«De même que le fils de l’Homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour beaucoup» (1). Voilà ce que les chrétiens d’Orient sont en droit de demander au vicaire de Dieu, le pape Benoît XVI. Celui-ci, en venant au Liban, dit au monde que personne ne s’y trompe: si les chrétiens du Liban ne sont pas les premiers, car il n’y aura jamais de premiers, ils demeurent le symbole d’une chrétienté bimillénaire dans sa terre d’origine. Le Saint-Père n’est pas un chef d’Etat comme les autres. L’Eglise a renoncé, depuis deux siècles, au pouvoir temporel. C’était d’ailleurs le message originel du Christ. C’est sur les âmes qu’elle prétend veiller pour rendre moins pénible le passage dans la «Vallée des larmes» qu’est ce monde. Mais l’âme est dans un corps et celui-ci mérite de ne pas souffrir. «C’est la miséricorde que je veux et non le sacrifice» (2). Que peut le pape alors? Certes beaucoup. Depuis que Vatican II a ramené l’Eglise repliée sur elle-même, dans la société, elle est de nouveau l’autorité qui peut sans être politique, faire de la politique. Elle peut et doit veiller au présent et à l’avenir des chrétiens, sans utiliser des armes auxquelles elle a renoncé. Benoît XVI peut se contenter d’une visite pastorale, au cours de laquelle il bénira l’ensemble des Libanais dans une grande fête œcuménique, insufflant de l’espoir à ceux qui n’en ont plus, mais qui s’estompera aussitôt qu’il sera parti. Ce que nous attendons de Benoît XVI, c’est qu’il use de toute son autorité pour que cesse le massacre des innocents en Syrie et au Liban. Nous souhaitons qu’il se batte pour rester fidèle à sa propre exhortation. «L’Homme, la personne dans son intégrité est le premier capital à sauvegarder» (3). L’homme qu’il désigne est la créature de Dieu quelles que soient sa couleur, sa race et surtout sa religion. Que ce soit principalement des musulmans qui meurent en Syrie et à Tripoli, il faut, avec le cardinal Jean-Louis Tauran, «passer de la peur de l’autre à la peur pour l’autre» (4). Car, en définitive, la folie meurtrière n’épargnera personne, ni en Syrie ni au Liban. L’Irak est là pour nous rappeler comment, dans un conflit où ils n’étaient qu’observateurs, les chrétiens ont payé un lourd tribut.
«Le Vatican, combien de divisions blindées?» C’est ce que demandait Staline. Pourtant, on ne peut méconnaître certaines réalités aux Etats-Unis qui, quand ils l’ont voulu, ont mis un terme aux tueries du colonel Khadafi. En Amérique, un citoyen sur quatre est catholique et 74% d’entre eux se disent satisfaits de Benoît XVI (5). Joe Biden, actuel vice-président, et son concurrent, Paul Ryan, sont tous deux catholiques. Dans un pays où seuls 5% de la population se disent athées (6), on peut évaluer la portée d’un message du Pape aux dirigeants de la Maison-Blanche pour mettre un terme au carnage. Même l’Europe n’est pas insensible aux avis du Vatican. On se souvient de la dispute qui a longtemps tenu en haleine le continent, quand il s’est agi de rappeler les racines chrétiennes de l’Europe pour les inclure dans la nouvelle Constitution de 2005. Si l’idée ne fut pas retenue, le débat a montré que la religion catholique n’est pas totalement étrangère à la conscience européenne et que le souverain Pontife peut y être entendu, s’il venait à demander une intervention européenne pour arrêter la tuerie. Même la Russie, complice de l’Occident dans le sanglant statu quo qui anéantit la Syrie depuis le pontificat de Benoît XVI, est plus attentive à ses déclarations, qu’à celles de son prédécesseur. Son renoncement au titre de patriarche d’Occident, titre considéré par les orthodoxes comme une agression, et l’échange de lettres qu’il y a eu avec le patriarche de Moscou et de Russie, Alexis II, sont la démonstration d’un réchauffement des relations entre les deux Eglises. Quand on sait combien l’Eglise orthodoxe est influente auprès de Vladimir Poutine au point de voir en lui un «Miracle», on peut espérer qu’elle participe à la résolution du conflit.
Voilà ce que l’on attend de Benoît XVI. Qu’il use de tout son crédit auprès des grands décideurs pour mettre fin à ce drame qui, non seulement met à feu et à sang la Syrie, mais peut embraser tout le Moyen-Orient. Qu’il nous le dise clairement lors de sa visite.
Amine Issa
1- Mathieu XX-28
2- Mathieu VII-20
3- Encyclique Caritas in veritate (2009)
4- Synode des évêques pour le Moyen-Orient (2010)
5- Espresso 30/08/12
6- The Economist 22/8/2012