Magazine Le Mensuel

Nº 2874 du vendredi 7 décembre 2012

Santé

Argus II. Lire le braille… avec les yeux

Un dispositif ingénieux pourrait révolutionner la recherche médicale dans le domaine de la cécité. Un patient aveugle a réussi à «voir» le braille sans avoir recours à ses doigts et à son toucher. Explications.

Argus II. Derrière ce nom quelque peu mystérieux se cache un dispositif particulièrement ingénieux qui a permis à un patient aveugle de pouvoir «lire» le braille, sans recourir à ses doigts ou à son toucher. Une véritable révolution. Ce dispositif se compose d’un implant, équipé d’électrodes, installé à la surface de la rétine de l’œil du patient. Des électrodes qui sont elles-mêmes capables de recevoir et de transmettre des signaux au cerveau, envoyés par un émetteur.
L’implant et les soixante électrodes sont reliés à une caméra installée sur des lunettes. La caméra sert à capter ce qui peut être vu et envoie ensuite le signal correspondant lequel est transformé en message lumineux. Ledit message est alors transmis aux électrodes et parvient aux cellules nerveuses. Résultat, le patient «voit» les choses comme s’il les avait devant ses yeux.
Cette technologie brevetée au Royaume-Uni a été améliorée par les chercheurs d’une société californienne, Second sight, qui a eu l’idée d’utiliser le braille. Car l’un des «défauts» du dispositif britannique était que pour pouvoir être vus, les mots devaient être écrits en très gros caractères et le patient doit s’approcher de très près et les observer pendant un certain temps.
Partant de là, les chercheurs de Second sight pensent s’appuyer sur le braille. Ce système d’écriture, destiné aux non-voyants, a l’avantage d’avoir ses caractères formés d’une matrice à six points, disposés sur deux colonnes.
Les scientifiques ont pu ainsi se passer de la caméra pour stimuler uniquement six électrodes, représentant des caractères de braille, dans l’implant rétinien. Durant l’expérience, les électrodes stimulées deviennent donc des lettres pour le patient.
Au final, le patient aveugle a pu visualiser les lettres en braille ainsi formées dans 89% des tentatives. Un beau résultat qui aurait pu être encore meilleur, aux dires des chercheurs, qui estiment que les erreurs étaient causées par la mauvaise lecture d’un seul point.
Thomas Lauritzen, qui a dirigé l’étude, explique dans la revue Frontiers in Neuroscience, qu’ «au lieu de sentir le braille sur le bout de ses doigts, le patient a pu voir les motifs que nous avons projetés et alors lire les lettres en moins d’une seconde, avec une exactitude de 89%. Il n’y a eu aucune entrée, excepté la stimulation des électrodes et le patient a reconnu les lettres en braille facilement. Cela prouve qu’il a une bonne résolution spatiale, parce qu’il a pu facilement distinguer les signaux sur des électrodes différentes et individuelles», explique encore Lauritzen. En détail, le patient a pu décrypter huit mots de deux lettres sur dix et sept mots à quatre lettres sur dix ont pu être lus sans erreur.
Autant dire qu’il s’agit là de résultats très prometteurs.
Bien sûr, la lecture du braille par ce dispositif doit encore être améliorée. Au niveau de la vitesse de lecture notamment. On estime à environ 800 lettres par minute le nombre de caractères qu’un aveugle peut décrypter en braille avec le toucher. Contre une lettre par seconde avec le système Argus II amélioré.
Si la science et la médecine ont encore un long chemin devant elles avant de pouvoir faire recouvrir la vue à des non-voyants, le dispositif Argus II pourrait déjà améliorer le quotidien de ces personnes. Les chercheurs estiment que cet implant pourrait, par exemple, aider les personnes aveugles à lire des panneaux indicateurs. Avec des indications traduites en braille, les non-voyants pourraient les lire rapidement et facilement. Pour l’heure, l’Argus II revisité est en cours d’essai clinique sur trente personnes.

Jenny Saleh

 

Aux origines du braille
C’est Louis Braille, lui-même privé de la vue, qui invente en 1829 ce système d’écriture tactile destiné aux personnes aveugles ou malvoyantes. Cet alphabet permet de transcrire n’importe quelle langue en caractères latins grâce à un assemblage de points.
Louis Braille améliore et simplifie en fait le code mis en place par Charles Barbier de la Serre. Là où le précédent faisait de l’écriture en douze points, Braille le réduit à six points. En braille standard, chaque caractère d’écriture est représenté par une combinaison de 1 à 6 points en relief, disposés sur une matrice de 2 points de large sur 3 points de haut. Les points sont numérotés de 1 à 6 en partant du point en haut à gauche et en descendant. Ce système permet de représenter des caractères comme les lettres de l’alphabet, la ponctuation et les chiffres.
Les livres en braille selon ce premier alphabet étant très volumineux (douze tomes pour les Misérables de Victor Hugo!), il est encore abrégé en 1880, par Maurice de la Sizeranne.

 

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