«Le XXIe siècle sera spirituel ou ne sera pas».
André Malraux
Le film-brûlot islamophobe est un test pour tout le monde. De la gestion de la crise qu’il a provoquée, on saura si l’humanité entre de plain-pied dans un spiritualisme doux et apaisé ou si, au contraire, elle se dirige vers un obscurantisme aveugle.
Cette affaire ouvre le débat sur une série de concepts et de valeurs qui déterminent la nature de la relation dominant/dominé. Par dominant, on entend bien évidemment l’Occident qui tire la barque de l’humanité depuis quatre siècles, sans pour autant parvenir à l’amener à bon port. Les dominés sont tous les autres. Eux non plus ne peuvent pas prétendre apporter aux hommes une alternative plus reluisante.
Le film L’innocence des musulmans est une insulte avérée à des centaines de millions de croyants. Il serait impertinent, inefficace et improductif de discuter ce postulat de base. Car, du moment qu’une partie de l’humanité se sent offensée par cette mauvaise production cinématographique, il n’y a plus lieu d’essayer de la convaincre que son impression est inappropriée. C’est après ce constat que les problèmes commencent.
En Occident, les condamnations du film n’ont pas manqué, aussi bien au niveau des dirigeants politiques que des élites intellectuelles, académiques et culturelles. Mais la plupart de ces acteurs sociaux se sont réfugiés derrière le sacro-saint principe de la «liberté d’expression», pour justifier l’absence de sanctions contre les auteurs du film ou pour interdire, à ceux qui se sentent offensés, le droit d’exprimer leur colère et leur mécontentement.
Dans les deux cas de figure, il y a une bonne dose d’hypocrisie. Car si la liberté d’expression est un concept absolu et inaliénable, ceux qui veulent dénoncer le film doivent pouvoir en user autant que ceux qui l’ont produit ou qui le défendent. Sauf si cette liberté d’expression est réservée à une catégorie choisie d’hommes. Dans cette hypothèse, il ne s’agit plus d’un droit absolu et inaliénable, mais d’une valeur vécue sélectivement, «à la tête du client».
C’est malheureusement le cas. Lorsque le ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius, invoque la liberté d’expression pour justifier l’impuissance des autorités à prendre des mesures contre le film islamophobe ou contre Charlie Hebdo, il oublie qu’il a lui-même contribué à «catégoriser» cette liberté. N’est-il pas l’un des initiateurs de la loi Fabius-Gayssot qui, en 1990, a criminalisé «le négationnisme», c’est-à-dire le fait de s’interroger sur une version bien déterminée de la Seconde Guerre mondiale… celle écrite par les vainqueurs? Quel que soit le jugement que l’on porte sur cette loi, nul ne peut nier qu’elle désacralise la liberté d’expression, lui impose des limites, des barrières, lui interdit certains domaines.
Invoquer la liberté d’expression pour rester passif face à l’offense faite aux musulmans, ou pour ne pas interdire une diffusion du film à grande échelle, est, dès lors, un argument irrecevable. Sauf si, dans l’esprit tortueux de quelques-uns, certains hommes méritent offenses et d’autres, au-dessus de tout et de tous, en sont protégé.
Ce qui précède ne constitue pas un blanc-seing aux fous furieux qui saisissent ces occasions pour libérer leurs pulsions destructrices. La liberté d’expression, la vraie, leur donne le droit de manifester leur colère, de repousser l’offense, mais pas de commettre des actes de violence répréhensibles. Comme, par exemple, s’en prendre aux enseignes américaines et aux intérêts de la France, au Liban ou ailleurs. De tels actes sont aussi condamnables que le film-brûlot et n’apportent rien à leur cause.
Cette triste affaire devrait servir «au reste des hommes» à prendre l’Occident par la main, pour le remettre sur le droit chemin et lui rappeler que, s’il veut jouer à nouveau un rôle avant-gardiste dans la marche de l’humanité vers le progrès, il doit donner l’exemple en respectant les valeurs et les principes qu’il a lui-même inventés.
Paul Khalifeh