Douze jours après la disparition d’Ignace IV Hazim, le saint-synode de l’Eglise orthodoxe d’Antioche a choisi son successeur, en la personne de Youhanna X Yazigi. Evêque de la communauté pour l’Europe de l’Ouest et l’Europe centrale, le jeune prélat peut jouer le rôle de pont entre l’Orient et l’Occident.
En ces temps difficiles pour la communauté orthodoxe en Syrie, qui constitue la première communauté chrétienne du pays, le profil du nouveau patriarche coulait de source. Il était écrit que le patriarche que les évêques du saint-synode porteraient à la tête de l’Eglise orthodoxe d’Antioche serait originaire de Syrie. Le décès de Hazim a provoqué un électrochoc au sein de la hiérarchie. Il fallait trouver une personne dans la force de l’âge, au parcours ecclésiastique exemplaire, qui a su tisser des liens avec ses fidèles. Le conflit en Syrie et, plus globalement, la situation des chrétiens de la région, exige un homme solide, dynamique et incontestable. Le synode devait envoyer un signal fort. Il était acquis que le successeur de Hazim devait pouvoir se projeter dans l’avenir, avec force et détermination. L’hommage international qui a été rendu au patriarche disparu aura sans aucun doute dramatisé cette élection. Ce sont les yeux de toute une communauté, de toute une région qui se sont tournés vers Balamand, lundi dernier.
Trois candidats
Après la fermeture des portes du monastère, les vingt membres du collège électoral n’ont eu besoin que de deux heures pour élire le successeur de Hazim. En l’absence des évêques des Etats-Unis et de Bagdad, le saint-synode a élu le nouveau patriarche à la majorité absolue avec douze voix. Selon les dispositions du droit canon, l’élection du patriarche orthodoxe d’Orient se déroule en deux temps. Au premier tour, les évêques sont conviés à choisir trois évêques qui feront office, au deuxième tour, de candidats au siège patriarcal. Pendant le week-end, deux personnalités se sont dégagées, confiant à plusieurs de leurs interlocuteurs leur envie de concourir. Le premier à s’être lancé dans la course est celui que le synode a choisi pour l’intérim au siège de Hazim, le vicaire patriarcal Esber Saba, évêque de Bosra-Houran, de Jabal el-Arab et du Golan. Sa candidature s’est imposée d’elle-même. Même si c’était de manière temporaire, il avait déjà recueilli l’unanimité des voix pour assurer la continuité de l’Eglise.
C’est d’ailleurs lui qui arrivera en tête du premier tour. La deuxième place est revenue à l’évêque du Mexique, Antonios Chédraoui. Bien que dirigeant d’un diocèse éloigné des contrées moyen-orientales, son influence au sein du synode est incontestable. Lui aussi faisait partie des favoris. Des évêques qui auraient pu être favorables à Esber Saba ont d’ailleurs voté pour lui au premier tour. L’histoire retiendra qu’au premier tour, le futur patriarche n’aura pris que la troisième place. Au sein du collège, il bénéficie pourtant de relais extrêmement rares. Au saint-synode, il siège aux côtés de son frère l’évêque d’Alep, Boulos Yazigi, qui a un temps pensé à présenter sa candidature et de l’un de ses oncles, l’évêque d’Argentine Selwan Moussi. Il faut ajouter à cette liste de soutiens son ami proche Ghattas Hazim, higoumène du monastère Notre-Dame de Balamand et son père spirituel, celui qu’il a maintes fois consacré Youhanna Mansour, évêque de Lattaquié.
L’amendement qui a tout changé
Mais sa candidature pose un problème juridique. Les statuts de l’Eglise orthodoxe prévoient que, pour que la candidature d’un évêque soit valide, il faut que ce dernier ait passé cinq ans dans sa fonction. Or, le nouveau patriarche n’était métropolite d’Europe que depuis quatre ans et demi. Il a donc fallu que le synode, qui en a le pouvoir, amende cette disposition qui date de 1973. Le cercle Yazigi et les évêques favorables à Esber Saba ont donc proposé cette modification, jusqu’à présent évaluée auprès des tribunaux de la communauté. L’évêque de Jbeil et de Batroun, Georges Khodr, qui aura été dans les coulisses l’un des hommes forts de la campagne, a vite compris que la candidature de Youhanna Yazigi était en passe de s’imposer.
Youhanna Yazigi est officiellement l’archevêque métropolite de l’Europe de l’Ouest et d’Europe centrale mais il a longtemps vécu, ces quatre années, à Paris dans un modeste appartement. Et pour cause, son diocèse n’a toujours pas été construit. Ce n’est que récemment qu’il a élu domicile dans une église orthodoxe du continent.
Son premier discours de patriarche, prononcé après la prière d’action de grâce, dessine la mission que cet homme de 57 ans s’est donnée. «Ce service est ma croix. Je demande vos prières et votre aide fraternelle pour que l’Eglise d’Antioche soit une image digne de l’épouse du Christ. L’Eglise c’est vous, vous, jeunes gens et jeunes filles, enfants et familles. Je demande vos prières pour être fidèle à ce ministère qui vient de m’être confié, a ajouté le nouvel élu. Nous savons bien que notre peuple est doux de cœur et que le fardeau de son service est léger. Nous faisons partie de cette terre, de ce sol. Il fait partie de notre être». Au cours de sa première conférence de presse, Youhanna X expliquera que les chrétiens resteront en Syrie, «car cette terre est la leur».
Julien Abi Ramia
Qui est-il?
Né à Lattaquié, dans le nord-ouest de Syrie, et âgé de 57 ans, Youhanna Yazigi est originaire de Mar Marita, la plus grande vallée chrétienne de Syrie. Il a d’abord vécu à Lattaquié où il a suivi ses études universitaires à la faculté de Génie de l’Université de Tichrin. En 1978, il obtient une licence en théologie orthodoxe à l’Institut Saint Jean damascène de théologie à l’Université de Balamand, et en 1983 un doctorat en Théologie de l’Université de Thessalonique. En 1979, Mgr Youhanna Mansour, métropolite de Lattaquié, l’ordonne diacre, puis prêtre en 1983.
En 1993, Youhanna el-Yazigi fonde une communauté monastique au monastère patriarcal Saint-Georges à Humeira, en Syrie, et fut son higoumène jusqu’en 2005. Il aura également fondé une école pour la formation cléricale au monastère pour tout le patriarcat d’Antioche. Il est le père spirituel de la communauté monastique du couvent Notre-Dame de Bloummana à Tartous en Syrie.
Le saint-synode de l’Eglise d’Antioche l’a élu évêque du Hosn, où il a servi le diocèse jusqu’en 2008, l’année où il devient métropolite pour l’Europe de l’Ouest et l’Europe centrale.