Début 1957, on ne parle que du réseau de prostitution dirigé par une mystérieuse Afaf, qui bénéficierait d’appuis hauts-placés. Mais il faudra attendre des mois avant que la justice ne se mette en marche.
Le journaliste Habib Moujaes lance l’affaire en accusant, dans Cinema wa-Ajaeb, la brigade des mœurs de fermer l’œil sur les activités de Afaf. La presse publie une photo de dame Afaf posant, dans la Békaa, avec un groupe de chasseurs membres de la brigade des mœurs. Traduit devant le tribunal des imprimés, Moujaes apporte des preuves et des témoignages pour étayer ses accusations. Le président du tribunal, Wafic Houssami, découvre alors que Afaf et son amant, Saïd Khaled, auxiliaire de justice au Palais, géraient un réseau de prostitution clandestine, et bénéficiaient d’une protection inconnue. En mars 1958, Habib Moujaes échappe à un attentat.
Des coups de feu tirés un soir par Saïd Khaled dans l’immeuble occupé par Afaf poussent finalement les autorités à se mêler de l’affaire. Les activités de la dame cessèrent.
Afaf, ou de son vrai nom Baddour Dahouk, était d’origine syrienne. Elle avait épousé le frère de Saïd Khaled, avant de s’installer dans la région de Beyrouth et de louer un immeuble de luxe en face du Bristol, où elle a ouvert un hôtel, transformé en maison close.
L’inspecteur général à la justice, Kamal Itani, a été chargé de rédiger un rapport sur l’affaire qui se corse. La Chambre des députés soulève la question et le gouvernement répond que les maisons de la Madame Claude libanaise sont fermées. L’enquête se poursuit néanmoins, pour identifier ses protecteurs.
Le 14 janvier 1958, Afaf, en route pour Damas, est arrêtée à Hazmié. Une enquête est diligentée et l’affaire occupe la scène politico-médiatique pendant des mois. Afaf et Saïd Khaled sont entendus par la justice, avant que le procureur Saba ne confie le dossier au juge Mallat. Le 11 février 1958, les pleins pouvoirs sont attribués au juge Mallat pour mener une enquête approfondie. Afaf niera tout en bloc. Elle affirme que les chambres de son «hôtel» sont louées à des étudiantes ou à des touristes. Mais le juge Mallat pousse son enquête. Il découvre dans l’immeuble des films dont elle se servait pour exercer un chantage sur de hauts fonctionnaires.
Dans un livre publié récemment, le juge Georges Mallat évoque l’affaire Afaf, et raconte les détails du scandale retentissant qui a éclaboussé plus d’une jeune fille de la société libanaise. Il écrit que les «filles», venues porter plainte contre Afaf, révèlent qu’elles ont été embarquées de force dans la prostitution. «Madame Claude» n’hésitait pas à leur donner le fouet. Leurs dépositions consignées dans le procès-verbal de l’enquête préliminaire sont différentes. L’inspecteur avoue avoir reçu l’ordre de maquiller la vérité.
Georges Mallat se rend donc à l’immeuble de la suspecte, mais la maison est close, et tout accès y est interdit. Au commissariat de Hobeiche, il apprend que le commissaire Hussein Nasrallah et les hommes de la police judiciaire rattachée au parquet de la Cour de cassation avaient, le matin même, vidé l’immeuble de son mobilier et scellé la porte d’entrée.
Quelques jours plus tard, Saba demande à Mallat la libération de dame Afaf, estimant que le délai légal à son audition a expiré. Mallat ne se laisse pas impressionner et insiste à aller jusqu’au bout de son enquête. Malgré les interventions, il réussit à conclure ses investigations. Pourtant, durant le procès, des témoins principaux disparaissent et en entrant au Palais de justice, le juge Mallat essuie des coups de feu qui blessent le magistrat Mounir Mahmassani qui sortait au même moment. Quelques mois plus tard, Afaf est jugée et condamnée, et l’affaire de la dame Claude libanaise est… close.
A.K.
N.B: Les sources du texte sont tirées du Mémorial du Liban-mandat du président Camille Chamoun de Joseph Chami et du livre Les mémoires d’un magistrat de Georges Chibli Mallat.
Le mystérieux protecteur
Tout semble accuser Chucri Saba d’être le mystérieux protecteur de Afaf. Le Conseil supérieur de la magistrature suspend alors le procureur de ses fonctions et le traduit devant le Conseil de discipline. Fin février 1958, il comparait devant le Conseil qui le juge coupable et le renvoie du corps de la magistrature. Sa culpabilité prouvée, Afaf est condamnée, le 5 mars 1959, à trois ans de prison. Le 9 novembre 1970, Afaf qui se trouvait en Syrie, est abattue par l’un de ses frères.