Magazine Le Mensuel

Nº 2860 du vendredi 31 août 2012

Moyen-Orient

A la faveur de la crise syrienne. La question kurde revient en force

La révolution syrienne a exacerbé les tensions au Moyen-Orient en ramenant sous les feux de la rampe le projet longtemps revendiqué mais jamais concrétisé d’une nation kurde dans le cas d’un démembrement de la Syrie. Magazine a rencontré Karim Emile Bitar, chercheur auprès du Centre de réflexion IRIS.

Quel danger représente la question kurde pour l’opposition syrienne?
La question kurde, déjà très controversée, est une des lignes de faille majeures au sein de l’opposition syrienne. À chacune des conférences de l’opposition qui a eu lieu ces 18 derniers mois, les débats les plus houleux étaient centrés autour de cette question. Toutes les factions se rendent compte de la nécessité d’inclure les Kurdes dans la révolution syrienne, mais peu sont prêts à faire les concessions nécessaires. Quand Abdel Basset Seida (d’origine kurde) fut nommé à la tête du Conseil national syrien (CNS), certains Kurdes ont contesté sa représentativité, en soulignant que les décisions importantes étaient généralement prises par d’autres personnalités, notamment celles liées aux Frères musulmans. Dans un avenir proche, l’épineuse question sera de parvenir à un accord sur le degré d’autonomie dont les Kurdes jouiront dans une nouvelle Syrie. Pour des raisons historiques, les Kurdes ont de tout temps été particulièrement méfiants à l’égard des divers gouvernements syriens. Ils ont aussi de bonnes raisons de se méfier de l’opposition: la plupart des leaders de l’opposition syrienne actuelle rejettent fermement l’idée d’une région autonome kurde et sont très attachés à l’identité arabe de la Syrie, son unité et son intégrité territoriale. Toutefois, dans le cas où les factions kurdes parviendraient à surmonter leurs divisions, elles pourraient mettre à profit le chaos actuel pour imposer une situation de fait accompli dans le nord de la Syrie. Cela expliquerait la récente déclaration du chef de l’Armée syrienne libre, le colonel Riad el-Assaad, qui a assuré qu’il ne permettra pas qu’un seul mètre de terre syrienne soit séparé du pays et qu’«il se battra contre toute personne qui tenterait de le faire».

Certains activistes kurdes affirment que l’accord d’Erbil entre le PYD (la branche syrienne du PKK) et d’autres factions kurdes a réduit la marge de manœuvre du régime Assad dans les zones kurdes. Dans quelle mesure le régime peut-il manipuler le PYD?
Les militants kurdes sont bien placés pour se rendre compte des tentatives du régime Assad de les manipuler et de les utiliser comme des pions sur un échiquier dans le cadre de sa guerre avec la Turquie. Ils sont donc devenus très prudents. Il existe toutefois des thèses contradictoires en ce qui concerne l’aide militaire, financière et organisationnelle que les services de renseignement syriens ont fourni au PKK. Les services de renseignement Turcs estiment cette dernière comme assez importante alors que d’autres pays ont tendance à la minimiser.

La rhétorique d’Erdogan vis-à-vis des Kurdes en Syrie semble de plus en plus agressive. Pensez-vous qu’une attaque turque visant les régions kurdes en Syrie soit possible?
La rhétorique enflammée d’Erdogan ne devrait pas être prise trop au sérieux. Les événements de l’année précédente ont démontré que ses propos dépassaient très souvent ses actions. La Turquie n’interviendra que dans le cas où ses intérêts stratégiques vitaux et son intégrité territoriale seraient véritablement menacés. Erdogan a plusieurs raisons, dont certaines particulièrement graves, pour se montrer prudent. L’Iran et la Russie n’accepteraient pas que la Turquie, un membre de l’Otan, intervienne dans un pays qu’ils considèrent comme leur chasse gardée. Erdogan doit également faire face à d’importantes considérations d’ordre politique interne: une Turquie en guerre pourrait permettre à l’armée de reprendre la haute main sur la scène politique intérieure, une perspective qui serait très mal vue par l’AKP (Parti pour la Justice et le Développement au pouvoir).

A Washington, on parle de plus en plus de l’établissement d’une nation kurde dans une période de moins de 5 ans, croyez-vous à cette possibilité?
Je suis très sceptique quant à ce scénario. Ce projet est sur la table depuis des décennies mais il a de tout temps été contrarié. Les Kurdes peuvent attribuer cette situation au jeu des nations, mais elle résulte également de leurs propres divisions. Les conditions préalables à la construction d’un Etat kurde indépendant, que ce soit en termes d’institutions, de ressources financières, d’efforts en matière de relations publiques ou de lobbying, n’existent toujours pas. Propos recueillis par Mona Alami
 

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