Magazine Le Mensuel

Nº 2864 du vendredi 28 septembre 2012

LES GENS

Abbas Ibrahim. Parcours d’un homme d’exception

«Un jour je te rendrai fier de moi, mais laisse-moi suivre ma voie». Il a 18 ans lorsqu’il tient ces propos à son père qui s’opposait farouchement à son entrée à l’école militaire. Pourtant, il s’y distinguera par un parcours exceptionnel, où grâce à son courage et son intelligence, il gravira très vite les échelons pour devenir le directeur général de la sûreté générale, ce qu’il est aujourd’hui. Portrait du général Abbas Ibrahim.

C’est dans le village de Kawthariyet elsiyyad, au Liban-Sud, que Abbas Ibrahim est né. Il a un an lorsqu’il se rend au Koweït avec la famille, où il passe quelques années avant de revenir au Sud, où il fréquente l’école officielle du village. Il commence des études en sociologie avant de s’inscrire à l’école militaire contre la volonté de ses parents. «J’avais un frère qui faisait partie des réservistes et qui a été tué par un franc-tireur. Depuis, mon père et ma mère ne voulaient plus entendre parler de l’armée. D’ailleurs, ma mère a toujours refusé de laver mes tenues militaires», se souvient Abbas Ibrahim. Malgré toute la pression exercée sur lui, il s’engage dans l’institution militaire en promettant à son père qu’un jour il sera fier de lui. Il intègre l’infanterie et demande à être muté au Sud alors que les Israéliens étaient à Beyrouth. Il fait ensuite partie du régiment aéroporté et participe, en 1983, à la guerre de la Montagne au cours de laquelle il est sévèrement atteint au genou, une blessure dont il souffre jusqu’à aujourd’hui.
Quand l’armée s’effondre, il décide de rester à l’écart et rentre chez lui. Il voyage et passe un an aux Etats-Unis. Quand il en revient, il travaille aux côtés de Lakhdar Ibrahimi. C’est à cette période qu’il fait la connaissance du général Jamil Sayyed. D’ailleurs le parcours de Abbas Ibrahim n’est pas sans rappeler celui de Sayyed. Il existe, en effet, beaucoup de similitude entre les des deux hommes. Tous deux ont été responsables des services de renseignement et ont occupé le poste de directeur général de la Sûreté générale.  «Il y a quelques similitudes entre nous  mais il a, lui, travaillé plus sur le plan sécuritaire alors que j’ai travaillé sur le plan militaire», dit Abbas Ibrahim. Quand on lui demande s’il a des ambitions politiques à l’instar de Jamil Sayyed, qui vient d’annoncer sa candidature aux élections législatives de 2013, il répond qu’il lui reste encore beaucoup à faire à la Sûreté générale. «Je veux rester là où je suis et je voudrais faire de la Sûreté générale, l’institution dont je rêve, une pionnière parmi toutes les institutions du pays, informatisée et ouverte à tous les Libanais» dit-il.
C’est au général Abbas Ibrahim que l’on confie la mission d’organiser, sur le plan sécuritaire, le premier Conseil des ministres sous le mandat du président Elias Hraoui. Quand celui-ci décide de quitter le Park Hôtel Chtaura pour aller vivre dans la caserne d’Ablah, c’est également Ibrahim qui est chargé de l’accompagner sans que les Syriens ou quiconque ne s’en rendent compte. «Tu as deux heures pour trouver un plan», lui avait dit Jamil Sayyed. Le plan est digne d’un roman policier ou d’une super production hollywoodienne. «J’ai répandu la nouvelle que le président recevait des gens à dîner. Je l’ai fait descendre aux cuisines et nous lui avons remis une tenue militaire. Elle était trop étroite pour lui. Une fois en route dans la jeep, nous avons eu un pneu crevé. Alors que Sayyed s’en va à pied pour trouver un autre véhicule, nous attendions dans la voiture tous phares éteints. Ce n’est que le lendemain que les Syriens ont découvert toute cette histoire à la grande fureur de Ghazi Kanaan», raconte Ibrahim. A Ablah, à la tête d’une équipe, il est personnellement responsable de la sécurité de Hraoui et une amitié est née entre les deux hommes. «Je dormais devant sa porte, une arme en main. Il faisait froid et souvent le président Hraoui se levait la nuit pour me couvrir» se souvient avec émotion le général. Le président lui demandera d’organiser le service de sécurité de Rafic Hariri, qui venait tout juste de rentrer au Liban. «Je ne suis plus revenu auprès du président Hraoui. Hariri n’a pas voulu se séparer de moi et je suis resté deux ans avec lui avant d’intégrer le régiment de la lutte antiterrorisme» confie le général Ibrahim.
En 1998, avec l’élection d’Emile Lahoud a la présidence, il est nommé commandant du régiment de la lutte contre le terrorisme, fonction qu’il occupera pendant quatre ans. «Suite à un problème avec les Syriens, j’ai quitté pendant trois mois l’armée avant d’être de nouveau nommé par le président Michel Sleiman, qui était alors commandant en chef de l’armée, commandant du régiment des maghawir» dit-il. Engagé dans son action, Abbas Ibrahim ne se contente pas d’être uniquement un chef militaire. Ses grandes qualités humaines le poussent à prendre plusieurs initiatives sur le plan social. Il organise au sein de son régiment une exposition en hommage à tous ceux qui sont morts au combat et invite leurs familles à un déjeuner annuel. Nouvelle étape dans la vie de cet infatigable militaire, il est désigné directeur de la branche du Sud des services des renseignements. «Durant la guerre de juillet 2006 j’étais au Sud», raconte Ibrahim. Il entretient une relation privilégiée avec les Palestiniens. «Je suis le premier responsable sécuritaire à entrer au camp de Aïn el-Heloué après 30 ans», affirme Abbas Ibrahim. Il continue son parcours exceptionnel au sein de l’armée et il est muté à Yarzé où il devient adjoint du directeur des services de renseignement avant d’être nommé directeur général de la Sûreté générale.
Ses relations avec toute la classe politique sont très bonnes. D’ailleurs en notre présence, il reçoit un appel du Premier ministre Najib Mikati. Dans un pays où les divisions sont très fortes, ceci est un véritable défi. Abbas Ibrahim considère qu’il est difficile de concilier tout le monde lorsqu’on prend parti dans un conflit. Mais lorsqu’on travaille dans l’intérêt du pays ceci devient très simple. Il refuse le principe selon lequel chaque communauté désigne elle-même ses fonctionnaires. Il reconnaît que la réalité est ainsi. «Il y a eu entente chiite sur mon nom lorsque j’ai été désigné directeur général de la Sûreté générale. Je suis très fier d’être chiite mais je refuse qu’on traite avec moi en tant que tel. Que l’on me juge sur mon action et non pas sur mon appartenance religieuse. Ceux qui me critiquent savent parfaitement que toute requête légitime est acceptée sans aucune complication à la Sûreté générale», affirme-t-il. Certains le disent proche du Hezbollah, d’autres voient en lui un partisan de Nabih Berry, mais Abbas Ibrahim se dit être là où tous les Libanais se retrouvent. «Je suis pour un Etat fort où tous les citoyens sont égaux dans leurs droits et leurs obligations, un Etat qui peut étendre sa souveraineté sur tout le territoire», confie Ibrahim. Grâce à son travail, il a développé des relations personnelles avec tous les services de renseignements du monde et il s’y est fait de grands amis, des relations qu’il met au profit de l’Etat libanais. C’est ainsi que sa relation avec le chef des renseignements turcs a été très utile dans l’affaire des otages libanais en Syrie.
Marié à Ghada Zein, il est père de trois garçons, Mohammad, Ali et Bilal. «Je n’ai pas vu mes enfants grandir. C’est ma femme qui les a élevés. Ils me font souvent des reproches et je regrette ce fait, mais ma vie est entièrement dédiée à mon travail. Entre ma famille et mon travail, j’ai toujours choisi mon travail», reconnaît Ibrahim. Un choix difficile, mais qui pourrait être tout à fait compréhensible quand on pense à toutes les responsabilités qu’il a dû assumer et qu’il continue à le faire…

Joëlle Seif
 


Libération des soldats américains
En 1984, alors que des soldats américains sont encerclés dans la banlieue sud de Beyrouth, le commandement du régiment en place réunit les officiers et leur demande un volontaire pour commander une opération spéciale en vue de libérer les Américains. Abbas Ibrahim se dit volontaire et choisit 20 soldats pour l’accompagner dans sa mission. «On est rentré dans la banlieue sud par les égouts et nous avons réussi à les libérer après 12 jours. Nous n’avions pas de nourriture et nous étions affamés. Au bout de quelques jours, nous avons trouvé des chèvres. Nous avons réussi à les traire et nous avons bu leur lait dans nos casques», se souvient le directeur de la Sûreté générale. A l’entendre raconter le plus naturellement du monde cette histoire, nous avons l’impression d’être transposés dans un film d’action. Amusé, il enchaîne: «A la fin de cette mission, nous avions attrapé la gale et nous avions tous été hospitalisés. Quand je suis rentré à la maison, ma femme ne m’a pas reconnu et ma mère croyait fermement que j’étais mort comme mon frère».

Ce qu’il en pense
-Risque de guerre civile au Liban: «Je n’ai pas peur d’une guerre civile car les Libanais ont tiré la leçon de leur expérience. Je mise sur leur éveil et leur prise de conscience et surtout sur la génération qui a connu la guerre. Je compte également sur notre volonté, en tant que responsables, d’éviter au pays toutes ces tempêtes qui font rage autour de nous. Nous y avons réussi jusqu’à présent et je pense que nous pouvons continuer dans ce sens».  
-Ses loisirs: «La chasse et la plongée sous-marine mais malheureusement je n’ai plus de temps ni pour l’une ni pour l’autre».
Ses lectures: «Je lis beaucoup et à part les lectures liées à mon travail j’aime les ouvrages d’Histoire. J’ai beaucoup de livres que Walid Joumblatt m’offrait du temps où nous étions en bons termes. Chaque fois qu’il lisait un livre intéressant, il m’en offrait un exemplaire».

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