Cette semaine, la presse étrangère délaisse temporairement les sentiers tortueux de la politique pour aller au plus près de la population. Santé, religion et pression sociale sont au programme.
The Washington Post
Dans ses pages consacrées à l’étranger, The Washington Post pointe «le risque de radicalisation des sunnites libanais».
Leur colère est le reflet d’un sentiment croissant d’aliénation que les sunnites attribuent au système politique qui ne leur rapporte que peu d’avantages. «Notre communauté ne nous aide pas. Personne ne nous aide. Ici, c’est chacun pour soi», explique Abou Ammar, le chef d’un groupe de combattants qui a participé aux derniers affrontements de Tarik Jdideh. «Nous avons trois emplois simplement afin d’acheter nos propres armes». Le drapeau noir qu’ils brandissent n’est pas un signe d’allégeance à un groupe en particulier, mais «il représente les sunnites», explique Mohammad Sharif. «Nous n’avons pas de dirigeants et nous ne suivons personne».
L’absence de Saad Hariri a érodé son autorité, laissant un vide que ses lieutenants tentent de combler en promulguant une interprétation beaucoup plus radicale de la place des sunnites dans ce Liban multiculturel. Pour Iskandar Demaji, la séquence de l’attaque du Grand sérail, le 21 octobre, «a montré que la rue est en train d’échapper à Saad Hariri. Qui le remplace? Ne soyons pas dupes. Les drapeaux d’al-Qaïda sont partout». Les prêcheurs extrémistes sunnites comme Ahmad Al-Assir gagnent en popularité. «Nous pourrions mourir pour lui», explique Jamal Shamaa, un combattant du Sud. Et pour Hariri? «Oui», répond-il avec moins d’enthousiasme. «Il communique avec nous grâce à Twitter».
Gulf News
Dans une tribune publiée dans les colonnes du Gulf News, Joseph Kechichian explique qu’il n’y a pas «d’Etat salafiste au Liban». Le but du Hezbollah n’est pas de se mettre sur la même ligne des partis traditionnels du pays, mais de s’affirmer comme la seule autorité qui compte sur la scène locale. C’est pour cette raison qu’il n’a cessé de mettre en garde contre la menace des salafistes. C’est également pour cette raison que ses alliés ont pointé du doigt le spectre d’al-Qaïda. La très grande majorité des Libanais, et les sunnites en particulier, rejettent aujourd’hui la violence qui est leur pain quotidien depuis quatre décennies. Comme les dix-sept autres communautés du pays, les sunnites font partie de l’équation nationale. En réalité, la guerre civile a pris un nouveau tournant lorsque la communauté a réalisé l’importance d’un Etat stable. C’est aussi pourquoi des hommes comme Rafic Hariri, et des dizaines d’autres, ont payé le prix de cette cause.
Plus que les autres, les sunnites savent combien l’équation libanaise reste fragile et à quel point la stabilité du pays repose sur la présence d’un Etat fort. C’est ce que Wissam el-Hassan avait compris. C’est le prix que ses ennemis voulaient lui faire payer. C’est également pourquoi les citoyens rejettent les quelques salafistes que compte le Liban.
The Platform
The Platform est un site d’information britannique, géré par de jeunes Anglais issus de l’immigration asiatique, qui se donne pour but de véhiculer une autre vision de leur pays. Un article est consacré au «secteur privatisé et politisé de la santé au Liban».
Vous pouvez apprendre beaucoup sur un pays en observant son système de santé. Comme Walter Cronkite le disait, «le système de santé américain n’est ni sain, ni bienveillant, il est encore moins un système». Le système anglais était un concept remarquable lors de sa création, mais aujourd’hui, il patauge dans le désespoir, s’efforçant de contenter tout le monde, tout en étant critiqué. Et celui du Liban? Très instructif. Des hôpitaux du Hezbollah dans le Sud aux centres médicaux américains et français ultramodernes de la capitale, le système libanais de santé est privatisé et politisé, aussi fragmenté que son mélange éclectique de styles de vie, d’idéaux et de religions. Le pays est divisé entre les très riches, vivant généralement en zone chrétienne, et les moins riches qui vivent dans les villages ruraux. En essayant de répondre aux besoins des deux catégories, le ministère de la Santé publique a fondé vingt-sept hôpitaux d’Etat au cours de ces vingt dernières années. Malheureusement, la majorité d’entre eux ont fini par fermer. A titre de comparaison, le Liban compte 175 hôpitaux privés et 14.500 lits. La capacité des hôpitaux publics ne dépasse pas les 300 lits. Les polices d’assurance privées et les factures de soins sont très chères. Seulement 27% de la population est en mesure de contracter une assurance. Certains se font rembourser par le gouvernement ou l’armée. Mais il y a une troisième voie: celle prise par 58% de la population – pas d’assurance.
L’Express
L’Express a suivi Mohammad, un chauffeur de taxi, longue distance qui travaille entre le Liban et la Syrie. Instructif.
«Pendant la dernière semaine d’août, j’ai atteint mon record: six allers-retours dans la journée. Mon téléphone portable n’arrêtait pas de sonner pendant les trajets et mon taxi collectif était réservé d’avance pour plusieurs jours. Exceptionnel! La plupart des clients étaient de jeunes réservistes de Tartous et des environs. Leurs familles me connaissent depuis longtemps et me font confiance. J’ai l’avantage d’être à moitié libanais et ma voiture est immatriculée à Tripoli.
Je continue, aujourd’hui, à faire entre trois et cinq allers-retours par jour. Par la route côtière, seuls 50 kilomètres séparent le centre de Tartous, en Syrie, et Tripoli, au Liban. Le trajet pourrait être bouclé en une heure et quart. Mais on me demande de plus en plus souvent d’aller chercher les gens dans leurs villages, dans les hauteurs environnantes. Mes clients préfèrent ne pas venir au point de départ habituel au centre-ville, pour ne pas se faire repérer.
On perd du temps au poste-frontière d’al-Karabeh. Pour moi, c’est facile parce qu’on me connaît et surtout parce que je rends des services. Le sésame avec les hommes d’ici, c’est le matté. Ils sont tous drogués à cette infusion qui vient d’Argentine. Ils sirotent du matin au soir dans des petites fioles spéciales cette boisson qui leur coupe l’appétit et rougit leurs yeux. J’en achète de grandes quantités, à un prix très bien négocié auprès d’un importateur à Tripoli. Quand les gardes-frontières me voient arriver, ils font de grands sourires et me tendent la main pour avoir leur paquet. Je leur livre cette marchandise à prix coûtant, mais mon bénéfice se mesure en gain de temps et de facilités au passage.
Slate.fr
Le site Slate.fr parle cette semaine des mariages mixtes. Les femmes, qui sont déjà les premières victimes d’un système patriarcal très inégalitaire (la tutelle des enfants en cas de divorce revient par exemple systématiquement au père dans toutes les communautés religieuses), souffrent particulièrement du pluri-confessionnalisme qui influe jusque sur la vie amoureuse des individus.
«La vie intime des gens est prisonnière du statut personnel religieux», explique le chercheur Mounir Corm. Chaque vie dépend ainsi de la religion que lui a léguée son nom et toutes les femmes n’ont pas les mêmes droits.
Au Liban, une catholique ne peut pas divorcer, sauf en cas de faute grave du mari (faute non précisée), tandis qu’une chiite en aura l’occasion à la condition d’abandonner ses droits à l’égard de son époux. C’est ce morcellement religieux qui contraint le plus les femmes dans leur vie sentimentale, les amenant à faire des choix difficiles en tenant compte de leur famille, de leur origine confessionnelle et de leurs aspirations naturelles.
Julien Abi Ramia
Rue89
L’instabilité politique en jeu vidéo
L’article est publié sur le site de Rue89.
Peut-on bousculer le désordre établi au Liban avec Facebook et deux jeux vidéo rigolos? L’idée est très ambitieuse, mais le groupe de graphistes libanais à l’origine de Lebanon Games s’en fiche: il y croit et suscite au passage le débat.
C’est à cet écueil que, pour la première fois dans le pays, des jeux vidéo font référence. Mis en ligne à la mi-octobre, le jeu «Bad Year», plante son décor entre une voie rapide entourée d’immeubles et de panneaux publicitaires. Le but est de pulvériser les pneus enflammés que des petits bonhommes en noir et masqués s’entêtent à disposer sur la route bloquée.
«Takkit», la seconde création, propose de «jouer au jeu auquel les Libanais jouent tous les jours»: faire face aux coupures d’électricité, en gérant la consommation du générateur qui compense les carences de l’Etat en matière d’énergie. Le joueur, qui gère une maison découpée en plusieurs pièces, doit réussir, lorsqu’une coupure survient, à rationner l’électricité à travers les différents appareils ménagers de la maison.