Magazine Le Mensuel

Nº 2857 du vendredi 10 août 2012

LES GENS

Ghassan Moukheiber. Un idéaliste réaliste

Engagé en politique comme on s’engage dans un apostolat, grand idéaliste, tout simplement car il est réaliste selon ses dires, il est depuis 2002 le député grec-orthodoxe du Metn. Depuis 2002, il est membre du Bloc du Changement et de la Réforme. Portrait de Ghassan Moukheiber.

Il se considère comme le fruit d’une multitude de hasards. Ghassan Moukheiber l’appelle le destin ou Dieu, selon l’endroit où l’on se place. Fortement influencé par son père et son oncle, l’ancien député Albert Moukheiber, Ghassan est né dans une famille qui respire la politique dès les premières heures de la journée jusque tard dans la nuit. «Mon oncle a toujours vécu avec nous, bien avant ma naissance. J’avais deux pères, tous les deux engagés dans le service et la politique. Mon père assurait les services administratifs et mon oncle le service médical. Il a toujours soigné les gens gratuitement», confie Moukheiber. C’est surtout de son oncle qu’il a appris le respect et l’amour des gens, surtout des pauvres. «Mon oncle était ému et horripilé par la pauvreté. C’est le sentiment que j’ai aussi. L’injustice me révolte, ainsi que la pauvreté et la faiblesse. C’était pareil pour mon père et mon oncle. Ils ont travaillé gratuitement et se sont appauvris en faisant la politique. Ces valeurs-là, on les apprend à la maison. Aucun livre ne peut vous les inculquer», estime le député du Metn.
Ses amis d’enfance se souviennent encore qu’il aimait beaucoup argumenter. Il répétait depuis son plus jeune âge qu’il voulait être avocat, en clamant haut et fort qu’il ne fera pas de politique. «Je percevais la vie publique de mon père et de mon oncle comme un vol. Il y avait toujours du monde à la maison. Même pour aller faire ma toilette le matin, je devais traverser en pyjama toute une foule. Pourtant, la politique m’a rattrapé», se souvient Ghassan Moukheiber. Avec tendresse, il parle de sa mère qui a le plus souffert de cette situation. «Elle faisait la cuisine pour tout le monde et ne savait jamais combien de personnes il y aurait à table. Elle nous a toujours protégés, mes frères et moi. Pour réviser nos leçons, on était enfermé dans une petite chambre», dit-il.

L’amour des gens
L’amour des gens et le souci de l’autre se sont développés dans le scoutisme, une période qui a beaucoup marqué Ghassan Moukheiber.  «Au garçon timide et renfermé que j’étais, le scoutisme a donné une grande ouverture». Dans la prière des Scouts, il tire sa force et considère sa vie politique «comme un engagement pour le service». Il cite cette prière qu’il répète dans les moments difficiles. «Seigneur Jésus, apprenez-nous à être généreux, à Vous servir comme Vous le méritez, à donner sans compter, à combattre sans souci des blessures, à travailler sans chercher le repos, à nous dépenser sans attendre d’autres récompenses que celle de savoir que nous faisons Votre sainte volonté». Par la suite, son activité au sein de la Croix-Rouge ainsi que le scoutisme lui ont permis de servir sans pour autant s’engager dans une milice, chose que ni son père ni son oncle ne souhaitaient. Elève de la Mission laïque française, comme son père et son oncle avant lui, il a toujours été sensible aux valeurs de la République française. La fréquentation d’une école laïque et mixte où se côtoyaient musulmans, chrétiens et juifs a fait de lui «un croyant laïque», comme il se décrit. A l’Université Saint-Joseph, il fait des études de Droit et poursuit un LLM à Harvard. «Je savais ce que je voulais être et ensuite je me suis engagé en politique comme l’on s’engage dans un apostolat», affirme Moukheiber. C’est pendant les années de guerre qu’il fait ses études. «Nous étions sur une ligne de front et j’étais toujours frappé par l’idée d’étudier le Droit constitutionnel et les libertés publiques, alors que l’Etat était démembré, les libertés bafouées et les bombes explosaient sous notre fenêtre», confie le député. Malgré ce qu’il appelle la schizophrénie de cet enseignement, Ghassan Moukheiber estime qu’il ne faut pas craindre d’avoir un idéal. Il se souvient encore d’un sujet de dissertation au Lycée où l’on devait analyser la phrase: Soyons réalistes! Exigeons l’impossible. «Ce dicton est l’histoire de ma vie. Il m’a beaucoup marqué. Je suis idéaliste parce que je suis réaliste», affirme Moukheiber. Il estime qu’on ne peut pas travailler en politique si l’on perd de vue ce principe. «Je compare mon attitude à un éboueur: la politique est sale mais je suis là pour faire le ménage. On ne peut pas faire le ménage si l’on est dégoûté par la saleté», dit Ghassan Moukheiber.

Jaloux de son indépendance
Très jaloux de son indépendance politique, il considère le Courant patriotique libre son allié électoral et politique car, dit-il, nous partageons le projet de l’édification d’un Etat souverain, démocratique et indépendant, la lutte contre la corruption, et la laïcité. «Il est certain que nous avons des modes d’expression différentes, mais je trouve cela parfaitement normal dans une démocratie, au sein d’un même groupe parlementaire, pour rendre plus efficace l’action de ses membres. D’ailleurs ce groupe compte une multitude de partis comme le Tachnag, les Marada et d’autres personnalités indépendantes», explique le député du Metn. Il dit avoir toujours œuvré pour être un pont qui rapproche autant que possible les personnes et groupes politiques en apparence divergents. Dans cet esprit, il avait organisé la rencontre entre le général Michel Aoun et Saad Hariri à Paris, en 2008. Il avait aussi organisé en 2007-2008 un groupe de dialogue à l’intérieur même du Parlement, pour maximiser les ententes et minimiser les désaccords. «Je crois à la valeur du dialogue, mais pas celui des sourds évidemment», dit-il ironiquement. Pour lui, c’est le seul moyen de survie du Liban. «Il faut développer les institutions de dialogue tel que le Parlement et identifier les différences de manière à les gérer ou les dépasser», estime Ghassan Moukheiber. D’ailleurs, il a enseigné pendant plus de quinze ans le dialogue et la médiation, matières qu’il a étudiées aux Etats-Unis.
A 53 ans, le député du Metn est toujours célibataire. Si certains prétendent qu’il copie l’exemple de son oncle, pour lui, il en est tout à fait autrement. «Je n’imite pas mon oncle. Au contraire, je ne me souviens que trop bien de ses dernières paroles, quand on l’a emmené à l’hôpital. Il m’a dit : ‘‘ne fais pas comme moi, va te marier’’», se souvient Ghassan Moukheiber. Il n’a pas pris la décision de rester célibataire, bien au contraire, il a la ferme intention de se marier et d’avoir des enfants. «A être trop idéaliste, on devient aussi idéaliste en matière de femmes. Mais le temps coule et je la prends trop cool», dit-il en souriant. Quoiqu’il ait connu de grandes amours, il est trop pris par ses nombreuses activités. «Une relation est un engagement qu’il faut prendre au sérieux. Je suis ouvert à toute relation et prêt à investir le temps nécessaire mais je suis déjà marié à la politique qui est une femme très exigeante. Il faut que la femme avec qui je me marierai accepte cette bigamie et partage avec moi mes nombreuses activités», confie Moukheiber. Il croit fermement au travail d’équipe et c’est la raison pour laquelle il a fondé plusieurs associations concernant chaque domaine auquel il s’est intéressé: l’environnement, les droits de l’homme, la démocratie des élections, la corruption. «On ne peut rien faire tout seul. Même dans l’action politique, je crois en la collaboration entre la société civile et les hommes politiques», affirme le député. Ce qui lui fait dire en parodiant Clemenceau: La politique est une chose trop grave pour être confiée aux politiciens seuls…

Joëlle Seif
 

Un bureau personnalisé
Généralement, les bureaux des députés, place de l’Etoile, sont d’une banalité désolante. Mais en arrivant chez Ghassan Moukheiber, on est sur le champ séduit par l’atmosphère chaleureuse et accueillante de son bureau. Très personnalisé, il porte la touche personnelle de son occupant. Des objets rapportés de ses nombreux voyages, des tableaux illustrant des thèmes chers à son cœur, des croix… «Je passe trop de temps ici et j’ai besoin de me retrouver dans un cadre agréable», confie Moukheiber. Une lithographie faite à la main représentant la déclaration des droits de l’homme offerte par Ghassan Tueni, des masques africains, des statues… Sur un mur est accroché le fameux J’accused’Emile Zola, publié dans le journal L’Aurore. Un tableau montre l’image qui a fait le tour du monde, montrant un homme seul debout devant les chars à Tian An Men, prise le 5 juin 1989. «Je me retrouve dans cet homme. Il faut avoir le courage de ses opinions même si elles sont solitaires. Ne pas avoir peur de dire ce que l’on pense même si on est le seul à le dire», dit-il.

Ce qu’il en pense
-Ses loisirs: «J’ai presque tout fait dans ma vie. Le football, le hiking, les échecs, l’astronomie, la sculpture, la musique, le chant, la lecture… J’avais même fabriqué mon premier télescope et j’ai été un élève du conservatoire».
-Facebook: «J’utilise copieusement Facebook qui reste le plus gros moyen de communication. Je gère mon compte personnellement entre 11 heures du soir et une heure du matin et je réponds à tous les messages. J’ai d’ailleurs deux comptes avec plus de 5000 amis chacun. J’aime être en contact avec les gens. Je suis très branché côté technologie et j’ai été un des premiers à utiliser le notebook».
-Sa devise: «C’est pour que tu t’élèves qu’on t’a fait exister. D’ailleurs, je l’ai inscrite sur une photo que j’ai prise et développée moi-même et que j’ai fait encadrer. Cela représente le besoin de toujours se dépasser, de se construire soi-même en construisant l’Etat».

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