«L’Etat ne se laisse définir sociologiquement que par le moyen qui lui est propre, spécifique à tout groupement politique, à savoir la violence physique (…). De nos jours, la relation entre Etat et violence est tout particulièrement intime», Max Weber.
Faire appel à l’un des pères de la sociologie moderne qui écrivait au siècle où l’Etat, tel qu’on le comprend encore aujourd’hui, acquérait tout son sens, est nécessaire, tant l’armée est essentielle pour le Liban. Celle-ci est, depuis quelques années, particulièrement en 2012, victime d’agressions physiques et de dénigrement systématique. Pour ne citer que les épisodes les plus importants: les salafistes de Denniyé au tournant du millénaire, l’hélicoptère militaire abattu par le Hezbollah, l’agression de Chiyah, l’attentat contre l’autobus chargé de soldats à Tripoli et, maintenant, le Akkar qui l’accuse de tuer de sang-froid des hommes religieux. Chaque fois qu’un partisan, à quelque parti qu’il appartienne, est arrêté par la troupe, celle-ci est accusée de parti pris. Récemment, le Courant patriotique libre (CPL) s’est pris d’une sorte de passion pour la Grande muette alors qu’auparavant, quand ses alliés attaquaient l’armée, l’émotion ne provoquait chez lui aucune réaction de support. On ne peut pas non plus ignorer l’insuffisance du budget qui lui est attribué et qui suffit à peine à ses frais de bouche et ne lui permet, en aucune façon, d’acquérir l’armement dont elle a besoin. Tout cela, sans oublier la méconnaissance de sa nécessaire exclusivité de coercition, une des plus graves atteintes à son statut. Mais pourquoi se soucier de l’armée aujourd’hui? Pour deux raisons. D’abord, vu ses faibles moyens, elle a fait preuve de professionnalisme et d’ingéniosité dans la bataille de Nahr el-Bared. En affrontant des combattants aguerris, retranchés dans une forteresse et surarmés, elle a prouvé qu’elle pouvait s’opposer aux pires ennemis du Liban. Ayant lutté telle qu’elle l’a fait contre un ennemi à l’intérieur de nos frontières, il n’y a aucune raison qu’elle ne puisse en faire de même contre Israël. Pour une fois dans ses annales, l’armée a démontré sa capacité à tenir son rôle. Il reste à le lui confirmer pour enfin mériter d’un statut d’Etat moderne. Juste un rappel: qui se souvient encore des soldats et des officiers morts dans cette bataille? Leur a-t-on rendu l’hommage qui leur est dû confirmant que des Libanais pouvaient mourir dans une même tranchée? Certes non.
Dans cette période où les forces centrifuges sont à l’œuvre, où chaque communauté prétend représenter le Liban et se permet, pour certaines, d’avoir sa propre force militaire, l’armée reste un creuset qu’il ne faut pas négliger. Elle est certes parcourue par des courants contradictoires, mais elle reste la dernière institution, où des Libanais toutes confessions confondues, se côtoient, se parlent, se battent côte à côte, sous une seule et même bannière. Un esprit de corps qu’il faut encourager pour protéger l’unité de l’armée et en faire un exemple pour le reste des institutions étatiques. Il ne s’agit, en aucune façon, d’appeler à une prise de pouvoir par les militaires ou même de militariser le pouvoir. Ne réveillons pas des démons qui dorment et qui, d’ailleurs, ne font pas partie de notre bestiaire local. On se souvient de la lamentable pantalonnade du général Aziz el-Ahdab en 1976. Cela est contraire à nos institutions et aux intérêts du Liban. Pour s’en convaincre, il suffit de lire l’histoire récente du monde arabe. Que les politiciens de tous bords renoncent désormais à tenter d’impliquer l’armée dans leurs duels stériles. Ils ne feraient que renforcer le virus de leurs divisions pour d’éphémères royaumes. Ils finiront par défaire les liens qui encore tiennent unie cette institution. En 1973 d’abord et en 1975 ensuite, si l’armée avait rempli son rôle nous n’en serions pas là. Ce fut la couardise et l’inconscience des politiciens qui la retinrent dans ses casernes et la menèrent à s’effondrer et le Liban avec. Une fois suffit.
Amine Issa