Alors que le débat autour du projet de la loi électorale bat son plein, le vote des émigrés est la source d’une autre polémique. A la dernière réunion des sous-Commissions parlementaires, le ministre des Affaires étrangères, Adnane Mansour, a créé la surprise en affirmant que le nombre des émigrés inscrits auprès des ambassades et consulats du Liban dans le monde, pour voter aux prochaines législatives de 2013, ne dépasse pas les 3009… sur un million!
Le rapport soumis par le ministre des Affaires étrangères Adnane Mansour aux sous-Commissions parlementaires a soulevé de nombreuses critiques. Ses propos ont été fortement contestés par le député Sami Gemayel qui s’est exclamé: «Qui peut croire que dans le monde entier, il n’y a que 3000 Libanais qui souhaitent participer aux prochaines élections?» Pour lui, cette liste n’est pas réaliste. Il y aurait zéro Libanais inscrit dans certains pays, comme le Canada, alors que les dossiers des émigrés auprès du consulat libanais à Montréal dépassent les 64000.
La liste de trois pages, présentée par le ministre des Affaires étrangères, comporte des chiffres variant de zéro (dans des consulats de Montréal, d’Ottawa, de Buenos Aires, de Rio de Janeiro, de Jeddah); un inscrit entre Sydney et Kuala Lumpur, 742 en France. Mansour a souligné que 7000 émigrés ont exprimé leur volonté de voter mais ils ne se sont toujours pas inscrits. Dans ces conditions, des questions se posent: les émigrés sont-ils si peu intéressés à exercer leur droit? Le Liban aurait-il oublié ses fils trop longtemps pour qu’ils se sentent concernés par sa politique ou ses problèmes? Où est la faille?
Certains doutent de l’authenticité de la liste et parlent d’erreurs. Vexé, Adnane Mansour qualifie d’«inconvenable» cette hypothèse. «Celui qui dit que le ministère ment est lui-même menteur», riposte-t-il. Pour lui, «ce sujet a donné matière à une surenchère médiatique». Il assure que «les diplomates ont pris cette réforme au sérieux et ont entamé un recensement géographique qui a démontré le nombre de Libanais à l’étranger atteignant le million, dont 600000 électeurs potentiels» et nie «toute lacune dans les chiffres».
Un autre problème est soulevé par l’enregistrement des émigrés auprès des consulats libanais. La règle veut que les noms des Libanais inscrits à l’étranger soient systématiquement rayés des listes d’électeurs au Liban. Donc, si pour une raison ou une autre, le nom des émigrés est rayé à l’étranger, ils ne pourront plus voter au Liban. Le député du Bloc aouniste, Simon Abi Ramia, affirme que ce principe ne sera pas appliqué. Pour lui, les émigrés se sont abstenus de s’enregistrer jusqu’à maintenant, soit parce qu’ils n’ont pas encore pris au sérieux la décision du gouvernement de leur donner le droit de vote, soit qu’ils attendent que certains partis leur assurent leurs frais de déplacement.
Mansour a cherché à rassurer les émigrés en leur affirmant qu’ils n’avaient rien à craindre et que, même si le scrutin ne se déroule pas à l’étranger, ils pourront toujours voter au Liban, leur droit serait ainsi garanti.
Coût de l’opération
Des députés ont soulevé des problèmes techniques. Plusieurs ambassades, disent-ils, ne sont pas en mesure d’organiser le vote faute de personnel, alors que les nominations diplomatiques, victimes des tiraillements politiques, traînent toujours malgré les multiples promesses.
Une lettre avait été adressée par le ministère des Affaires étrangères à la présidence du Conseil des ministres expliquant les détails de la procédure de vote des émigrés et la nécessité de mettre au point les préparatifs logistiques. Les ambassades manquent de personnels qualifiés capables de superviser l’opération, dans la mesure où un million de Libanais environ pouvaient être appelés à voter. Ceci signifie qu’il faudrait ouvrir plus de 2500 bureaux de vote et assurer quelque 5000 contrôleurs du scrutin. Le Liban dispose de 75 ambassades et 15 consulats de par le monde, tous non équipés pour cet exercice. Des fonctionnaires, dit-on, seraient nommés à titre provisoire auprès des ambassades pour l’occasion. Les chancelleries libanaises pourraient être prêtes mais les Libanais de l’étranger ne semblent pas motivés par le vote, malgré l’importance qu’y attachent toutes les parties au Liban.
Les frais de l’opération sont évalués à plus d’un million d’euros par le ministère des Affaires étrangères. Un montant variable en fonction du nombre d’émigrés inscrits d’ici la fin de l’année.
A ce jour, les émigrés enregistrés près des ambassades et des consulats compteraient environ 608286, dont 169651 dans les pays arabes, 62862 dans les pays asiatiques et en Australie, 39270 dans les pays d’Afrique, 233101 dans les pays d’Amérique, et 103402 dans les pays européens.
Dans les pays arabes, c’est Jeddah qui compte le nombre le plus élevé de Libanais inscrits auprès de l’ambassade soit 80000. Le Koweït, Dubaï et Abou Dhabi suivent.
En Afrique, le nombre le plus élevé des émigrés inscrits auprès des ambassades et consulats se trouve au Congo (200000), à Abidjan (100000), au Nigeria (25000), au Gabon (21000) et au Sénégal (20500).
En Australie, près de 375000 Libanais sont enregistrés à Sydney, près de 25000 à Canberra et environ 7328 dossiers se trouvent à Melbourne.
En Europe, c’est en France qu’on trouve le plus grand nombre de Libanais: soit 80000 à Paris et 15000 à Marseille, contre 50000 en Grande-Bretagne, 35000 en Suède, 27000 dossiers de familles en Allemagne et 26500 émigrés en Italie.
Au Canada, le nombre des émigrés est de 70000 à Ottawa et 64000 dossiers à Montréal. Au Brésil, se trouve la plus grande communauté libanaise à travers le monde, mais le nombre des Libanais inscrits ne dépasse pas 4800 à Brasilia, et 32000 à Sao Paulo, alors qu’à Rio de Janeiro, le décompte est quasi impossible. Au Venezuela, il y aurait près de 150000 émigrés.
Aux Etats-Unis, il est également difficile, comme à Rio de Janeiro, d’indiquer le nombre d’émigrés inscrits à Washington. Ce nombre est de 26000 dossiers à New York, 50000 à Detroit et 24000 dossiers de familles à Los Angeles.
La diaspora libanaise
Les Libanais de l’étranger sont, actuellement, plus nombreux que les Libanais résidants. Il est cependant très difficile d’évaluer l’importance numérique de ces communautés. D’autant que, pour la première fois dans les annales politiques du Liban, la diaspora sera appelée à voter. Il existe trois groupes d’expatriés: ceux qui sont inscrits à la fois au Liban, auprès des consulats et auprès des ambassades de leur pays d’accueil. Les citoyens libanais enregistrés au Liban et nulle part ailleurs ce sont ceux qui ont quitté le pays dans les années 1950 et sont indifférents aux élections libanaises et, enfin, les descendants de Libanais des premières vagues qui ont droit à la citoyenneté mais ne l’ont pas conservée.
Les émigrés, toutes catégories confondues, sont «l’or blanc du Liban», comme les a qualifiés le président Michel Sleiman. A travers les époques, l’émigration libanaise a permis de créer un réseau mondial d’entreprises libanaises implantées partout où se sont installés les Libanais à travers le monde. Ils se sont facilement intégrés dans leurs pays d’accueil et ont laissé leurs empreintes sur l’économie de ces pays. Ainsi, en Afrique, ils sont devenus incontournables. Ils possèdent environ la moitié des petites et moyennes entreprises dans certains pays du Continent noir. Ils régissent une grande partie de l’économie de certains pays d’Afrique occidentale, notamment la Côte-d’Ivoire et le Sénégal. En Sierra Leone, la diaspora libanaise assure la quasi-totalité du commerce du pays, dont le trafic d’or et de diamant.
Dans les pays d’Amérique latine, et surtout au Brésil, les Libanais ont suivi les cycles économiques de leur pays d’accueil: exploitation du caoutchouc, de l’or, de la canne à sucre ou du café. Aujourd’hui, ils font partie intégrante des sociétés d’accueil et leurs enfants, qui ont fréquenté les écoles et les universités, sont devenus influents sur tous les plans: social, culturel, économique et politique. On les trouve dans les professions libérales, les administrations et à des postes de responsabilité politique: députés ou sénateurs, gouverneurs et même chefs d’Etat.
En Australie, le commerce est la principale activité de la diaspora libanaise. Les nouvelles générations recherchent les professions libérales ou la fonction publique. Dans les nouveaux pôles de la diaspora libanaise comme l’Europe, les Libanais ont leur rôle dans l’économie des pays d’accueil.
Schémas confessionnels
Le vote des émigrés est devenu le thème préféré des politiciens en vue des prochaines législatives. La raison en est que les émigrés reflètent les mêmes schémas confessionnels «des Libanais résidants». En Australie, aux Etats-Unis, en Europe ou en Amérique latine, les émigrés sont aussi bien chrétiens, sunnites, chiites ou encore druzes, et donc la donne ne peut-être définie qu’en fonction du nombre d’émigrés enthousiasmés par le vote.
En 1930, la diaspora comptait près d’un million de Libanais, dans leur grande majorité chrétiens. Près de la moitié se trouvait alors en Amérique latine, au Brésil et en Argentine; un quart sont aux Etats-Unis; le reste se répartit entre l’Australie et l’Afrique noire. A partir des années 1950 et 1960, les Libanais se sont plutôt orientés vers les pays du Golfe où le développement rapide des économies pétrolières constitue un attrait.
Aujourd’hui, les trois quarts des membres de la diaspora libanaise se concentrent dans les deux Amériques. Le reste se trouve entre l’Afrique, l’Australie, l’Europe et les pays du Golfe.
Il est impossible de les recenser par répartition confessionnelle dans le monde. Il faudrait pour cela se baser sur les enregistrements qui ne sont pas formels. Ainsi, en Australie, 200000 Libanais sont inscrits sur les registres du consulat: 80% sont chrétiens et 20% musulmans. Ce sont toutefois 80% de ces derniers qui inscrivent leurs enfants dès leur naissance, alors que seuls 20% des chrétiens le font.
Cependant, d’après les chiffres et statistiques récents, les Etats-Unis, le Canada, l’Australie et l’Europe sont les pays de prédilection des chrétiens et, en particulier, des maronites. La préférence des chiites va surtout à l’Afrique.
Au fil des années, la diaspora a joué un rôle décisif dans la détermination de l’avenir du Liban. Ainsi les émigrés avaient mené, dès avant la Première Guerre mondiale, une lutte acharnée contre l’Empire ottoman. Au lendemain de la guerre et après l’effondrement de l’Empire ottoman, ils poussèrent le gouvernement français à créer le «Grand Liban», puis se retournèrent contre le mandat français. Durant la guerre de 1975-1990, la diaspora libanaise n’a pas cessé de multiplier ses efforts et ses contacts pour chercher une solution durable à la crise. Les émigrés en général, ceux qui sont installés dans des régions éloignées en particulier, sont-ils réellement concernés par la situation politique au Liban? Répondront-ils à l’appel?
Arlette Kassas
Aux Etats-Unis
Les émigrés font la sourde oreille
En 2008, la loi portant sur le vote des émigrés a été adoptée et avec elle beaucoup d’espoirs pour la diaspora libanaise installée aux Etats-Unis. Quatre ans après cet immense pas, la déception a repris le dessus. Et pour cause, les procédures devant permettre ce vote n’ont toujours pas été adoptées. Que pensent les Libano-Américains de cette réalité? Quelles positions adoptent-ils? Enquête sur place.
Près de deux millions de Libano-Américains ou d’Américains d’origine libanaise résidaient aux Etats-Unis en 2006 selon les chiffres fournis par le Lebanese Information Center. Répartis un peu partout, un bon nombre d’entre eux continuent de suivre régulièrement l’actualité de leur pays d’origine.
C’est le cas de Joseph Mourani, responsable associatif, très impliqué au sein de la diaspora. Installé à Michigan depuis de nombreuses années, il a été parmi les premières personnes à saluer la vaste campagne menée actuellement par l’ambassade du Liban à Washington DC. Celle-ci, tout comme les différents consulats qui lui sont affiliés (basés à New York, Detroit, Los Angeles, Miami, Houston, Boston, Raleigh), tentent de se mobiliser pour inciter les Libanais à participer aux prochaines élections législatives de 2013. Pour cela, la procédure est simple: un Libanais de l’étranger doit remplir un dossier disponible en ligne sur Internet et présenter ses pièces d’identité. Cette démarche doit être entreprise avant le 31 décembre prochain et ne semble pas du tout compliquée. Les émigrés vivant aux Etats-Unis ont eu d’ailleurs l’occasion de s’informer sur cette campagne grâce à divers organes. Tels que les partis politiques, les médias, les organisations, les institutions religieuses et communautaires. Mais malgré cet appel généralisé, moins de cent personnes se sont enregistrées via l’ambassade à Washington DC pour voter lors des prochaines élections législatives. C’est une source de l’ambassade qui le confirme et regrette que la situation soit encore plus grave dans les consulats. «Dans certains Etats, près de dix personnes seulement se sont enregistrées!». Cette source assure pourtant que tout est fait pour inciter les Libanais à y participer. «Nous tenons des réunions toutes les semaines et cela fait des mois que nous alertons les instances locales sur cette réalité. Mais hélas la situation ne s’améliore pas». Que ce soit à Washington ou dans d’autres villes américaines, les émigrés font donc la sourde oreille. Et pourtant, ce sont ces mêmes émigrés qui se rendent régulièrement aux consulats et à l’ambassade, qui lisent quotidiennement la presse locale et tiennent des événements pour le Liban. Alors pour quelles raisons ne veulent-ils pas exercer leur droit de vote lors des prochaines élections? Pour plusieurs raisons, rapporte cette source qui va jusqu’à dire que leur comportement est tout à fait compréhensible. «Tout d’abord, la loi électorale n’a toujours pas été adoptée et les procédures qui seront appliquées lors de ce vote ne sont pas encore fixées. Tous ceux qui se rendent à l’ambassade nous posent la même question. Si on est inscrit ici, est-ce que notre nom sera rayé des registres locaux?».
Questions sans réponses
Cette question semble presque sur toutes les lèvres. Haïtham, 27 ans, résident de l’Illinois. Aziz Chaaya, représentant d’un parti politique libanais à Michigan. Partout, ces mêmes propos. «On ne sait pas encore dans quel pays on sera lors des prochaines élections. Or, si on s’enregistre ici, on sera peut-être rayé de la liste électorale au Liban». Les émigrés veulent donc être confortés que ça ne sera pas le cas mais ils n’ont toujours pas reçu des réponses bien claires. Ce qui les inquiète également, c’est le fait que jusqu’aujourd’hui, la loi électorale n’a toujours pas été votée. Haïtham raconte qu’il suit attentivement ce qui se passe au Liban mais qu’il ne voit pas comment dans de telles circonstances une nouvelle loi sera adoptée. Joseph Mourani pour sa part va plus loin. Il doute même que les élections aient lieu. «Je ne suis pas du tout rassuré et lorsque je parle aux jeunes Libano-Américains vivant à Michigan, ils semblent convaincus qu’il n’y aura même pas de bataille électorale cet été», ajoute-t-il. Les responsables politiques sont eux aussi très sceptiques. Chaaya, note que les émigrés ne savent pas comment et par qui ils seront représentés. «C’est compliqué. Comment les élus seront-ils choisis et comment les émigrés seront représentés».
Le gouvernement a récemment approuvé la loi qui fixe un quota de six élus par les émigrés libanais. «Mais un besoin de représentants de chaque pays de l’émigration nous garantit une représentation plus juste», assure Haïtham. Pour lui, il est surprenant qu’un émigré libanais vivant en Mexique soit représenté par un député de l’Australie. Il ajoute: «J’ai l’impression qu’on ne pense pas du tout à cela. Pourtant, les gouvernants libanais disent comprendre nos inquiétudes. Mais ce ne sont que des paroles, encore et toujours». A moins d’un an des élections législatives libanaises, il est temps de casser ce cercle vicieux. Un ministère des Affaires étrangères qui pense que les émigrés ne veulent pas exercer leur droit de vote puisqu’ils ne s’inscrivent pas auprès des instances. Et des émigrés faisant face seuls à leurs inquiétudes.
Pauline Mouhanna
Pétition transfrontalière
Tout a commencé au Mexique et par la suite le projet de Betty Hindi, fondatrice de l’association World House of Lebanon s’est internationalisé pour toucher l’Europe, l’Australie et d’autres pays de l’Amérique latine. Convaincue que les émigrés libanais doivent avoir leur mot à dire sur la situation politique et sociale de leur pays d’origine, Hindi a fait signer une pétition aux responsables de la diaspora aux Etats-Unis et au Mexique. «Les chefs des communautés religieuses et les clubs libanais de l’étranger ont tous accepté de signer des papiers qui demandent de tout faire pour que les émigrés puissent voter lors des législatives de 2013. Par la suite, nous avons estimé qu’une pétition en ligne s’impose». Combien de personnes ont déjà signé cette pétition? «Je ne peux pas vous donner de chiffres exacts puisque le projet est toujours en cours jusqu’en décembre. Approximativement, plus de 4500 signatures ont été recueillies.» Pour plus d’informations, se rendre sur le site de l’association: https://www.worldhouseoflebanon.org/index.php
Gouvernement
Joumblatt au centre du jeu
Au Liban, François Hollande est venu réaffirmer la volonté des puissances étrangères de protéger le Liban de la crise syrienne et de l’instabilité politique. Mais l’opposition et ses soutiens continuent de s’arracher le leader du PSP, Walid Joumblatt. La majorité a donc demandé à Nabih Berry d’intervenir.
Au soutien traditionnel de la France à la liberté, la souveraineté et l’indépendance du Liban, s’ajoutent désormais, à la lumière des événements en Syrie, les appels à la stabilité, l’unité, l’intégrité, la sécurité et au dialogue. Déclarations de principe à l’épreuve des faits. La visite au Liban du chef de l’Etat français intervient après celles de plusieurs délégations européennes. Leur message aura été clairement martelé: la France et l’Europe approuvent les grandes lignes de la politique de distanciation dessinées par Michel Sleiman. Soucieuse de la fragilité de l’équilibre du pays, Paris souhaite que le Liban ne soit pas l’otage de la lutte régionale qui oppose l’Arabie saoudite à l’Iran. C’est dans ce cadre que Hollande s’est rendu à Riyad. C’est d’ailleurs là que le dossier syrien a été ouvert, non pas à Beyrouth. La diplomatie française distingue la question syrienne qui se joue sur un plan régional des affaires internes de la vie politique du Liban. Forte de ces garanties, la majorité a, cette semaine, déployé son doux arsenal.
L’implosion écartée
Si la France tient à ne pas s’ingérer, les faucons de la majorité se sont délectés des assurances européennes qui ont crédibilisé leur présence au pouvoir. Les sources de la majorité expliquent fièrement que le Vieux Continent a fini par adopter leurs positions. La France a exprimé son soutien à la stabilité, au refus du vide institutionnel et à la politique étrangère du président. Au sortir de cette séquence, le grand gagnant est sans nul doute Michel Sleiman. Le président de la République a su fédérer autour de lui les puissances internationales. Aujourd’hui, elles valident sa politique étrangère et sa gestion des affaires internes. Elles voient en lui une garantie pour le pays. Mais là où le chef de l’Etat a véritablement accru sa cote, c’est surtout auprès des partis politiques qui composent sa coalition gouvernementale. En persuadant Najib Mikati de renoncer à ses intentions de démissionner, le président s’est affirmé comme le véritable ciment de la majorité.
Ses relations privilégiées avec le Premier ministre et le président du Parlement, Nabih Berry, forment un trident extrêmement solide qui a démontré sa volonté de continuer sur la voie qu’ils ont tracée depuis la formation du nouveau gouvernement. Il faut ajouter à ce trident un autre fer de lance en la personne de Walid Joumblatt. En le voyant se ranger aux côtés de l’insurrection en Syrie, l’opposition a tenté jusqu’au bout de pousser son avantage en ramenant le leader druze du côté du 14 mars. Le 5 septembre dernier, il s’est rendu à Paris où il a rencontré Saad Hariri. Le leader naturel de l’opposition lui a demandé de quitter le gouvernement afin d’accélérer la chute de Mikati. Le jour de l’assaut du Grand sérail, l’ancien Premier ministre lui aurait même demandé de pousser ses partisans à descendre dans la rue. Deux requêtes que Joumblatt a expressément refusées, provoquant l’ire de Hariri.
Principalement parce que les raisons qui l’avaient poussé à assurer la formation d’un nouveau gouvernement sont toujours présentes. «La priorité est aujourd’hui de préserver la stabilité du Liban et d’empêcher un vide politique, car cela permettrait à la crise syrienne de se transposer au Liban, et risquerait de provoquer une discorde entre sunnites et chiites», expliquait-il il y a deux semaines.
Mais il reste l’objet de toutes les attentions. Lundi soir, il reçoit un appel du sous-secrétaire d’Etat américain, William Burns, qui lui a expressément demandé son aide à la formation d’un nouveau gouvernement qui éviterait un vide politique. A cette requête, Joumblatt donne une double réponse. Il ne s’interdit pas de réfléchir à cette éventualité, tant qu’elle est étudiée à travers les canaux du dialogue ouverts par le président Sleiman et que l’opposition mette fin au boycott des institutions. Un appel au dialogue que le chef de l’Etat ne cesse de promouvoir auprès de ses visiteurs. D’autres expliquent qu’il existe une troisième condition, à savoir la reconduction de Najib Mikati à son poste. L’opposition déploie ses ailes tous azimuts.
Un champ restreint
Lundi, une délégation du bloc parlementaire du Courant du futur, présidée par Fouad Siniora, s’est rendue à Bkerké pour transmettre ses vœux au patriarche Raï, nommé cardinal par le pape Benoît XVI. L’occasion pour les cadres du 14 mars de réitérer leurs positions: non à un dialogue avec la partie adverse dans les circonstances actuelles, oui pour «un gouvernement de salut, neutre et composé de personnes dignes de confiance». Du côté de l’opposition, la lecture des derniers événements est totalement différente. Des observateurs de la mouvance ont noté que lors de sa visite, le président Hollande n’a pas rencontré le Premier ministre Mikati, signe selon eux du non-soutien de la France à la majorité politique actuelle. Une façon de justifier son escalade consentie le 30 octobre dernier à la Maison du centre, résidence de Saad Hariri.
Au sortir de ces assises extraordinaires du 14 mars, auxquelles étaient notamment présents Fouad Siniora, le leader des Forces libanaises Samir Geagea et le chef des Kataëb Amine Gemayel, le boycott de l’opposition est toujours en vigueur et les tentes plantées autour du Grand sérail sont toujours présentes. Force est de constater que la mobilisation populaire ne prend pas. Mais l’opposition pense avoir un autre atout dans sa manche. En réclamant que soit déposée au Conseil de sécurité une demande d’extension de la mission de la Finul et une plainte «au sujet du complot Samaha-Mamlouk», le 14 mars joue la carte de l’international. Une façon de maintenir une certaine pression qui éclaircit donc la position de toutes les parties.
Déterminé à mener jusqu’au bout ses efforts pour une séance nationale de dialogue, le président du Parlement, en guise de signe de bonne volonté, a décidé de reporter sine die la séance plénière de la Chambre du 7 novembre. Une initiative saluée notamment par Amine Gemayel qui y voit «une démarche positive» et surtout par Walid Joumblatt.
Dans la situation du moment, ce sont eux qui détiennent la clé du problème. Compte tenu des conditions du leader druze et des convictions du président de la République, la suite des événements dépendra de la capacité du quatuor Sleiman-Mikati-Berry-Joumblatt à organiser le dialogue national. L’équation est simple. L’opposition n’obtiendra pas de Walid Joumblatt la chute du gouvernement tant qu’elle refusera de participer à une séance de dialogue nationale. Pour atteindre ses objectifs, le 14 mars devra alors miser sur la colère de la rue, une escalade qui entrerait en contradiction avec les recommandations internationales.
Julien Abi-Ramia
Aoun au Canada
En fin de semaine dernière, le leader du CPL, accompagné du ministre de l’Energie Gebran Bassil, a conclu sa visite au Canada, qui aura duré près d’une semaine. Sa dernière visite remontait à neuf ans.
Première étape, un dîner de gala organisé à Toronto par la diaspora de la région d’Ontario. Dans son discours, il en appelle aux électeurs et s’en est pris aux tergiversations sur la loi électorale. «Ceux qui ont profité des lois électorales fabriquées sur mesure pour s’approprier une majorité artificielle sont encore là pour refuser une nouvelle loi, vraiment représentative du peuple».
Après avoir participé à un congrès de la section Amérique du Nord du parti, Michel Aoun s’est ensuite rendu à Montréal, où était organisé un dîner auquel ont participé plus d’un millier de convives et au cours duquel il a assuré que Bachar el-Assad ne tomberait pas. Il a également assisté à plusieurs cérémonies religieuses en les cathédrales Saint-Maron et Mkhalles de la ville.
Samir Mokbel, vice-président du Conseil des ministres
«Je ne suis pas candidat aux élections»
Si le gouvernement s’en va sans possibilité de remplacement, le Liban tombera dans un vide dont nul ne peut prévoir les conséquences. Le vice-président du Conseil des ministres, Samir Mokbel, prône modération et dialogue.
Avant la visite du président français et de l’adjointe à la secrétaire d’Etat américaine, le 8 mars prétendait bénéficier de l’appui de la communauté internationale, alors qu’il critiquait les précédents gouvernements soutenus par cette même communauté. Comment expliquez-vous cela?
Il faut cesser d’aborder les choses de cette façon, de dire qui bénéficie ou pas du soutien des puissances étrangères. Nous sommes Libanais, nous voulons avoir une approche libanaise des problèmes. En dehors du dialogue, pas d’issue possible. Il faut répondre à l’invitation du président de la République.
Pensez-vous que certains pays arabes tentent d’exercer une pression sur ce gouvernement en interdisant à leurs ressortissants de venir au Liban et en gelant leurs investissements?
Toute la presse s’est fait l’écho de cette interdiction. Le président de la République que j’ai accompagné s’est rendu dans tous les pays arabes et leur a expliqué la situation. Ils se sont tous engagés à lever l’embargo et à autoriser leurs citoyens à revenir au Liban. Mais c’est à nous, Libanais, de leur donner confiance, d’assurer la sécurité. C’est dans de telles conditions qu’ils reviendront.
Depuis que le 14 mars mène campagne pour la démission du cabinet, nous assistons à des Conseils ministériels qui tentent de le renflouer en quelque sorte…
Ne me parlez pas de renflouement. Le gouvernement a déployé et déploie toujours de grands efforts. Nous sommes parvenus, dernièrement, à un dénominateur commun en matière de nominations, tout en prenant en compte la compétence.
Mais on a parlé de quotes-parts et aussi de réserves de la part des ministres joumblattistes?
Soyons francs. Dites-moi quand et sous quel gouvernement le principe des quotes-parts politiques n’a pas été appliqué? Le pays est ainsi fait. Aujourd’hui, c’est vrai que les postes ont été répartis sur cette base mais en considérant aussi la compétence et l’ancienneté.
Après l’annonce de sa démission, le Premier ministre Mikati s’est rétracté. Que s’est-il donc passé?
Le Premier ministre a été clair lorsqu’il a dit qu’aucune force au monde ne le poussera à démissionner en laissant derrière lui un vide constitutionnel. Vous savez que si le gouvernement s’en va sans possibilité de remplacement, nous tomberons dans un vide dont nul ne peut prévoir les conséquences.
Mais on dit qu’une entente préalable sur le successeur est contraire à la Constitution et au processus de consultations parlementaires…
C’est vrai. Mais dites-moi lequel des cabinets a été mis sur pied sans accord préalable? Nous sommes dans un pays multicommunautaire, composé de plusieurs partis et tendances. Sans entente préalable, nous ne parviendrons à aucun résultat.
Tout le monde sait maintenant que le général Wissam el-Hassan avait un bureau secret à Achrafié. En êtes-vous le propriétaire?
Il est vrai que le général Hassan avait un appartement dans les tours qui m’appartiennent.
Que dites-vous à ceux qui dénoncent votre éloignement des habitants d’Achrafié suite à l’explosion?
Vous croyez tout ce qui s’écrit dans les journaux? Je ne suis pas de ceux qui font des déclarations et posent pour les photos. En l’espace de 48 heures après l’attentat, j’ai sillonné la région et pris contact avec les sinistrés en leur donnant mon numéro de téléphone pour qu’ils m’appellent afin que je puisse les aider personnellement.
Et la situation économique? On a parlé de la fermeture de l’hôtel Metropolitan et d’un risque de fermeture de plusieurs institutions, comme le Bouddha Bar.
La situation économique et touristique est délicate en ce moment. Ce n’est pas vrai que le Metropolitan a fermé. Il réhabilite quelques étages, c’est pourquoi les responsables de l’établissement ont transféré leur clientèle au Habtoor qui fait partie de la même chaîne. Quant au Bouddha Bar, il comptait essentiellement sur les touristes arabes. Les chiffres du tourisme ont quelque peu reculé, c’est vrai. Moi, en tant que Libanais, si je me trouve à l’étranger et lis et vois ce qui se passe au Liban, je serais effrayé, bien qu’il n’y ait rien d’effrayant.
On dit que vous avez renoncé à la construction d’une tour d’une valeur de 80 millions de dollars à Achrafié. Est-ce vrai?
Bien au contraire. J’ai entamé la construction de deux autres tours. Nous avons actuellement un chantier de trois tours à Achrafié. Si nous, Libanais, n’encourageons pas les investissements et le secteur économique, qui va le faire? Nous n’avons besoin de personne. Nous sommes capables de relancer le pays.
Serez-vous candidat aux prochaines législatives?
Certainement pas. Je suis prêt à servir ce pays et ses citoyens autant que je le peux, mais il n’est pas question que je présente ma candidature aux élections.
Propos recueillis par Saad Elias