La libération de l’un des pèlerins chiites, enlevés en Syrie il y a trois mois, signe-t-elle la fin des kidnappings survenus ces dernières semaines? Fort de ce succès, Nabih Berry et le gouvernement poursuivent leurs tractations pour obtenir la libération de Hassan Mokdad capitale pour briser la spirale des enlèvements.
Depuis samedi 26 août, Hussein Ali Omar est un homme libre. Relâché par ses ravisseurs en Syrie, le pèlerin de 60 ans, enlevé le 22 mai dernier, a atterri à l’aéroport de Beyrouth à bord d’un avion turc, vêtu d’une cravate frappée des couleurs et du croissant du drapeau turc. «Tous les autres pèlerins sont sains et saufs. Nous avons été très bien traités, nous étions comme chez nous. Ils nous donnaient les médicaments dont nous avions besoin», a déclaré l’ex-otage à son arrivée sur le sol libanais. Accueilli par Marwan Charbel, Hussein s’est ensuite rendu chez lui, à Haï el-Sellom, dans la banlieue sud de Beyrouth où ses proches l’attendaient. Cette libération a été acquise la veille par les autorités turques que le pèlerin originaire de Baalbeck a chaleureusement saluées. Le porte-parole des rebelles à Azzaz, dans le nord de la Syrie, Mohammad Nour, a affirmé dans une vidéo que cette libération constituait un geste de bonne volonté envers les Libanais, mais qu’elle ne signifiait en rien qu’ils renonçaient aux revendications présentées au Hezbollah.
Par-delà le conflit syrien
Cité par l’agence de presse turque, Anatolie, le ravisseur des pèlerins libanais, Abou Ibrahim, a indiqué que la libération de Hussein Omar était un signe de bonne volonté et d’appréciation des positions «honorables» de la Turquie à l’égard de la révolution syrienne. Plus tôt dans la journée, Hussein Omar appelait «les Libanais et les peuples arabes à soutenir le peuple syrien opprimé».
Cette affaire est intimement liée au conflit qui secoue la Syrie. Il s’agit de tester la Turquie d’un côté, et le Hezbollah de l’autre, sur leurs intentions. Ankara a pris une position claire sur la question. L’Etat turc gère en direct l’accueil des réfugiés, multiplie les mises en garde contre Assad et reçoit les membres éminents de l’opposition syrienne. Du côté du Hezbollah, on est beaucoup moins transparent. Cette semaine, le bloc parlementaire du Courant du futur a dénoncé «le silence suspect» du Parti de Dieu, en pleine réflexion sur la question.
Les familles des pèlerins ont bien compris qu’ils devaient se tourner ailleurs, par exemple vers le directeur général de la Sûreté générale, Abbas Ibrahim. L’utilisation d’otages par les belligérants comme moyen de pression est visiblement une donnée que les diplomaties classiques ont fini par appréhender. Inacceptable mais légitimée. Dans ce cadre sans limites, les enlèvements de Syriens perpétrés par le clan Mokdad, organisé en véritable syndicat, ne sont que la réponse du berger à la bergère. Vous enlevez Hassan, on kidnappe vos compatriotes. L’équation est simpliste et scandaleuse, mais elle obéit à l’atmosphère du moment. Et en ce moment, l’air est à la détente. Le clan a affirmé samedi avoir libéré six des ressortissants syriens qu’il avait kidnappés, le 15 août dernier, en signe de «bonne foi à l’égard du peuple syrien et de l’Armée syrienne libre». «Ceci n’a rien à voir avec la libération de l’un des 11 otages en Syrie», a expliqué Maher Mokdad, porte-parole du clan, précisant que quatre Syriens et le ressortissant turc sont encore en captivité.
En signe d’apaisement, et pour éliminer l’aspect communautaire de cette affaire, le cheikh Abbas Zgheib, chargé par le Conseil supérieur chiite de suivre l’affaire des pèlerins libanais enlevés en Syrie, a mis en garde contre toute atteinte aux ressortissants arabes, notamment saoudiens, qataris et koweïtiens au Liban. «Ce sont nos frères et ce genre de comportement ne correspond pas à notre religion, à notre idéologie et à nos traditions», a-t-il dit.
L’Exécutif fait aujourd’hui la différence entre les enlèvements politiques et claniques, dans le procédé mais pas dans les intentions. «Il est nécessaire que les investigations se poursuivent pour démasquer et sanctionner tous les ravisseurs. Ils ne pourront pas se dérober éternellement à la justice», a indiqué Michel Sleiman après avoir reçu l’ambassadeur du Koweït.
Deux procédés, deux objectifs
Avec Abbas Ibrahim, c’est Marwan Charbel qui suit le dossier des pèlerins. Le ministre de l’Intérieur est au cœur des négociations. Le ministre de la Justice, Chakib Cortbaoui, est également impliqué dans le dossier. «L’affaire des dix pèlerins libanais fait l’objet d’un suivi calme, loin des feux de la rampe. Cette discrétion est dans l’intérêt des hommes enlevés et elle a prouvé son efficacité». Le garde des Sceaux a, par la suite, indiqué que les autorités judiciaires ont délivré les mandats nécessaires contre les fauteurs de troubles, précisant que l’affaire est actuellement aux mains des services de sécurité «qui doivent en assurer le suivi nécessaire».
Cette façon de faire convient parfaitement au Hezbollah, qui a beaucoup à faire avec les clans traditionnels de la Békaa. Lundi, le comité ministériel de suivi des rapts au Liban a tenu une réunion. La tendance est à l’optimisme prudent. «Les négociations sont positives, mais leur rythme, leur mécanisme et leur résultat dépendent en définitive de ce à quoi on pourrait aboutir dans les prochaines heures», a déclaré le président du dit comité, le ministre du Travail Salim Jreissati. Selon un ministre, le gouvernement s’est donné pour mission de «mettre un terme à ce phénomène». «Il ne suffit pas de se réjouir de la libération des personnes enlevées. Il est indispensable d’arrêter les ravisseurs et de les sanctionner pour qu’ils servent d’exemple».
Débordées, depuis plusieurs semaines, par les affrontements meurtriers à Tripoli et la succession d’enlèvements, les autorités ont visiblement décidé de mettre le holà, après avoir pris le temps de mesurer les conséquences politiques de chaque décision qu’elles prendraient. Sous la houlette de ses trois présidents, l’Etat est revenu sur le devant de la scène. Reste à comptabiliser les résultats de cette prise de conscience. J. A-R.
Le Koweïtien libéré
Samedi dernier, Issam el-Houti était enlevé en plein jour par un commando armé à Hoch el-Ghanam, près de Rayak, dans la Békaa. Les kidnappeurs ont d’abord ouvert le feu en direction de ses pieds avant de l’embarquer à bord d’une voiture allemande de couleur verte. Son enlèvement n’a aucune motivation politique. Le mobile était sans doute lié à l’argent. Après des contacts principalement entrepris par le leader du mouvement Amal, Nabih Berry, qui a dépêché sur place un médiateur pour régler l’affaire, le ressortissant koweïtien a été libéré dans la soirée de lundi à Baalbeck. L’ambassadeur du Koweït, Abdel Aal Kinahi, a remercié le président du Parlement libanais pour la libération de son compatriote, qui vit entre le Koweït et le Liban.
Un riche libanais ciblé
Il ne fait pas bon être en ce moment considéré comme quelqu’un de riche parce qu’il devient une cible. Même lorsqu’on est Libanais. Vendredi dernier, alors qu’il s’était arrêté au marché aux légumes à Ferzol, sur la route qui mène à Nabi Ayla, dans la région de Zahlé, Mohammad Hassan Sabra, commerçant franco-libanais, est enlevé en pleine journée par un commando de quatre hommes armés dans un pick-up Toyota gris métallisé. L’homme n’est pas syrien, encore moins activiste politique.
Les ravisseurs ont très vite contacté la famille pour lui faire part de leurs exigences: une rançon de 400 000 dollars. Mais l’homme est un cousin de l’ancien directeur général de la Sûreté Générale, Jamil Sayyed, toujours fort d’un réseau d’informations dans la région. C’est lui qui jouera le rôle de médiateur car les assaillants ont été identifiés. La rançon sera négociée à 30 000 dollars. Les kidnappeurs seront interpellés quelques heures plus tard dans la journée, dans la région de Brital.