Il appartient aux familles beyrouthines traditionnelles et fait partie de ceux qui ont pleinement vécu ce que l’on pourrait appeler l’âge d’or de la politique. De Kamal Joumblatt à Rafic Hariri, en passant par Saëb Salam et Salim Hoss, il a côtoyé toute la classe politique et tous les penseurs arabes. A travers son discours, on revit l’histoire contemporaine du Liban. Portrait du député sunnite de Beyrouth, membre du Bloc du Futur, Mohammad Kabbani.
C’est à Aïn el-Mreissé, dans une ancienne maison avec jardin face à la mer, qu’il est né. Depuis, la maison a été détruite et un immeuble moderne, lui appartenant, a été construit à la place. Son père, Jamil Kabbani, était le premier dentiste à Beyrouth diplômé de l’Université américaine (AUB) en 1929. Quant à sa mère, Samia Doughani, bien qu’ayant reçu une éducation conservatrice, elle conduisait une voiture en 1954. Il fait ses études à l’International College (IC) où il a toujours été le plus jeune de sa classe. Il a sauté trois fois de classe de manière à obtenir son bac en 1957 à l’âge de 15 ans. «J’ai dû bénéficier d’une autorisation spéciale pour présenter mon bac, l’âge légal requis était 16 ans», se souvient Mohammad Kabbani. Epris de sport, il gagne la même année le championnat de course du Liban des 1500 mètres.
Son intérêt pour la politique commence avec la nationalisation du canal de Suez par Jamal Abdel-Nasser, mais son engagement véritable dans le Mouvement nationaliste arabe aura lieu en 1959. «C’est grâce au député Farid Gebran que je fis la connaissance de Kamal Joumblatt à la fin des années 1960. Ce fut le début d’une grande amitié et je suis devenu membre du comité exécutif du Mouvement national qu’il présidait. J’étais le numéro 7, directement après les chefs des grands partis, en ma qualité de commissaire général du conseil politique et je participais aux réunions présidées par Yasser Arafat et Kamal Joumblatt», raconte le député de Beyrouth. C’est avec l’invasion israélienne en 1982 que le Mouvement national prend fin. «Ma relation avec Salim Hoss s’était alors renforcée. Je l’ai côtoyé quotidiennement pendant 10 ans avant de me présenter sur sa liste électorale aux élections législatives de 1992, où je fus élu député pour la première fois», se souvient Kabbani.
Ingénieur de formation, diplômé de l’AUB en génie civil en 1962 et détenteur d’un master en 1967, il exerce sa profession pendant toute son action politique. «J’ai toujours refusé de vivre de la politique car je crois au principe «qui donne ordonne». J’ai toujours vécu ainsi et en cinquante trois années de vie publique, je n’ai jamais reçu un dollar en relation avec mon action politique. Le seul cadeau de valeur que j’ai reçu est de Saad Hariri. Après la vague d’attentats qui a secoué le pays, il m’a offert deux voitures blindées dont une banalisée, qui sert de leurre», dit-il.
Ses relations avec les sunnites
Depuis les années 70, jusqu’à la fin du siècle, Mohammad Kabbani est proche de tous les hommes politiques, en particulier des Beyrouthins. Il a de bonnes relations avec Abdallah Yafi, Takieddine Solh, Rachid Solh. «J’étais également très lié au mufti Hassan Khaled qui me considérait comme son fils. Avec Saëb Salam, en raison de mon appartenance au camp de Kamal Joumblatt, notre relation était marquée par un respect mutuel, mais elle s’est transformée dans les années 80 en coordination et collaboration, et aujourd’hui ma relation avec Tammam Salam est excellente», confie Mohammad Kabbani. Sa relation avec Rafic Hariri a commencé par le biais de Fouad Siniora qu’il connaît depuis 1963. «En raison de mes nombreuses relations, j’aidais Fouad Siniora dans tout ce que lui demandait Hariri en contacts et coordination sans aucune contrepartie financière. Ce n’est que 10 ans plus tard, à la fin des années 80, que j’ai rencontré Hariri à son domicile à Damas», dit-il.
Pendant quatre ans il appartient au bloc de Salim Hoss. Mais, en 1996, Rafic Hariri lui demande de se présenter sur sa liste électorale. «J’ai essayé de concilier Hoss et Hariri. Les Syriens, par le biais de Abdel Halim Khaddam et quelques autres responsables, appuyaient une liste commune entre les deux hommes. Hariri a accepté mais Hoss a refusé et m’a dit «ne te fatigue pas, je ne me présenterai pas avec lui, mais vas-y». J’ai refusé et je lui ai répondu: «Je vais me suicider politiquement avec toi parce que je connais le résultat dès maintenant», dit-il. En 1998, son nom est avancé pour la présidence de la municipalité de Beyrouth. De nouveau contacté par Hariri, celui-ci lui dit avoir pour lui des projets plus importants que la présidence de la municipalité. «J’ai parlé avec Khaddam et Hikmat Chéhabi et je leur ai dit que je te voulais député avec moi. Tu es le premier nom auquel je pense pour figurer sur ma liste», lui confiera Rafic Hariri. La situation étant ce qu’elle est, Mohammad Kabbani va voir Khaddam. La réponse de celui-ci est très claire: «Décide toi-même, et quelle que soit ta décision je convaincrai Hariri. De toute façon, sache que les deux voies te sont ouvertes». Finalement, il optera pour la députation à condition de n’avoir aucune contrainte. «La seule contrainte c’est l’élection du président de la République», lui assurera Rafic Hariri. Depuis 2000 jusqu’à l’assassinat de Rafic Hariri, la collaboration entre les deux hommes est très étroite. Il est l’un des piliers du Bloc du Futur. Aujourd’hui, sa relation avec Saad Hariri est bonne. «Ma première allégeance est envers le pays et son peuple. J’estime que l’appartenance à n’importe quel parti ou bloc parlementaire a pour but de servir le peuple et non pas l’inverse», estime le député de Beyrouth. A côté de ses relations politiques, Mohammad Kabbani a toujours été l’ami des grands pôles de la pensée arabe tels que Constantin Zrayk, Abdallah el-Alayli, Edouard Saïd, Joseph Moghaizel et Hassan Saab. Il compte à son actif plusieurs initiatives qui ont été couronnées de succès. Il s’occupe de plusieurs associations, tel le Club culturel arabe, dont il fut président pendant 20 ans.
Marié depuis 1978 à Elham Baouji, Mohammad Kabbani évoque toutes ces choses communes qu’il partage avec sa femme. «Nous habitions la même région, elle habitait à 200 mètres de chez moi. Nous avons tous les deux fait nos études à l’IC et ensuite à l’AUB tout comme nos parents avant nous et nos enfants après nous. D’ailleurs, aujourd’hui l’un des bancs de l’AUB porte une plaque sur laquelle on lit l’inscription suivante: AUB is a way of life for three generations (L’AUB est un mode de vie pour trois générations)». Il est père de deux enfants, Maya et Jamil qui vivent tous les deux à Dubaï. Maya est marié à Rami Hajjar, son ami d’enfance qu’elle a connu quand elle avait encore 5 ans. Ils ont deux filles, Yasmine et Dalia. Jamil, lui, est toujours célibataire. A travers cet entretien, on a l’impression de revivre en flashback toute une période de l’histoire contemporaine du Liban. Une histoire qu’on n’a pas encore fini de raconter…
Joëlle Seïf
Président de la commission des TP
Le député de Beyrouth est très fier d’être, depuis l’année 2000, président de la commission parlementaire des Travaux publics, des Transports, de l’Energie et de l’Eau et d’avoir à son actif plusieurs réalisations. «Il me suffit d’avoir pu transformer cette commission et d’en avoir fait une des trois plus grandes commissions parlementaires. Actuellement un grand intérêt est porté sur l’étude du projet de l’ouverture de l’aéroport de Kleyat, comme aéroport secondaire international, ceci étant une nécessité nationale de développement. Il réclame également la création d’un comité en charge de l’aviation civile.
Ce qu’il en pense
-Risque de guerre civile: «Il n’y aura pas de guerre civile au Liban car personne ne le veut. J’ai vécu la guerre mais je n’ai jamais appris à tirer. A la fin de la guerre un chef militaire de ma région m’a poussé à tenir un Kalachnikov juste pour voir ce que c’était. Je l’ai porté et j’ai tiré quelques balles dans la mer. Je ne sais toujours pas si j’ai fait quelques victimes parmi les poissons».
-La technologie: «Je ne suis pas du tout un adepte de la technologie et je n’ai ni de compte facebook ni Twitter. J’utilise Internet pour faire des recherches et lire la presse lorsque je suis en voyage. Sinon, j’aime tenir un journal entre mes mains. J’aime la sensation du papier».
-Sa devise: «La sincérité et l’honnêteté. J’aime les chevaliers, et dans l’histoire contemporaine du Liban, les deux grands chevaliers sont Kamal Joumblatt et Rafic Hariri. Un chevalier est pour moi quelqu’un qui réunit la force, le courage, l’honnêteté, la fidélité et la faculté de donner sans limites. Un avare n’est pas uniquement avare de son argent, il l’est de tout».