Il faut être plus que persuasif pour convaincre les jeunes générations de croire dans le Liban, d’avoir foi dans l’avenir, d’être persuadés que demain sera meilleur qu’aujourd’hui. Quels arguments peut-on leur apporter pour les séduire? Quelles histoires peut-on encore leur raconter pour les dissuader d’aller chercher sous d’autres cieux la sécurité et la quiétude? Aucune, sinon de beaux principes sur l’attachement à la terre des ancêtres, la fidélité aux racines, la nostalgie des quartiers qui les ont vu naître et grandir.
Aussi optimistes que l’on puisse être, on ne peut brosser un tableau radieux de la réalité sans pécher par omission, sans déformer les faits ou, carrément, mentir. La vie de nos enfants sera alors faite de mensonges, et le jour où ils le découvriront, la déception sera tellement grande qu’ils auront du mal à l’oublier et le traumatisme tellement grave qu’ils en garderont les séquelles jusqu’au crépuscule de leur vie.
Mais même le mensonge ne paye plus dans un monde interconnecté en permanence, avec des enfants hauts comme trois pommes qui maîtrisent les nouvelles technologies de la communication comme on savait, il n’y a pas très longtemps, faire voler un cerf-volant ou jouer à la marelle.
A mieux y penser, on réalise que les jeunes Libanais, la majorité d’entre eux en tout cas, commencent leur vie d’adulte en traînant un grand nombre de boulets et de handicaps.
Il y a, bien entendu, les inconvénients classiques, liés à la nature même du régime libanais: confessionnalisme, corruption, népotisme, clientélisme, instabilité, insécurité, indiscipline… la liste est longue. Tous ces facteurs constituent, depuis des décennies, des obstacles au développement du pays. Ayant perdu espoir de révolutionner le système pour le rendre plus moderne et plus efficace, les Libanais ont laissé exploser leurs talents dans tous les domaines, en métropole et en outre-mer. Partout ils sont présents, ils brillent, ils font parler d’eux. Ils ont transposé le monde dans leur pays et leur pays dans le monde. Aux services rudimentaires –mais néanmoins présents- fournis par l’Etat, ils ajoutaient leurs propres initiatives et capacités. Même lorsque la sécurité s’est détériorée, que les crises politiques se sont aggravées, que les institutions se sont bloquées, ils ont continué à entreprendre.
Mais depuis quelques mois, la déliquescence a atteint des bas-fonds inimaginables. L’Etat ne fournit presque plus aucun service, et ceux qui existent se sont gravement dégradés.
Le Libanais en est presque réduit à la même situation que l’homme du Moyen Âge qui luttait une vie entière pour trouver l’eau et la nourriture nécessaires pour survivre. Aujourd’hui, le Libanais déploie de gros moyens pour assurer l’électricité, l’eau, les télécommunications, le transport… Tout ce temps, cet argent, ces efforts investis pour assurer des services de base qui devraient être acquis par défaut, sont autant d’énergie gaspillée.
Nos enfants commencent donc leur vie avec un handicap qu’ils traîneront toute leur vie. Au lieu de consacrer leur énergie à entreprendre, créer, s’épanouir et se développer, ils la dilapideront pour assurer des besoins élémentaires et des services basiques.
Comment les convaincre, dans ces circonstances, de continuer leur vie d’adulte et de lancer leur carrière au Liban? Paul Khalifeh
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