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Nº 2865 du vendredi 5 octobre 2012

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Le Français en action. La francophonie dans le plurilinguisme libanais

Le jeudi 27 septembre, à l’Institut français, l’ambassadeur de France, Patrice Paoli, a présenté la brochure Le français en action 2012-2013. Celle-ci détaille l’action et les objectifs de l’Institut français en faveur d’une éducation plurilingue et interculturelle de qualité au Liban. Alors que la francophonie scolaire et universitaire constitue une priorité de l’ambassade de France au Liban, Christophe Chaillot, attaché de coopération éducative et directeur des cours de langue au service de Coopération et d’Actions culturelles de l’ambassade de France (SCAC) a reçu L’Hebdo Magazine. Entretien.
 

Où en est la francophonie au Liban? Et surtout quelles sont ses dynamiques?
La moitié des étudiants et deux tiers des élèves suivent un programme bilingue franco-arabe. Il y a eu une baisse de la pratique du français au profit de l’anglais mais cette tendance s’inverse. On a pensé que la langue de Shakespeare pouvait remplacer petit à petit celle de Molière, mais on réalise désormais que le français apporte un atout supplémentaire. Je pense en particulier à la jeunesse. C’est le français qui permet la réussite des Libanais de la diaspora dans certains pays. En réalité plus que le français en soi, c’est la complémentarité entre les langues qui constitue un réel plus. Si les offres d’emploi sont de plus en plus en anglais, il y figure souvent la mention «french is a must». L’an dernier, au Forum du français professionnel, les professionnels ont confirmé l’atout de l’usage du français avec l’anglais et l’arabe. Nous sommes donc entrés  dans une phase d’évolution positive. C’est ainsi que le Pacte linguistique, signé entre le Liban et l’Organisation internationale pour la Francophonie (OIF), en octobre 2010, s’engage à «renforcer la francophonie dans le contexte plurilinguiste». D’abord dans le système éducatif, puis dans l’administration publique et enfin dans les secteurs économiques, culturels et médiatiques.

Quels sont vos moyens d’influence?
Nous menons un grand nombre de projets. Par exemple, en lien avec le ministère du Tourisme, nous travaillons à la formation linguistique des guides. Nous désirons aussi créer un label trilingue dans l’hôtellerie-restauration en faisant passer au personnel des certificats de langue française et anglaise en coopération avec le British Council. Une fois ceci obtenu, nous délivrerons un label. Ce type d’action est facile à mettre en place grâce au soutien total des politiques libanais. Tout le monde va dans le même sens, la défense de la diversité culturelle est la priorité. Pour revenir à la francophonie, je dirais que sur le plan purement quantitatif, le nombre de locuteurs augmente. Un sérieux renforcement qualitatif est en revanche nécessaire.

Comment faites-vous alors?
Nous coopérons avec une multitude d’entités: les ministères, le CRDP, les bureaux privés ou encore les universités. Nous formons des réseaux de formateurs, nous renforçons leurs capacités. La langue française est souvent perçue comme la langue de l’élite, la langue de la culture. Mais il faut aussi montrer que le français est une langue vivante et utile dans la communication. Nous nous penchons donc sur de nouvelles méthodes d’apprentissage par les nouvelles technologies. Il nous faut mettre en évidence l’accessibilité du français. Changer sa représentation pour l’enseigner plus efficacement. Il y a clairement une innovation pédagogique importante à apporter et c’est ce que nous faisons. Nous faisons beaucoup de recherches sur le plurilinguisme scolaire. Des experts en la matière collaborent au sein de notre équipe. Quels peuvent être les intérêts à faire travailler ensemble les professeurs d’arabe, d’anglais et de français? Comment bénéficier des acquis d’une langue pour progresser dans une autre? Sur ces questions, nous organisons un séminaire les 27 et 28 novembre prochain avec des experts et des partenaires européens. Nous y avons un intérêt, celui de bénéficier de leur savoir-faire et pour eux il y a beaucoup à apprendre du plurilinguisme libanais.  
Nous attachons aussi une importance particulière aux nouvelles technologies. Internet est devenu un moyen de véhiculer la langue. En 2013, nous ouvrirons un site Internet pour tous les enseignants du français du Liban. Ils pourront partager leur expérience, ce sera une sorte de Facebook des professeurs. Cela tend vers une animation plus moderne.
Dans le domaine des sciences, qui demeurent majoritairement enseignées en français, nous allons créer un centre pilote «la main à la patte» à Jounié pour développer un programme de sciences modernes dans les écoles. L’effort est à porter sur le qualitatif. Des activités doivent être proposées en dehors de la classe. Je vous donne l’exemple de la chaîne TIJI. Cette chaîne câblée destinée à la jeunesse, est entièrement en français. Elle a un impact énorme sur le niveau du français pour les enfants qui la regardent. Nous n’allons pas monter des chaînes télévisées bien sûr mais des festivals de chansons, de théâtre, de contes. Le but affiché est d’amener les enfants à utiliser le français en dehors des salles de classe. Dans cet objectif, le salon du livre francophone constitue une parfaite occasion pour les jeunes de rencontrer des auteurs, des éditeurs ou des libraires. Nous créons de l’évènementiel francophone pour renforcer et consolider l’influence du français dans les sphères culturelles et médiatiques.
La France a choisi d’investir 1 million d’euros dans le pacte linguistique, signé avec le Liban et l’OIF, pour la formation des militaires, des cadres, pour la mise en place de labels etc. Les différents partenaires collaborent merveilleusement, nous avons la chance d’avoir ces moyens. Nous sommes contents d’appuyer le Liban dans sa politique linguistique, c’est important de le faire, pour nous comme pour les Libanais.

Vous semblez dire que vos conditions de travail sont idéales, rencontrez-vous quelques difficultés?
Hmm. (Sourire et longue hésitation.) Je pense que les Libanais sont surpris de voir que l’on promeut tant le multilinguisme. Nous cherchons à démontrer la complémentarité réelle des trois langues et son bien-fondé. Pour tous, nous offrons ainsi différents moyens de voir le monde, c’est un gage d’enrichissement personnel.

Mais finalement, c’est plutôt le signe de votre réussite…
Oui (rires) mais en parlant de difficultés … (il hésite). Il y a un nombre conséquent de projets et de partenariats entre la France et le Liban. Ce n’est pas une formule pour journaliste, c’est réellement impressionnant. Ne serait-ce que la présence de neuf instituts français dans un si petit pays… C’est une belle preuve d’une coopération riche et vivante. J’ai travaillé dans d’autres pays où cette relation ancrée dans l’Histoire entre les deux pays n’existait pas. Nous sentons la différence. Ici tout est plus facile.
 
Vous êtes en poste au Liban depuis 4 ans, quelles sont les évolutions concrètes que vous avez constatées?
Il y a eu du changement dans les mentalités. On arrête d’opposer les langues. Il y a 4 ans j’entendais les parents dire: « je mets mes enfants dans une école anglophone pour qu’ils puissent maîtriser l’anglais, qui est indispensable». Aujourd’hui, c’est plutôt: «je mets mes enfants à l’école francophone pour qu’ils parlent les trois langues». Trente-neuf établissements proposent un programme français. Le réseau AEFE (Agence pour l’Enseignement du Français à l’Etranger) est dense. Les écoles liées au ministère libanais nouent de plus en plus de liens avec les écoles de ce réseau. Autre indice: au cours de français de l’institut en 2008, 6000 personnes étaient inscrites par an, 1500 passaient le DELF 5 (diplôme d’études en langue française). Quatre  ans plus tard nous en sommes à 10 000 inscrits pour 5000 nouveaux titulaires du DELF. Les gens qui viennent apprendre le français sont pour la plupart des jeunes anglophones de 25-30 ans qui ont un besoin professionnel de la langue française.
 
Y a-t-il de la place au Liban pour une quatrième voire une cinquième langue?
Bien sûr, nous travaillons également avec l’institut Cervantès pour l’espagnol, le British Council pour l’anglais et beaucoup d’autres instituts européens. De toute façon, plus on apprend de langues, plus on est capable d’en apprendre de nouvelles rapidement. Nous pouvons, nous, expliquer aussi que l’apprentissage du français rend plus aisé celui de l’espagnol, de l’italien ou du roumain. D’autre part, la diaspora et l’immigration importent beaucoup de langues différentes au Liban. Si dans les écoles, nous réalisons un répertoire de langues, nous serions surpris de voir que presque tous parlent au moins trois langues. Sans compter la distinction entre arabe classique et libanais. Le contexte plurilingue est vraiment incroyable. Mais il impose que nous instaurions une didactique rigoureuse et des  formats  de travail cadrés pour une exploitation maximale des bienfaits du trilinguisme.

 

Propos recueillis par Antoine Wénisch

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