Magazine Le Mensuel

Nº 2879 du vendredi 11 janvier 2013

ACTUALITIÉS

Un discours très attendu. Assad envers et contre tous

Pour sa première allocution publique en sept mois, Bachar el-Assad s’est montré ferme, devant une assemblée de partisans acquis à sa cause. Inflexible, il a proposé un plan de sortie de crise à l’opposition, tout en affirmant sa décision de se maintenir au pouvoir jusqu’en 2014.

La mise en scène était savamment orchestrée. Et c’est un Bachar el-Assad en forme, au visage souriant, pas amaigri, qui est apparu sur la scène de la Maison des Arts et de la Culture. Son entrée a d’ailleurs été acclamée par une assemblée de partisans réunis pour l’occasion, criant leur allégeance au dirigeant et au régime. Des slogans comme «Allah, la Syrie et toi», ou encore «Par nos âmes et nos vies, nous nous sacrifierons pour toi», ont fusé dans l’assistance, entre plusieurs salves d’applaudissements.
Dans son discours prononcé devant un drapeau syrien composé de milliers de visages, Bachar el-Assad s’est montré plus que jamais déterminé. Il a ainsi assuré que le conflit n’opposait pas le pouvoir et l’opposition, mais plutôt «la patrie et ses ennemis». Des ennemis qui visent, selon lui, la partition de la Syrie. Inflexible, il a martelé une nouvelle fois, à l’instar des déclarations issues du palais présidentiel depuis le début de la crise, qu’il ne négocierait pas avec «des gangs qui prennent leurs ordres de l’étranger». Dès le début de son discours, Assad s’est montré ferme et ironique quant à l’existence même d’une révolution en Syrie, en s’y attaquant avec une forte charge. «Elle n’a rien à voir avec les révolutions, ni de près ni de loin. La révolution a besoin d’intellectuels, cette révolution est sans intellectuels. La révolution a besoin d’un commandant, celle-ci n’en a pas. La révolution nécessite une pensée, un projet, celle-ci n’en a pas. La révolution aspire à pousser le pays de l’avant, celle-ci voudrait le ramener des siècles en arrière. En général, la révolution émane du peuple et non pas de personnes venues de l’étranger qui se révoltent contre le peuple. La révolution est dans l’intérêt du peuple et non contre lui!». Des déclarations maintes fois interrompues pour être acclamées par les partisans réunis devant lui.
Assad a poursuivi sa charge contre une certaine opposition, celle de la coalition de Doha, reconnue par plusieurs pays occidentaux, les accusant d’être des «marionnettes». Un véritable réquisitoire. Pour lui, les «révolutionnaires syriens», sont «ceux qui posent des bombes et détruisent des villes, comme ceux qui s’agitent à Doha, au Caire ou à Paris».
«Voulez-vous que nous dialoguions avec des marionnettes de l’Occident, qui les a fabriquées et écrit leur discours?», a-t-il lancé. «Il vaut mieux discuter avec l’original, pas avec des gens qui jouent un rôle sur les planches de la scène internationale». «Ils ont tué les innocents et les civils pour éteindre la lumière au pays, assassiné les compétences et les cerveaux pour généraliser leur ignorance, sapé l’infrastructure établie avec l’argent du peuple pour laisser s’infiltrer la souffrance. Ils ont privé nos enfants des écoles pour détruire l’avenir du pays. Leur brutalité a été concrétisée par la destruction des silos, le vol de blé et de la farine. Est-ce que cela est un conflit entre la patrie et ses ennemis? Est-ce un conflit sur l’autorité ou est-ce une vengeance du peuple qui n’a pas donné aux terroristes le signal pour démembrer la Syrie?».
Livrant son sentiment sur le conflit syrien, le président Assad a estimé: «Nous faisons désormais face à un état de guerre, dans tous les sens du terme, une agression extérieure plus meurtrière et dangereuse qu’une guerre conventionnelle, menée par quelques Syriens et de nombreux étrangers». Il a aussi pointé du doigt les nombreux combattants takfiris présents sur le territoire, soulignant que cette pensée «est importée de l’étranger», et qu’il s’agit de la «guerre de ceux qui veulent diviser (la Syrie), l’affaiblir, la dominer et la sortir de l’axe de la Résistance».

Toutefois, le discours d’Assad ne s’est pas cantonné à un réquisitoire contre l’opposition de Doha. Le chef de l’Etat syrien a également appelé à un dialogue. Un dialogue pour lequel il a martelé, comme souvent depuis le début de la crise, ne pas avoir trouvé de «partenaire». Dans cette feuille de route pour une sortie de crise, Assad a proposé trois points essentiels. «La première étape de sortie de crise doit être l’engagement des Etats étrangers à cesser de fournir une aide financière aux terroristes», a t-il énoncé.
Une condition sine qua non pour que l’armée cesse les combats, a-t-il promis. A partir de là, «une conférence de dialogue national» pourrait s’ouvrir, avec pour objectif de rédiger une «charte nationale», proclamant l’unité et la souveraineté du pays, soumise à référendum, qui serait suivie de nouvelles élections et donc d’un nouveau Parlement et d’un nouveau gouvernement le plus élargi possible. Des élections auxquelles il a semblé tenir, soulignant que toute transition devra se faire «selon les termes de la Constitution».
Assad a souligné que ces fondements permettront de donner un nouveau souffle à la Syrie, avant qu’elle s’engage dans la reconstruction. Il a également appelé à une «conférence de réconciliation nationale et à une large amnistie, qui auront pour mission d’entreprendre le chantier de reconstruction de la société syrienne, meurtrie par le conflit.
Très attendu, ce discours du 6 janvier 2013 de Bachar el-Assad, aura été scruté, on s’en doute, par les observateurs du monde entier. Comme attendu, la Coalition de Doha a rejeté le plan proposé par le président syrien. Son porte-parole, Walid al-Bounni, a affirmé que l’opposition souhaitait une «solution politique, mais l’objectif pour les Syriens est de sortir (Assad) et ils ont déjà perdu pour cela plus de 60000 martyrs. Ils n’ont pas fait tous ces sacrifices pour permettre le maintien du régime tyrannique». Les Ikhwan syriens qui constituent un important pôle de l’opposition ont, quant à eux, estimé que ce plan n’était «rien». Ils ont appelé à juger Assad comme «criminel de guerre».
Quant à l’autre opposition, celle qui tente d’amorcer des discussions, tant bien que mal, avec le régime, elle a, elle aussi, rejeté la feuille de route, jugeant le discours d’Assad, «irréaliste et irréalisable». «Nous ne participerons pas au dialogue national avant l’arrêt des violences, la libération des détenus, la garantie que l’aide humanitaire peut parvenir aux régions touchées et (que soit publié) un communiqué apportant des éclaircissements sur le sort des disparus», a déclaré depuis Damas, Hassan Abdel-Azim, le chef du Comité de coordination pour le changement national et démocratique.
A l’étranger, les réactions ont été relativement similaires, mais pas aussi virulentes qu’auparavant. En France, le ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius a estimé, via un communiqué, qu’«On savait que Bachar était l’assassin de son peuple, on constate en écoutant son discours lamentable qu’il est en plus sourd et aveugle. Le meilleur vœu qu’on puisse formuler pour la Syrie en 2013, c’est qu’elle soit débarrassée de son dictateur». A Berlin, la chancellerie a regretté que Bachar el-Assad ne fasse preuve d’ «aucune nouvelle prise de conscience». Même son de cloche à Londres, où William Hague, le chef de la diplomatie britannique, a déclaré sur Twitter que «les vaines promesses de réformes (d’Assad) ne trompent personne». «Son discours, a-t-il dit, allait au-delà de l’hypocrisie».
A Washington, les réactions au discours d’Assad ont été aussi négatives, mais relativement molles dans leur substance. La porte-parole de la diplomatie américaine, Victoria Nuland, a ainsi jugé que ce discours «est une nouvelle tentative du régime pour s’accrocher au pouvoir», Assad exigeant de pouvoir se représenter aux élections prévues en 2014. «Son initiative est déconnectée de la réalité», s’est-elle contentée de dire dans un premier temps. Toutefois, lundi soir, Nuland a accusé Assad d’être un dirigeant «inhumain» et «irrationnel», et souligné qu’il était sans doute «l’un des acteurs les plus brutaux de la scène internationale aujourd’hui», à titre personnel. Hillary Clinton, qui a retrouvé son bureau du secrétariat d’Etat après un mois d’absence, est restée silencieuse.
Autre réaction, dans la région cette fois, celle de la Turquie, qui par la voix de son Premier ministre, Recep Tayyip Erdogan, a accusé Assad «d’orchestrer un terrorisme d’Etat».
Du côté des alliés du régime de Bachar el-Assad, seul l’Iran s’est exprimé, appelant par la voix de son ministre des Affaires étrangères, Ali Salehi, tous les acteurs syriens et la communauté internationale à «saisir l’opportunité» offerte par le régime de «rétablir la sécurité et la stabilité en Syrie et d’éviter l’extension de la crise à la région». La Russie est restée silencieuse. Moscou attend, sans doute, les résultats de la rencontre tripartite avec les Etats-Unis et l’émissaire de la Ligue arabe, Lakhdar Brahimi, annoncée courant janvier. Ce qui explique aussi le timing bien étudié du discours d’Assad.

Jenny Saleh
 

Un mur entre Syrie et Israël
Benyamin Netanyahu a annoncé qu’il ferait ériger un mur de sécurité le long de la ligne de démarcation avec la Syrie, afin de protéger Israël contre les groupes islamistes contrôlant les régions frontalières. Le mur sera construit sur les hauteurs du Golan, à l’instar de ce qui a été fait en Egypte. Le Premier ministre israélien a indiqué savoir que «l’armée syrienne a reculé de l’autre côté de la frontière et que les forces du jihad mondial ont pris sa place».

 

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