus de 2 kilomètres carrés sur lesquels vivent cent cinquante mille personnes. Construit en 1957 par quelques centaines de Palestiniens qui avaient fui la guerre de 1948, il ne fut jamais reconnu par les autorités syriennes en tant que tel. A travers les années, les habitants ont réussi à bâtir des immeubles et à ouvrir des cafés et des boutiques. Résultat, et contrairement à l’état déplorable des autres camps palestiniens en Syrie ou au Liban, al-Yarmouk ressemble plus à une banlieue populaire qu’à un camp de réfugiés démunis et abrite notamment quatre hôpitaux et dix écoles à son effectif.

 

Quand Alep entre en jeu
La ville d’Alep est non seulement la deuxième ville du pays, mais aussi la première région industrielle et commerciale de Syrie. Avec deux millions et demie de personnes, la ville avait refusé de prendre part à la révolte populaire malgré les multiples appels lancés à ses habitants à majorité sunnite. Ces derniers, des commerçants et des hommes d’affaires n’apprécient guère le chaos et préfèrent l’ordre des choses. Cette attitude avait agacé les mouvements d’opposition qui n’ont pas hésité à pointer du doigt, à plusieurs reprises, les Aleppins pour «leur traîtrise». Le très médiatique cheikh Adnan el-Arour avait même menacé les commerçants de la ville et son bazar de payer cher leur soutien au régime Assad, une fois celui-ci renversé. C’est finalement grâce aux armes que les forces d’opposition ont eu le dessus, réussissant en quelques jours à tenir les points stratégiques de la ville de Sayf el-Dawla. L’opération de «la libération d’Alep» a été très bien planifiée puisque peu avant le jour J, le général Mohammad Mefleh, chef des services de renseignements militaires de la province, qui avait servi pendant de longues années au Nord Liban, prenait la fuite et rejoignait la Turquie. Quelques heures plus tard à Azzaz, une banlieue d’Alep, les rebelles réussissaient à capturer Kefah Melhem, un des généraux pro-régime les plus sanglants et les plus féroces.

 

Argent pris au peuple!
Au moment même où l’oncle du président Assad, Mohammad Makhlouf, se remettait de ses émotions dans sa suite au luxueux Radisson Ukrania, son fils recevait un coup très dur. Le cousin du président, Rami, devenu en quelques années un milliardaire, voyait ses magasins saccagés et pillés. En effet, les boutiques de la zone hors taxe sur la frontière avec la Turquie, notamment au passage de Bab el-Hawa, avaient été pillées par les groupes armés. Un témoin a noté avoir vu des combattants de l’opposition avec des cigares cubains entre les dents et des téléphones portables dernière technologie dans les poches. Quand le témoin a demandé au chef du groupe armé pourquoi il laissait faire, ce dernier lui a répondu «c’est l’argent du peuple qui a été volé par Assad et ses cousins et ont ne fait que rependre ce qui nous appartient !»

 

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