Dans son dernier roman, Bernard Pivot, icône de la culture à la télévision, met en scène un personnage qui n’arrête pas de poser des questions. Toute ressemblance avec son créateur ne saurait être fortuite. Entretien avec un amoureux de la langue française.
Quels sont vos rapports avec le Liban?
Ils sont professionnels. Je suis venu trois fois en 1994 notamment à l’occasion du tournage de l’émission Bouillon de Culture au Musée Sursock, le premier à avoir été fait à l’étranger. L’invité vedette de cette émission était Amin Maalouf qui revenait pour la première fois depuis la fin de la guerre. C’est une émission qui m’a laissé de grands souvenirs. Je suis revenu trois autres fois au début des années 2000 pour faire la dictée relayée par la télévision libanaise.
Y-a-t-il des endroits au Liban qui vous ont particulièrement marqué?
Je garde un souvenir extraordinaire d’une grande soirée organisée au Casino du Liban en 1994. A un moment, l’animateur a prononcé mon nom. Je me suis levé et à ce moment-là, j’ai eu une sorte d’ovation absolument extraordinaire. C’est probablement la plus grande ovation que j’ai eue de ma vie. J’étais interloqué, stupéfait. Je ne comprenais pas pourquoi j’étais si populaire au Liban. On m’a expliqué par la suite que pendant toute la guerre, les gens se réunissaient pour regarder Apostrophes tous les vendredis. C’était pour eux, au fond, le symbole même de la culture qui leur était à ce moment-là interdite, le symbole de la paix, le symbole de ce qu’ils espéraient pour plus tard quand la guerre serait finie.
Votre dernier ouvrage, Oui, mais quelle est la question?, est votre deuxième roman, plus de cinquante ans après la publication du premier. Pourquoi une si longue attente?
Parce que j’étais journaliste à la télévision et que je m’interdisais d’écrire des livres lorsque j’exerçais ce métier. Ils auraient pu entrer en concurrence avec les livres des auteurs que j’invitais dans mes émissions. Le manque de temps constitue une deuxième raison, la dernière est une raison de prudence. Les romanciers que je recevais auraient pu me retourner les critiques que je leur faisais! Dès le départ, je me suis dit qu’il valait mieux d’être un bon journaliste qu’un mauvais écrivain.
Votre dernier livre est un éloge à double tranchant du questionnement…
Il faut d’abord dire que la question est bénéfique car sans question, il n’y a pas d’éducation, de savoir, de culture ou de recherche. L’humanité avance car elle se pose des questions et il y a des gens compétents qui y apportent des réponses et ce, dans tous les domaines. La question est essentielle à la vie, également dans le privé.
Mais les questions peuvent être également «prédatrices» …
Mon personnage Adam Hitch, en hommage à Alfred Hitchcock le maître du suspense, souffre de «questionnite». Il pose des questions jusqu’à arracher, extirper de l’âme de l’autre tous ses petits secrets, plus ou moins avouables. Les questions sont prédatrices dans la jalousie. Un jaloux ne cesse de poser des questions, à lui et à l’autre. Mais en règle générale, les bénéfices de la question l’emportent ô combien sur ses désagréments.
La curiosité est-elle un vilain défaut?
Cette expression est une aberration. Non seulement la curiosité n’est pas un vilain défaut, mais en plus de cela, c’est une qualité et j’en ferais même une vertu. La curiosité, c’est de l’attention, de la générosité, c’est aller vers l’autre. La curiosité peut être malsaine mais bien souvent, elle est simplement fondée sur l’envie de savoir.
Regardez-vous encore la télévision?
Oui, je regarde les grands matchs de football, le journal télévisé, les documentaires et les magazines de culture ou de politique.
Vous êtes un gros utilisateur de Tweeter. Paradoxal, compte tenu du discours qui plane au-dessus des réseaux sociaux qui défigurerait l’orthographe, alors que vous menez le combat de la francophonie?
Aujourd’hui que l’anglais soit dominant, c’est normal et bientôt, le chinois va se répandre dans le monde entier. Ce qui m’embête, c’est que l’anglais envahisse le français. Notre rôle, c’est de servir le mieux possible le français, de soutenir une politique francophone.
Propos recueillis par Julien Abi Ramia
Il tweete!
«Je trouve qu’il est très agréable, contraignant et passionnant de s’exprimer en moins de 140 signes. Ça me rappelle mes débuts de journaliste. C’est une très bonne école de la concision. Les tweets entretiennent l’esprit. Et puis, il y a une grande liberté. Je me sens bien dans ce monde. Simplement, contrairement à d’autres, j’essaye de ne pas faire de fautes d’orthographe. J’essaye d’être un bon serviteur du français».