Magazine Le Mensuel

Nº 2862 du vendredi 14 septembre 2012

LES GENS

Fadi el-Awar. Entre l’émir et le Bey

Des yeux qui pétillent de malice, de l’humour et un franc-parler. Il fait partie de ceux qui nomment les choses par leur nom et vont droit au but. Il a gardé en lui le côté frondeur de celui qui, à 12 ans, participait déjà à des manifestations. Portrait du député druze de Baabda, Fadi el-Awar, membre du Bloc du Changement et de la Réforme.

C’est dans le village de Kornayel qu’il a grandi dans une famille composée de cinq enfants, quatre garçons et une fille. A l’âge de cinq ans, il perd son père. «On a vécu avec ma mère dans une maison modeste. Ma mère travaillait et nous possédions une petite parcelle de terrain à Beyrouth qui nous rapportait des rentrées. En ce temps-là, cela suffisait pour subvenir aux besoins de la famille», se souvient Fadi el-Awar. C’est à l’école publique de Kornayel qu’il fait ses études scolaires, avant d’entamer des études universitaires à la BUC (actuelle LAU) et à l’Université libanaise. A un âge très précoce, il fait ses débuts en politique. Il a 12 ans lorsqu’en 1972 il organise la première manifestation à l’école publique et réclame qu’on asphalte les routes. «C’était une demande vitale pour nous car on s’enfonçait dans la boue», dit-il. Il est retenu dans la voiture des gendarmes mais ses collègues réussissent à le libérer en leur jetant des pierres. En 1973, lorsque les problèmes entre l’armée et les Palestiniens commencent, il se promène partout avec une keffieh autour du cou, alors que toute la famille se rendait auprès du ministre de l’Intérieur, Bachir el-Awar, qui était un parent à lui. «J’ai toujours considéré mienne la cause palestinienne. Cet attachement remonte à l’année 1969, après la naksa. Je vivais à Kornayel et on a voulu les soutenir en leur donnant des habits, en particulier un pull que j’aimais particulièrement car ma mère me l’avait tricoté. Ce pull avait rétréci mais je ne voulais pas m’en séparer. On a dû m’expliquer que c’était des pauvres gens qui avaient tout perdu, qui n’avaient plus rien et qu’il fallait, par conséquent, les aider. J’ai été très marqué par cette histoire», se souvient le député. A 14 ans, il assiste déjà à des conférences auprès du Parti syrien national syrien (PSNS) et en 1975 devient un ferme partisan des forces nationales de gauche. En 1977, il adhère au PSNS, où il gravit très vite les échelons. En 1982, au moment de l’invasion israélienne, il est responsable des étudiants au sein du parti et participe aux combats durant le siège de Beyrouth. Il fait de la résistance contre les Israéliens et occupe plusieurs postes de responsabilité dans la Montagne où il fut l’un des plus farouches opposants à Walid Joumblatt. «J’étais l’un des plus extrémistes dans ma lutte contre le projet de Walid Joumblatt qui voulait sceller la géographie druze. Il y a eu une lutte armée et des martyrs sont tombés dans le Haut-Metn. Je crois en un Liban civil et unifié. Je ne peux tolérer aucun projet druze ou chrétien exclusif», affirme Fadi el-Awar. Après 1998, il n’a plus aucun lien administratif avec le PSNS. «J’ai gardé toutefois ma relation avec les habitants de Baabda et je faisais partie de ce qu’on appelle le 8 mars», dit-il. En 2005, il est candidat aux élections législatives, mais en l’absence d’une entente autour de son nom, il se retire en faveur de Ghaleb el-Awar, qui est candidat sur la liste du Courant patriotique libre et dont il dirige la campagne. En 2009, il est de nouveau candidat. «J’ai été choisi pour figurer sur les listes du Bloc du Changement et de la Réforme. J’ai été élu, et depuis je fais partie de cette triste Assemblée nationale», précise el-Awar avec une pointe d’amusement.

Contre le féodalisme
Les positions de cet homme connu pour être contre toute forme de féodalisme et de confessionnalisme sont claires. «Je suis membre du Bloc du Changement et de la Réforme et je n’ai aucune relation avec n’importe quelle force féodale druze ou libanaise nulle part. Je suis membre de ce bloc car je suis totalement convaincu que le seul moyen de construire le Liban est de changer la classe politique corrompue qui pèse sur les épaules des gens, depuis l’époque ottomane, passant par le mandat français et les relations avec l’environnement fraternel et ennemi pour préserver leurs intérêts. Je fais partie du peuple. Je viens d’une famille modeste, une famille de paysans instruits, qui est l’une des plus grandes familles druzes d’Orient et qui a toujours été connue pour son ouverture aux autres», souligne Fadi el-Awar. Il croit profondément au changement et à la reforme. «On a essayé cette classe pendant des années, on ne peut pas leur confier le pays», dit-il. Pour lui son expérience actuelle est la plus belle de sa vie politique. «Je me sens membre de ce Bloc au vrai sens du terme et eux me considèrent une partie d’eux. Jamais je n’ai eu le sentiment d’être comme un oiseau hors de sa formation», confie-t-il. Loin de tout confessionnalisme, il lui arrive souvent de représenter le général dans des cérémonies religieuses à l’église. Avec Walid Joumblatt et Talal Arslan, il n’a aucun problème d’ordre personnel. «Je suis un homme transparent qui possède une opinion propre et je dis ce que j’ai à dire. Mais entre le Bey et l’émir, la victoire revient au peuple», affirme-t-il.
 

Rebelote en 2013
En 2013, il a bien l’intention de se présenter aux élections. «Je poursuis dans mon travail car je suis mandaté par les gens. Ce mandat est une confiance qui nous est accordée pour être responsables devant l’Histoire, car celle-ci retient nos actions et non pas nos souhaits. Quand il faut rendre compte, on vous demande ce que vous avez fait non ce que vous auriez souhaité faire», confie le député de Baabda. Malgré la situation actuelle, Fadi el-Awar demeure optimiste quant à l’avenir. «Nous allons vaincre Israël. Si ce n’est pas maintenant ce sera dans dix, vingt ou trente ans. Peu importe. Si on ne peut pas gagner maintenant, l’essentiel est de ne pas renoncer. Je disais toujours aux combattants, ce que nous avons perdu dans une bataille, nous pouvons le récupérer dans une autre. L’important c’est de ne pas baisser les bras».
Marié à Joumana el-Awar, ils sont parents de deux enfants, un garçon, Adham (18 ans) et une fille, Eva (13 ans) avec qui il a d’excellentes relations. «Nous avons toujours de grandes discussions ensemble», dit-il. Fier de ses origines paysannes, il en a gardé un grand attachement à la terre. Il possède des terrains qu’il cultive lui-même. «C’est un lien qui n’est jamais rompu et qui ne change jamais. Je conserve toujours cette relation avec la terre. Je la travaille de mes propres mains. Je coupe les arbres, je retourne le sol», dit-il. Un sentiment facilement compréhensible car finalement la terre est la seule chose qui compte, la seule chose qui reste… 

Joëlle Seif    

Sa relation avec Michel Aoun
C’est en 2005 que les deux hommes se rencontrent, pourtant Fadi el-Awar confie que le général lui inspirait confiance bien avant de le connaitre personnellement. «Dans les années 89-90, alors que Michel Aoun était au pouvoir et que j’étais responsable au PSNS, je veillais tous les soirs dans ce qu’on appelait encore les régions est. Devant la stupeur de mon entourage, je disais toujours que ce sont les milices qui font peur», souligne le député. Il croit aux idées du général Aoun et estime, lui qui vit à Aïn el-Remmané, que le document d’entente avec le Hezbollah a évité au pays une guerre civile. «Michel Aoun est un homme qui a un sens aigu des responsabilités, qui est très courageux. Il faut beaucoup de force et de courage pour conclure un tel accord. C’est un homme clair et transparent et c’est le seul qui est capable de préserver les Libanais», estime-t-il.

Ce qu’il en pense
-La technologie: «Je ne crois pas à Facebook et Twitter et je trouve qu’ils posent plus de problèmes qu’ils n’en résolvent. Combien sont ceux qui sont attaqués et insultés sur leur propre site! Mes activités paraissent exclusivement sur le site du Tayyar et ceci est amplement suffisant. Le niveau de la presse politique est très bas».
-Ses loisirs: «J’aime la marche et la chasse. Je reconnais enfreindre la loi de la chasse au Liban car il n’existe pas de loi à proprement parler».
-Sa devise: «L’unité de vie. Je suis contre le principe de la coexistence car celle-ci représente une sorte de partenariat entre deux parties distinctes. Si on continue dans ce sens, ce serait consacrer la division. En revanche, l’unité de vie c’est s’unir dans la vie. A ce moment-là, il n’y a plus deux parties. Elles deviennent une. L’amour est plus fort que tout, plus fort que les confessions et les communautés».

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