Magazine Le Mensuel

Nº 2858 du vendredi 17 août 2012

Editorial

Le rapt du Liban

De deux choses l’une: soit le Hezbollah dirige le clan Mokdad en sous-main et le pousse à enlever des Syriens appartenant à l’ASL ou ce clan agit de son propre chef? L’affaire de l’ancien ministre Michel Samaha, si l’on en croit les premiers éléments révélés par l’enquête, démontre que la Syrie, pour faire pression sur le Liban par le terrorisme, ne dispose plus de ses circuits conventionnels. A savoir, son premier allié le Hezbollah et les divers groupuscules palestiniens à sa solde. Dans le premier cas, tout en appuyant politiquement son allié syrien et son fournisseur en armes, il est clair que le Hezbollah refuse tout acte déstabilisateur au Liban qui pourrait soulager Damas. Dans le second, on peut comprendre leur hésitation. Voyant le régime perdre pied, ils ne veulent pas compromettre leur avenir avec un nouveau gouvernement qui leur rappellerait leurs turpitudes du dernier quart d’heure au service du président Assad. Privé d’exécutants, Damas se serait rabattu sur Michel Samaha, un homme politique, qui troqua maladroitement sa plume pour un détonateur. Le Hezbollah serait-il donc totalement étranger à l’enlèvement des Syriens au Liban? Ce n’est pas sûr. Voulant ménager la chèvre et le chou, il aurait poussé le clan à agir en lui promettant une certaine reconnaissance politique. Ne voulant pas décevoir totalement la Syrie, il aurait commandité le rapt, mais agirait dans l’ombre, pour éviter d’être accusé de provoquer des troubles au Liban où son étoile perd de son éclat. C’est une hypothèse. La seconde serait une initiative propre au clan Mokdad. On sait que celui-ci entretient des rapports tendus avec le Hezbollah. Il l’accuse principalement de saper son autorité tribale sur ses affiliés en les attirant dans les rangs du parti. Face à la retenue du Hezbollah depuis l’enlèvement des onze pèlerins, le clan Mokdad décide d’agir quand un des siens est kidnappé en Syrie. Si tel est le cas, il faudrait regarder au-delà de l’agissement d’une tribu qui se fait justice au mépris de l’Etat. Ce clan est accusé de beaucoup de maux dans la banlieue sud. Rackets, vols, trafic de drogue. Il s’en défend, bien évidemment, mais le seul fait d’en parler pointe du doigt le Hezbolah qui aurait perdu de son autorité dans la zone qu’il contrôle, laissant d’autres acteurs surgir. Encore une fois, le clan des Mokdad se comporte plus en organisation politique que tribale. Il agit à Beyrouth, au cœur du pouvoir, en défenseur de la communauté chiite visée par l’ASL. Il possède une permanence, un porte-parole et une branche armée. Cela ressemble, à s’y méprendre, à un parti politique. Il y a quelques semaines, le chef de ce clan avait clairement annoncé à la presse qu’il se présenterait aux élections législatives de 2013 en indépendant. Entendre, indépendant du Hezbollah. Un parti politique issu d’une famille et d’un clan ne peut en aucune façon se projeter dans le système politique. On ne peut le comparer au féodalisme politique de certaines grandes familles qui se contentent d’occuper les postes-clés quand ce n’est pas uniquement la direction de leurs partis. Pourtant, ce modèle de tribu-parti existe. Tel est l’exemple du Yémen. La tribu Hached, de confession zaydite, branche du chiisme, phagocyte tous les rouages de l’administration politique à Sanaa. Ce serait une belle avancée pour le Liban!

Que faire maintenant, alors que les adversaires du Hezbollah faisant feu de tout bois risquent de mettre le feu aux poudres? Encore une fois, seul l’Etat est en mesure d’agir. Il devrait se dépêtrer de son laxisme face aux agissements de l’ASL à l’égard des Libanais. Des pantins médiatiques comme Abou Ibrahim ne manqueront jamais à l’appel dans une Syrie démantelée. Il faut agir et vite: une délégation permanente officielle en Turquie pour suivre l’affaire, un battage médiatique, une plainte officielle aux Nations unies même contre un groupe d’insurgés, user de toutes les influences régionales qui peuvent amener à la libération des détenus. Ces mesures sont indispensables. En bref, ne pas traiter cette affaire en fait divers. Montrer que l’Etat existe et qu’il n’abandonne pas ses citoyens, pour éviter la surenchère. Ce n’est pas distinguer les Libanais retenus actuellement en Syrie de tous les autres qui y croupissent encore. Ce n’est pas faire une concession à la communauté chiite. C’est éviter que la Syrie et ses problèmes ne nous engloutissent.

Amine Issa

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