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Nº 2867 du vendredi 19 octobre 2012

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Trente mille âmes abandonnées. Le calvaire des Libanais de Syrie

Dans le flux de réfugiés fuyant les combats de l’autre côté de la frontière, se trouvent de nombreuses familles de Libanais vivant en Syrie dont le sort pose question, dans l’indifférence générale. Zoom sur un sujet méconnu du grand public.

«Il y a un fait que le gouvernement et beaucoup de partis politiques occultent. Il s’agit du cas des villages syriens, limitrophes de la Békaa et habités en grande partie par des Libanais, toutes confessions confondues: chiites, sunnites, chrétiens, alaouites. Ces vingt-trois contrées et douze fermes abritent 30000 Libanais. Les médias devraient enquêter sur place pour vérifier ces données. Certains de ces habitants sont proches du Hezbollah qui leur a laissé libre choix en ce qui concerne leur dissociation, ou pas, des événements en Syrie au début de la crise. C’est seulement lorsque les groupes armés ont attaqué leurs maisons, agressé, kidnappé et déshonoré leurs habitants que certains ont décidé de mener la bataille contre les agresseurs. Ces villages restent les cibles d’attaques quotidiennes, et le gouvernement doit veiller sur ces Libanais tués alors qu’ils protégeaient ce pays». Dans sa dernière allocution télévisée, le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a interpellé l’opinion publique sur un dossier qui commence à poindre.

La principauté libanaise en Syrie
Depuis plusieurs décennies, les habitants du Hermel ont tissé des liens extrêmement forts avec les villages syriens situés de l’autre côté. Les mouvements de population ont fini par effacer de facto la frontière entre la circonscription et le territoire syrien. Aujourd’hui, l’activité économique et sociale du secteur s’étend naturellement à partir d’une ligne tracée entre Qaa dans le nord de la Békaa et Chouaghir dans le Hermel côté libanais, à 10 kilomètres de la frontière à l’intérieur des terres, jusqu’à l’agglomération de Homs, située à 30 kilomètres de cette même frontière. Pour les Libanais de la région, le Hermel s’est en fait élargi jusqu’à la grande ville du Sud syrien. Dans cette zone propice à l’agriculture, nombreuses sont les familles libanaises qui ont passé de l’autre côté pour investir dans les terres fertiles de la région, arrosées par les confluents du lac Qattinah et de l’Oronte. Dans la région, les champs et la verdure s’étendent à perte de vue. De véritables ranchs ont été construits témoignant de leur réussite. Ces paysans libanais sont devenus, pour la très grande majorité d’entre eux, des exploitants agricoles qui ont acheté les terrains et emploient des Syriens en bonne intelligence.
C’est autour du lit du fleuve que se sont concentrées la plupart de ces familles. L’intercommunalité du Haouch el-Assi est un ensemble de 15 petits villages délimités, à l’est, par la localité de Joussié, situé sur la route de Qusair qui borne la partie nord, et par le barrage de Qusair situé, lui, à une dizaine de kilomètres à l’ouest des deux villes précitées. Ces villages s’appellent Kawkaran, Diabiyeh, Blawzeh, Safsafeh, Jountaliyeh, Qarnieh, Wadi Hanna ou Howayek. Mais les deux plus grands regroupements de fermiers sont certainement Seta à l’Ouest en contrebas du barrage et Rablé à l’Est. Avec l’émergence de l’insurrection contre le régime de Bachar el-Assad, la présence de ces Libanais majoritairement chiites, dans une zone que les rebelles ont rapidement investie, a commencé à poser problème. Les combats autour de Qusair opposant les rebelles aux soldats de l’armée régulière sont extrêmement violents. Le témoignage des habitants de Qaa fait état de tirs continus d’armes automatiques, de fortes explosions et survols d’hélicoptères militaires.
Comme les Syriens de la région qui ont fui les combats, les Libanais installés dans le secteur sont aussi touchés par ces affrontements. Le week-end dernier, Abdo Yaacoub Al-Ahmar, un vieil homme de 92 ans, originaire du village de Chouaghir et Teifallah Nkoula Attieh, 52 ans, ont dû être rapatriés au Liban, via la localité frontalière de Haouch Sayyed, pour être soignés à l’hôpital de la ville de Hermel. Mais leurs blessures étaient trop graves. Ils se sont éteints sur la table d’opération.

Une diaspora hétéroclite
Les témoins parlent d’une attaque armée dont ils ont été les victimes. Des roquettes sont tombées sur leur domicile. D’après plusieurs sources, les combats se seraient sérieusement intensifiés, ces derniers jours, dans le rif de Qusair. Une intensification qui aurait contraint les groupes armés à battre en retraite vers Joussié et Qaa. L’instabilité de la situation au nord de la Békaa et dans le Hermel a conduit l’Armée libanaise à déployer ses troupes sur les points névralgiques de la région. Les corps des deux Libanais tués ont été inhumés dans leur village syrien de Rablé, en présence des habitants de la localité et de ceux du bassin de l’Oronte, qui avaient fait le déplacement à l’hôpital du Hermel pour demander aux autorités libanaises de les protéger.
Ces Libanais du centre syrien qui, il y a plusieurs décennies, ont quitté le Liban, ont toujours gardé des liens familiaux avec leur pays. Leur vie s’est construite là-bas mais ils ont encore des parents et des proches de ce côté de la frontière et ont toujours tenu à préserver leur identité libanaise. Aujourd’hui, ces familles sont en train de tout perdre. «Ils ont autant besoin d’aides que les réfugiés syriens», explique Hikmat Aad, responsable de l’antenne de l’association Caritas à Baalbeck, qui observe le flux. Certaines de ces familles ont pu trouver chez leurs proches un abri provisoire, un toit de fortune. Mais ces familles sont très loin de représenter la réalité des réfugiés libanais.
Car dans la diaspora libanaise hétéroclite de Syrie, on compte également une cinquantaine de familles libanaises qui se sont installées dans la ville de Homs, notamment dans le quartier de Bayada, il y a près d’un siècle. Eux n’ont plus aucun lien avec le Liban, bien qu’ils tiennent à leur nationalité. Certains racontent qu’aux premiers jours de l’insurrection, ils ont été la cible de brimades, de tentatives d’enlèvement. Ils ne sont pas agriculteurs, ils sont plutôt commerçants ou petits industriels et font partie de la petite classe moyenne supérieure. Mais aujourd’hui, ils n’ont plus de ressources. Leurs outils de travail sont détruits et le peu d’argent qu’ils ont réussi à emporter dans la fuite a déjà été utilisé pour les besoins élémentaires et immédiats.
Alors que les hommes préfèrent rester près de la frontière, à quelques encablures de leurs terres, ils envoient leurs femmes et leurs enfants auprès des associations qui aident les réfugiés. Tous critiquent le manque de considération des autorités libanaises, incapables de fournir les aides élémentaires à leurs compatriotes. Ce sont aujourd’hui des centaines de familles qui ont franchi la frontière, laissant derrière elles leurs affaires, leurs maisons, leur vie. Dans leur pays, les voilà obligées de repartir de zéro, sans aucune perspective d’avenir. Sans doute se contenteraient-elles d’un peu d’estime.

 

J. A-R.

Deux poids, deux mesures?
Talal Iskandar, chargé par les municipalités de la circonscription du Hermel de coordonner l’aide et les secours pour les centaines de réfugiés qui peuplent aujourd’hui la région, a publiquement protesté cette semaine contre le manque d’aide et le laxisme dans l’inscription des réfugiés aux programmes d’aide. «Contrairement à Ersal, par exemple, où l’aide aux réfugiés est abondante, l’aide aux réfugiés du Hermel est pratiquement inexistante», explique Iskandar. «Peut-être que cela a à voir avec l’appartenance politique des gens au Hermel, mais c’est un traitement injuste.»
Outre le HCR, le Conseil danois pour les réfugiés, Médecins sans Frontières et le Comité international de la Croix-Rouge – qui sont tous présents dans le Hermel – les réfugiés syriens d’Ersal bénéficient, eux, de l’aide du Courant du futur, de la plus haute autorité sunnite du Liban Dar al-Fatwa, du Qatar, des Emirats et du Croissant-Rouge.

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