Lundi, alors que la justice française avait émis un avis positif de principe, la chambre d’application des peines de Paris (CAP) a décidé d’ajourner au 28 janvier sa décision de libérer l’activiste Georges Ibrahim Abdallah, incarcéré depuis 1982. Ses partisans voient dans cet imprévu la main des Etats-Unis.
Le 10 janvier dernier, la CAP, qui examinait l’affaire en appel, accédait à la huitième demande de libération de l’ancien chef des Fractions armées révolutionnaires libanaises (FARL), condamné pour l’assassinat du diplomate américain Charles Robert Ray et de l’Israélien Yacov Barsimantov, en la conditionnant à un arrêté d’expulsion du territoire français. Le plus ancien prisonnier politique de France, sa famille, ses proches et son très actif comité de soutien pensaient y voir la fin du tunnel qu’ils traversent depuis 28 ans. Ne restait qu’à entériner la procédure judiciaire. Les autorités françaises devaient signer un arrêté d’expulsion pour permettre à la justice, quelques heures plus tard, d’autoriser sa mise en liberté conditionnelle, pavant le retour de l’activiste au Liban. Mais ce lundi, les juges de la CAP ont été contraints d’ajourner leur décision au 28 janvier prochain, et pour cause. Aucun arrêté d’expulsion signé par le ministère français de l’Intérieur ne leur a été transmis.
Ce contretemps a provoqué la colère des partisans d’Abdallah au Liban, qui sont descendus en force devant les murs de l’ambassade de France, bloquant la rue de Damas. Face à un imposant dispositif policier, des chants hostiles à la France ont été scandés. Quelques débordements ont été signalés. Des œufs ont été lancés et d’autres ont inscrit sur un pan de mur de l’ambassade «France = pute américaine» en français et en arabe, reprenant les termes de l’avocat Jacques Vergès, qui a dénoncé la «mainmise des Etats-Unis» derrière le maintien en détention de son client. Pour le comité de soutien d’Abdallah, les raisons de cet ajournement ne sont pas à chercher dans les méandres ou les lenteurs de l’administration française, mais sur le champ diplomatique. Selon eux, la France a accédé à la demande des Etats-Unis, très réticents à la libération de l’assassin de l’un de leurs diplomates, en échange d’un soutien de Washington aux opérations militaires que mène en ce moment Paris au Mali.
Une nouvelle preuve, si besoin en était, de la politisation de l’affaire durant toutes ces années. Georges Abdallah appartient à une vieille époque du terrorisme, celle de l’anti-impérialisme et de la lutte armée pour la Palestine, balayée depuis deux décennies par le jihadisme global. Né le 2 avril 1951 à Qobayyat dans le Akkar, il est chrétien, communiste et révolutionnaire. Après avoir fait ses classes au sein du Parti national socialiste syrien (PNSS) laïque et libanais qui prône la refondation d’une grande Syrie, il rejoint le Front populaire pour la libération de la Palestine (FPLP). Il deviendra très proche de Georges Habache, le leader incontesté du FPLP, dissident de l’OLP, qui prône la lutte totale contre Israël. Blessé lors de la résistance à l’invasion israélienne du Liban-Sud en 1978, il crée les Fractions armées révolutionnaires libanaises (FARL) qui portera son action en France, dont l’action politique diplomatique au Liban, alors repaire d’Arafat et de nombreuses organisations palestiniennes, en fait une cible. Dans l’Hexagone, Georges Ibrahim Abdallah, qui s’installe à Lyon, se fera appeler Saleh el-Masri ou Abdo Qadir.
La France subit dans les années 80 une vague d’attentats sans précédent. Ceux de la synagogue de la rue Copernic en 1980 et du magasin Tati, rue de Rennes, en 1986, résonnent encore à Paris. Avec le soutien des activistes français d’Action directe, le FARL revendiquera l’exécution de l’attaché militaire à l’ambassade des Etats-Unis en France, le colonel Charles Ray, le 18 janvier 1982, celle du responsable du Mossad et secrétaire en second à l’ambassade d’Israël à Paris, Yakov Barsimantov, le 3 avril 1982, et blesse gravement Robert Onan Homme, consul américain à Strasbourg. La traque durera deux ans. Le 24 octobre 1984, la Direction de la surveillance du territoire (DST), alors dirigée par Yves Bonnet, met la main sur Georges Ibrahim Abdallah. Au début, les charges sont minces. Il n’est inculpé que de faux et usages de faux, détenant un «vrai-faux» passeport diplomatique algérien.
Le clan Abdallah, refusant d’abandonner son chef charismatique, décide le 23 avril 1985 d’enlever Gilles Sidney Peyroles, attaché culturel de la France à Tripoli et fils de l’écrivain Gilles Perrault. Yves Bonnet, patron de la DST, est chargé de négocier un échange, via les autorités algériennes. Le «deal» est finalisé. Abdallah sera jugé pour usage de faux-papiers et relâché après un mois ou deux de détention. Des agents de la DST l’en informent en personne. La promesse est transmise aux FARL qui libèrent leur otage. Et là, coup de théâtre. Les hommes de la DST, poursuivant leur enquête, découvrent une cache des FARL à Paris. Elle contient de l’explosif Semtex, des RPG, des PM Skorpio, et des empreintes de Georges Ibrahim Abdallah un peu partout, et notamment sur l’arme qui a servi à tuer l’attaché militaire américain et le diplomate israélien. Le deal est rompu. Le 10 juillet 1986, Abdallah est condamné à quatre ans de prison. Les Etats-Unis sont partie civile. Le 28 février 1987, Georges Ibrahim Abdallah est condamné à perpétuité par la cour d’assises spéciale pour complicité d’assassinat.
Il restera un détenu modèle. Lors d’une mutinerie à la centrale de Châteauroux, qui nécessitera l’intervention du GIGN, un détenu ouvre sa cellule. Dans le tintamarre ambiant il demande: «Qu’est ce qui se passe?» – Viens! lui dit celui qui a déverrouillé sa cellule, on se mutine!». Georges Ibrahim Abdallah fera alors demi-tour pour retourner lire tranquillement non sans avoir lâché: «Ça ne m’intéresse pas!» Puis il sera transféré par hélicoptère vers une autre prison, à Lannemezan, dans la région de Toulouse. Malgré la fin de la période de sûreté assortie à sa peine en 1999, Georges Ibrahim Abdallah reste en prison où il poursuivra son action militante. Il adhère à la plateforme du 19 juin 1999, qui réunit dans une communauté de lutte une centaine de prisonniers militants et participe à deux grèves de la faim en 1999 et en 2002. Suivront une dizaine d’années d’un combat judiciaire assorti de nombreuses demandes de remise en liberté (voir encadré).
L’étau se resserre en 2012. Dans une entrevue à La Dépêche du 7 janvier 2012, Yves Bonnet parle d’anormalité et de scandaleux le fait de maintenir encore emprisonné Georges Ibrahim Abdallah. Alain Marsaud, patron du service central de lutte antiterroriste créé au milieu des années 80 et aujourd’hui député des Français de l’étranger, confie au journaliste Frédéric Helbert «il est temps qu’il sorte. Tous les autres responsables des actions pour lesquelles il a été jugé sont dehors. Abdallah a 61 ans aujourd’hui et n’aspire plus qu’à une fin de vie tranquille, hors de tout champ politique». Lors des rencontres de haut niveau entre les responsables français et libanais, le sujet fait l’objet de discussions. Les soutiens de Georges Abdallah, proches et activistes, attendent le 28 janvier avec appréhension mais beaucoup d’espoir.
Julien Abi Ramia
Neuf refus
En novembre 2003, la juridiction régionale de libération conditionnelle de Pau autorise sa libération, le Garde des Sceaux, Dominique Perben, demande alors au parquet de faire appel de cette décision, jugeant le cas du Libanais «extrêmement grave». Il sera entendu et Abdallah restera en prison le 15 janvier 2004, Georges Ibrahim Abdallah voit sa libération rejetée. Il présente une nouvelle demande de libération conditionnelle, en février 2005. Le Tribunal de grande instance de Tarbes, rejette cette nouvelle demande en septembre 2005. L’appel de cette décision, introduit par Georges Abdallah en septembre 2005, est rejeté en février 2006. En mai 2009, sa requête est rejetée par la cour d’appel de Paris qui a argué que le détenu est un «activiste résolu et implacable». Il a fallu attendre le 21 novembre dernier pour que la justice française desserre l’étau.