La commissaire européenne pour la coopération internationale, pour l’aide humanitaire et pour la réaction aux crises, a effectué une visite au Moyen-Orient pour évaluer la situation liée au conflit syrien. Elle a entamé sa tournée au Liban au côté du Haut-commissaire de l’UNHCR, Antonio Gueterres. Entre un voyage dans la Békaa à la frontière syro-libanaise, une visite des camps palestiniens et des entrevues politiques, elle a répondu aux questions de Magazine.
53% de l’aide humanitaire en Syrie et dans les pays voisins sont d’origine européenne. Parallèlement, l’Union européenne a pris clairement parti dans le conflit syrien. Cette petite contradiction pose-t-elle un problème sur le terrain?
Non, absolument pas. Avec l’Union européenne, nous adoptons une approche strictement humanitaire, c’est-à-dire complètement neutre. Nous ne nous occupons que de deux questions. D’abord, les besoins sont-ils réels et cruciaux? Ensuite, avons-nous les moyens de les aider? On ne s’occupe ni de politique, ni de religion. En Syrie, une partie de notre aide est adressée aux territoires contrôlés par le gouvernement, une autre aux territoires disputés et une autre aux territoires contrôlés par les rebelles. Nous donnons autant que possible et partout. Mais nous n’avons pas la possibilité logistique de subvenir aux besoins de tous les Syriens. Disons que sur quatre à cinq millions de personnes qui auraient besoin de notre secours, on ne parvient véritablement à aider que 800000 à 1500000 personnes. Et les nécessités augmentent chaque jour, en Syrie où il y a déjà plus de 1200000 déplacés et dans les pays frontaliers où on vient de franchir la barre des 500000 réfugiés.
Justement à propos des pays frontaliers et en particulier du Liban. On sait que les chancelleries occidentales font un effort spécial pour maintenir la stabilité. Dans quelle mesure les réfugiés sont-ils un facteur de troubles?
L’augmentation soudaine d’une population n’est jamais innocente. C’est un fardeau pour la société libanaise. Mais au-delà des implications économiques directes qu’on retrouve dans tous les pays qui accueillent des réfugiés, il faut bien voir que les réfugiés qui arrivent au Liban sont souvent parties prenantes à ce conflit. On retrouve ici les mêmes communautés ethniques et religieuses, les mêmes parties et plus ou moins les mêmes lignes de fractures.
Ces dernières semaines, la crise s’est accrue avec la question sensible des réfugiés palestiniens. Sur les 500000 réfugiés palestiniens en Syrie, il y en a déjà 10000 qui sont arrivés au Liban. Et s’il y a une augmentation substantielle de la pression autour des camps palestiniens, on peut s’attendre à ce qu’une grande partie d’entre eux viennent au Liban parce qu’il existe d’ores et déjà une importante communauté palestinienne. Nous avons visité un des camps. Le manque de ressources est flagrant, le taux de chômage y est absolument gigantesque. Vous imaginez si les populations doublent? Triplent? Pour toutes ces raisons, l’UE aide et doit aider plus encore l’UNHCR, l’UNRWA et le WFP (le Programme alimentaire mondial).
Et les réfugiés irakiens de Syrie?
Pour l’instant la priorité, ce sont les Palestiniens. Parce que les Irakiens sont moins nombreux (ndlr: 100000). Peut-être 70% d’entre eux ont déjà quitté la Syrie. Les perspectives montrent que la question majeure reste celle des Palestiniens.
Les chrétiens en Syrie souffrent comme leurs frères du Moyen-Orient de sévères discriminations, de violences et d’intimidations. Particulièrement à Homs. Quelles solutions mettez-vous en place pour eux?
Nous sommes toujours concernés par le destin des minorités surtout quand les conflits se communautarisent. Nous nous occupons des druzes, des musulmans et des chrétiens. Nous essayons de leur fournir une protection humanitaire particulière. Mais nous ne les aidons pas parce qu’ils sont chrétiens, ni parce qu’ils sont alaouites ou druzes, mais parce qu’ils constituent une minorité. Les minorités sont très fréquemment les groupes qui ont le plus besoin de secours.
A côté de cela, le Parlement européen, d’autres commissariats ou certaines ambassades peuvent avoir une approche plus communautaire ou plus politique. Certains proposent par exemple des visas à ceux des chrétiens qui désirent partir. S’ils souhaitent quitter la Syrie parce qu’ils sont menacés nous les accueillons, mais encore une fois c’est le travail des politiques de réfléchir à cela, nous, commissariat à la coopération internationale, travaillons dans une approche purement neutre et a-communautaire. Ces questions se poseront d’autant plus quand le conflit prendra fin.
Les convois humanitaires font face à de plus en plus d’attaques, comment adapter l’aide à l’augmentation des risques sur le terrain?
Tout à fait, il faut souligner ce nouvel aspect du conflit. Il y a de moins en moins de personnel sur le terrain parce que les conditions de sécurité se détériorent. Depuis le début de la crise syrienne, huit personnes qui étaient en charge d’aide humanitaire internationale et sept engagés dans le Croissant-Rouge arabe syrien sont décédées, au moins dix-huit autres ont été blessées. Nous essayons de faire le plus possible malgré la dangerosité. Les hôpitaux sont ravagés, les produits de première nécessité pour les bébés ou les femmes enceintes manquent cruellement. Et quand nous en avons, il devient de plus en plus compliqué de les acheminer à bon port en toute sécurité. Il en résulte que de plus en plus de zones n’ont pas accès à notre aide. Nous faisons face à un ensemble de problèmes systémiques comme le traitement des eaux, qui sont la racine de beaucoup d’ennuis. Particulièrement pour Alep. Nous avions obtenu l’autorisation de Damas, pour que huit ONG travaillent en Syrie. Nous avions réparti nos efforts de la manière suivante: 60% de l’aide est adressée sur le territoire syrien et 40% dans les pays frontaliers. Petit à petit avec la dégradation de la situation sur le terrain, la balance se rééquilibre. 50-50 puis à terme peut-être 40% pour l’aide intérieure et 60% pour l’aide extérieure.
Vous parlez de l’autorisation de Damas au sujet de huit ONG. Racontez-nous comment se passent les discussions entre vous et le régime syrien?
Au début, seules la Croix-Rouge internationale, l’UNRWA et l’UNHCR, étaient habilitées à agir sur le territoire syrien. Mais attention, ces organisations n’avaient pas le droit de s’occuper des victimes du conflit. Et puis les visas étaient presqu’impossibles à obtenir. Autant vous dire que rien n’était facile. Ensuite la pression internationale en faveur d’une plus grande ouverture à l’aide humanitaire a fait changer les choses. La Syrie participait aux négociations. Russes, Américains, Européens et Arabes allaient dans le même sens. Le Conseil de sécurité s’y est mis aussi. Ce n’est qu’à ce moment-là que le régime a autorisé WFP, UNICEF UNHCR et UNRWA à agir. A côté de cela, huit ONG (dont sept européennes) ont obtenu des accréditations et travaillent aux côtés du Croissant-Rouge arabe syrien et d’ONG locales. Depuis lors jusqu’à la semaine dernière, le personnel humanitaire sur place était en constante augmentation. Récemment, alors que le régime nous avait donné son feu vert après une longue négociation, pour nous rendre à tel endroit, nous avons dû négocier à nouveau avec les autorités locales de Homs pendant trois jours et franchir pas moins de 21 check points. En fait, il y a une réelle destruction de la capacité du pays. Cela va bien au-delà de la simple désorganisation. Il faut derechef préciser qu’il y a 1200000 déplacés internes. Cela ne peut pas ne pas avoir de conséquences.
Est-ce que l’Europe est prête à s’impliquer davantage? A-t-elle les moyens financiers et logistiques de le faire?
Il y a besoin que nous aidions davantage et nous le ferons. Nous ne devons pas nous satisfaire d’être les premiers contributeurs de l’aide internationale. Il faut réaliser enfin que même si le régime venait à tomber demain, les appels au secours ne cesseront pas. Bien au contraire, c’est à ce moment que le plus gros du travail sera à faire.
Propos recueillis par Antoine Wénisch