Ecrite et mise en scène par Raymond Gébara, pionnier du théâtre libanais, miné actuellement par la maladie, Maqtal enna wa akhawatiha redonne au théâtre sa saveur d’antan. Emouvant, poignant, simple, allant droit au but et au cœur de l’humanité. Du quotidien du Libanais, sa mentalité, ses complexes, ses chagrins, ses réussites et échecs, sa culture, son ignorance, son approche de la vie et de la mort.
De l’humour, de l’humour noir, un texte décapant, des propos tranchants qui confondent satire et dénonciations, Maqtal enna wa akhawatiha met en scène un quatuor de personnages qui semblent presque sortis d’un asile d’aliénés. Ou sont-ils tout simplement la représentation caricaturale de l’humain acculé par un monde qui annihile humanité et dignité, alors qu’il cherche toujours sa place dans ce monde? Menée par quatre acteurs magnifiques, la pièce commence quand la direction de l’école convoque Monsieur Mahfouz, le père de l’enfant «qui a fait pipi dans sa culotte». Dans le hall de l’école, Mahfouz campé par un très expressif Gabriel Yammine, homme modeste, plombier l’hiver, réparateur de climatiseurs l’été, chômeur pour le reste de l’année et très endetté croise Wadih (Rifaat Torbey), docteur en linguistique, très attaché à son titre de docteur, marqué par ses complexes et ses habitudes. Entre culture et ignorance, entre l’un et l’autre, c’est un échange verbal des plus succulents, cadencé par la présence d’une secrétaire typique, aux mimiques magistrales, entre bigote, ingénue et femme, interprétée par une délicieuse Julia Kassar. Elle s’agite, inutilement souvent, tentant de venir en aide à l’un et à l’autre, alors qu’elle tente de satisfaire la mère supérieure, caricature muette mais tellement évocatrice, dans les habits d’Antoine Achkar. Un bel hommage au théâtre libanais.
Nayla Rached
Les représentations de Maqtal enna wa akhawatiha se poursuivent jusqu’au 23 décembre, du jeudi à dimanche, à 20h30, sur les planches du théâtre Monnot.
Mathhab de Lina Khoury
L’obscurantisme des gouvernements et des sociétés
Elles sont deux femmes. Internées dans un hôpital psychiatrique. L’une est réellement atteinte de troubles psychologiques, croyant avoir un orchestre sous sa commande. L’autre est ce qu’on peut appeler une prisonnière politique, internée de force dans cet asile de fous. Pour avoir osé se soulever contre son gouvernement. Elles portent toutes les deux le même nom: cette découverte lancée au cours de la représentation passe comme inaperçue jusqu’au dénouement final, qui vous surprend d’un coup, vous scotche dans vos sièges, perplexes, pris au dépourvu. Il fallait s’y attendre. Il fallait l’anticiper. Mais la surprise est telle qu’elle renvoie, d’un coup, à l’obscurantisme lâche qui sévit dans nos pays arabes, sociétés et gouvernements confondus. Et c’est ce que dénonce Lina Khoury dans la tragicomédie Mathhab, présentée sur les planches du théâtre Gulbenkian, à la LAU, Lebanese American University.
Lina Khoury, instigatrice de la libre adaptation des Monologues du vagin d’Eve Ensler qui a donné la désormais célèbre pièce Haki neswén, présente là une adaptation de Every good boy deserves favour du dramaturge anglais Tom Stoppard, à qui on doit notamment les scénarios des films Brazil et Shakespeare in love. En 1974, le chef d’orchestre de la London Symphony Orchestra, André Previn, l’invite à écrire une pièce qui nécessiterait sur scène la présence d’un orchestre au complet. Ce n’est qu’en 1976 que le dramaturge trouve l’idée qui allait donner naissance à la pièce: la pression exercée par la Russie sur les dissidents, les intellectuels jugés comme déments, jetés en prison, en exil, en asile.
Et comme la tyrannie et l’oppression se trouvent dans les systèmes politiques de tous les pays et dans les règles qui régissent les sociétés, Lina Khoury adapte sa pièce dans le contexte arabe, où tout être qui ose se distinguer de la masse est puni. Sur la scène du théâtre Gulbenkian, dans un décor rappelant une prison avec des chaînes qui pendent, en présence d’un orchestre composé d’une quinzaine de musiciens, le spectateur est plongé en plein délire verbal, schizophrène, avant de céder la place à des propos engagés et dénonciateurs, tenus par des comédiens professionnels et des étudiants: Sirine Dardari, Mira Sidawi, Tarek Tamim, Aline Salloum, Hilda Aabla et Bassam Lahoud.
Nayla Rached
Mathhab se joue ce week-end encore, les 14, 15 et 16 décembre, à 20h30, au théâtre Gulbenkian, à la LAU.