Cette semaine, la presse internationale s’est départie des analyses politiques pour pénétrer au cœur de la crise, plus précisément sur les lignes de fracture que les événements en Syrie dessinent depuis plus d’un an.
Vice
Vice est un site américain qui héberge documentaires et reportages au long cours. Cette semaine, Mitchell Prothero a suivi les combattants de l’ASL à la frontière libano-syrienne.
La nuit commence à tomber lorsque les rebelles se mettent en position derrière un verger d’oliviers et de citronniers. Nous sommes à 500 mètres de la frontière avec la Syrie, au nord du village sombre et poussiéreux de Qaa. Je me suis posté à côté d’un Libanais que je nommerai Hussein qui supervise 200 combattants dans cette zone. «Nous déplaçons certains combattants vers la ville syrienne de Qusayr afin de distraire les troupes d’Assad». Sa brigade est chargée de surveiller la circulation d’argent, d’armes et d’insurgés à travers la frontière. Il interrompt notre conversation pour donner un ordre sur son talkie-walkie, le plus discrètement possible pour éviter que son signal soit intercepté.
«OK», ordonne Hussein. «On se déplace».
Ses soldats se déploient à travers l’oliveraie, se préparant à attaquer les bâtiments en béton entourés de sacs de sable, à distraire les gardes-frontières, alors qu’une autre unité de combattants, postée à sept kilomètres, traverse la frontière incognito. Un leurre classique.
Le verger devient un champ de bataille. Trois grenades propulsées par fusée volent vers le poste-frontière. Une douzaine de fusils automatiques et de mitrailleuses libèrent une pluie de munitions.
«Nous faisons cela tous les jours», dit Hussein en riant. «Mais eux aussi», ajoute-t-il, en montrant du doigt les troupes d’Assad.
Foreign Policy
Le journaliste du magazine américain Foreign Policy a rencontré Ahmad el-Assir avec une question. «La guerre civile en Syrie alimente-t-elle une guerre sainte entre sunnites et chiites au Liban?»
Ça commence toujours par les affiches. Le 11 novembre dernier, les partisans sunnites du leader salafiste ont déchiré une affiche du chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, à Saïda. Au lendemain du conflit, Assir a menacé de former sa «milice de la résistance», idée qu’il a abandonnée après le tollé que cela a suscité. A la différence de leurs penchants politiques traditionnels, la colère des sunnites a pris une teinte ostensiblement islamiste.
Une source sécuritaire libanaise nous a expliqué que l’activité des groupes jihadistes a augmenté de manière significative au cours des vingt derniers mois. «La situation actuelle donne à ces groupes un terrain propice, surtout à l’intérieur des camps palestiniens», dit cette source. «Leur modus operandi est fait d’embuscades et d’attaques. Ce sont des gars qui ont été en Afghanistan ou en Irak et il ne fait aucun doute qu’ils se sont joints à la lutte contre le régime syrien».
Assir aura été la figure publique de la religiosité retrouvée au sein de la communauté sunnite du Liban. L’imam s’est imposé comme l’adversaire le plus virulent de la domination d’Assad en Syrie et de celle du Hezbollah au Liban. «Les sunnites restent dominés par le Hezbollah et ses armes. Nous sommes particulièrement vulnérables», explique-t-il. «Si cela continue, il n’y aura pas de guerre au Liban. Il y aura une attaque contre les sunnites et elle ne durera pas qu’un seul jour».
Le Temps
Le quotidien suisse Le Temps publie cette semaine un reportage dans la plaine de la Békaa, à la rencontre des réfugiés syriens.
Emmitouflés dans leurs manteaux, des centaines de Syriens se pressent devant un garage d’Ersal transformé en bureau de distribution. La nuit descend tôt sur cette bourgade encaissée de la Békaa (est du Liban), longée par les crêtes montagneuses qui jouxtent la Syrie, et qui soutient la révolte voisine depuis ses débuts. Pour faire face à l’hiver, glacial dans cette région, chacun dans la foule espère obtenir un poêle à mazout, au cours de la donation réalisée par deux volontaires grâce à des fonds qataris.
De multiples associations sont actives dans la Békaa et le nord du Liban (principales régions d’accueil des Syriens) aux côtés du Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). Mais l’aide reste en partie improvisée et les besoins difficiles à combler. Le Liban abrite désormais plus de 128000 réfugiés syriens – soit plus que ceux officiellement enregistrés en Turquie, au territoire bien plus vaste. Et ce chiffre ne prend en compte que les déplacés qui se sont signalés auprès du HCR.
Khaled, 34 ans, quitte la distribution les mains vides. Ce combattant est venu installer sa famille à Ersal, avant de regagner le front syrien. Un peu plus tôt, il était chez Mohammad, un activiste libanais qui aide les réfugiés. «Ma famille est hébergée dans une mosquée. On me demande 500 dollars pour une location! s’inquiète Khaled, originaire de Qusayr à la frontière avec le Liban. Ou bien on refuse de me louer, en me disant que j’ai trop d’enfants». «Certains profitent des réfugiés, s’indigne Mohammad. Avant, un loyer ne dépassait pas 100 dollars à Ersal. Chaque jour, des réfugiés me sollicitent pour un hébergement. La question est critique: le froid est là, les maisons manquent, Ersal compte plus de 10000 Syriens».
La Croix
La Croix, qui a particulièrement couvert le cardinalat de Béchara Raï, était cette semaine à Tripoli.
«Si le régime de Bachar el-Assad en Syrie tombe, on devra en finir avec les groupes pro-syriens et la mafia du quartier de Jabal-Mohsen», déclare celui qui, dans le quartier sunnite opposé de Tabbané, se fait appeler Hajj Omar. L’homme a l’allure débonnaire d’un père de famille et de fait, il a quatre filles. Une apparence cependant trompeuse car cet ancien combattant de la gauche libanaise, qui s’est battu aux côtés des Palestiniens dans les années 1970 et a payé de neuf ans de prison (1990 à 1999) sa lutte contre le régime d’Hafez el-Assad, dirige les groupes armés de Tabbané, à Tripoli, la grande ville sunnite du nord du Liban, historiquement la plus syrienne du Pays du Cèdre car elle faisait partie du même département que Homs avant la création du Liban.
Le jour, la vie est quasi normale sur la rue de Syrie. Les magasins qui bordent cette «ligne de démarcation» sont ouverts, les enfants vont à l’école cartable sur le dos et les voitures circulent tant bien que mal au milieu des embouteillages des camions qui déchargent fruits et légumes. En revanche, la nuit, tout peut très vite dégénérer. Habitués des combats, les commerçants tirent des rideaux faits de bâche en plastique vert qui masquent les rues perpendiculaires à la «ligne de front». «Pour protéger les passants des snipers», justifie Hajj Omar. Julien Abi Ramia
La Tribune de Genève
«La Gale», une rappeuse suisso-libanaise
La Tribune de Genève a rencontré cette jeune femme, La Gale, «qui parle comme elle rappe».
On croirait un boxeur qui piaffe avant de monter sur le ring. Sautillant sur place en remontant sa capuche, Karine Guignard, rappeuse suisso-libanaise auto-baptisée La Gale, interrompt l’interview pour le sound check.
Elle engouffre une poignée de chips, se passe un peu de charbon autour des yeux. Son sweater porte une inscription en arabe, la langue de sa mère «qui n’est plus de ce monde», et de ses camarades rappeurs du Moyen-Orient. Elle est minuscule. Filiforme. Mais sa virulence fait l’effet d’une loupe. Magnifiée, l’ex-punkette. Plus agitatrice que teigneuse, voici s’exprimer La Gale.
«Les textes que j’écris, c’est ce que je suis. Quand tu es enfant d’immigrés, quand tu es né ailleurs, que tu t’y retrouves mal et qu’on te reproche tes origines, tu te poses beaucoup de questions. C’est mon cas: je rappe ce que je suis. Tous, on rappe sa propre merde. Du coup, mon rap reflète mes origines, mais aussi tous les autres aspects de ma personnalité».