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Mouna Béchara

Le dangereux laxisme

Cessez, messieurs les dirigeants, de prendre les Libanais pour des imbéciles. Avec plusieurs milliers de diplômés qui sortent, chaque année, des grandes universités du Liban, il est difficile de tromper une opinion publique avertie. Pour les ministres, comme pour les parlementaires, tous les prétextes sont bons pour détourner l’attention des urgences. Noyés dans des discussions byzantines autour du sexe des anges, ils ne voient pas, ou ne veulent pas voir, ce qui se passe dans leur entourage. Il leur suffirait pourtant de prêter une oreille attentive à ce qui se dit, non loin d’eux. Leurs chauffeurs, leur personnel et, peut-être même, leurs épouses, car elles côtoient, elles, à leur corps défendant, la misère au quotidien. Ils se rendraient compte que pinailler sur les détails d’une loi électorale n’intéresse pas, à quelques exceptions près, le commun des mortels qui, à ce jour, n’y comprennent qu’une chose: quelle que soit la formule adoptée, elle ramènera à peu près les mêmes, ou leurs proches, sur les bancs de l’hémicycle Place de l’Etoile. Les dirigeants auraient intérêt à comprendre, s’ils devaient garder les rênes de l’Etat, l’importance de se pencher sur les problèmes cruciaux des salariés, des fonctionnaires, des enseignants, des familles, des retraités, de la santé publique, autant de véritables sujets de préoccupation des Libanais. L’électricité et l’eau, deux thèmes tabous s’il en est, défraient de temps à autre les chroniques pour promettre l’obscurité totale et des robinets asséchés, si les propositions avancées étaient rejetées. Les finances publiques accusent un déficit qui se creuse de jour en jour alors que des projets coûteux pullulent et végètent au fond des tiroirs, chacun voulant tirer à lui la couverture, pourtant si fragile, du pouvoir et, tous les bénéfices qu’il peut en tirer. Entre-temps le pétrole qu’on nous fait miroiter reste enfoui dans nos eaux territoriales et ne revient qu’au second rang des décisions gouvernementales. Reportés de conseil en conseil de ministres, les dossiers sont ballottés entre le Sérail et Baabda. Ils s’accumulent sur les tables ministérielles et, faute de pouvoir les traiter, les responsables prennent la poudre d’escampette et vont se ragaillardir sous des cieux plus cléments. Les discours enflammés et les échanges d’accusations plus ou moins justifiées, ne font même plus l’objet de ragots de salons. Les citoyens les plus lésés et les plus oubliés n’en ont que faire. Ils se limitent à contester les pratiques gouvernementales, à brandir de temps à autre la menace d’une possible grève, d’une manifestation ou d’un sit-in. Jadis destination privilégiée des touristes arabes et occidentaux le Liban est désormais mis à l’index. De nombreux pays conseillent à leurs citoyens d’éviter le Pays du Cèdre, «repère de ravisseurs, de bandits des grands chemins et de radicaux de tous genres» qu’un rien enflamme et provoque  en eux une violente colère destructrice. Les Etats du Golfe ont pris allègrement la relève et profitent, en quelque sorte, de nos faiblesses. Les nouvelles de leurs performances remplissent l’information internationale, pendant que les Libanais, qui enrichissent différents Etats de leurs compétences et de leur expérience, peinent à promouvoir leur pays.
Il est vrai que nous sommes prisonniers de voisins turbulents, mais cela n’explique pas tout. Nous sommes surtout victimes du laxisme et du laisser-faire, pour ne pas dire de la mauvaise foi, d’une caste dirigeante qui peine à comprendre l’importance de son rôle et son intérêt à accomplir sérieusement sa mission.
«Dieu est grand, dit-on dans le Coran» et «aide-toi, Dieu t’aidera» répètent sans arrêt les gens de bonne foi. Deux formules pour une même idée, sauf que Dieu que nous appelons sans arrêt à la rescousse, a d’autres chats à fouetter à travers le monde, même si nous continuons à croire dans ce «miracle libanais» tout en exhortant nos responsables à se reprendre.
Les générations qui s’étaient succédé et celles qui viendront après nous en ont assez de subir les conséquences d’un Etat rendu exsangue par ses dirigeants.

Mouna Béchara

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